Les Afriques : Après les critiques émises sur les nouvelles mesures prises par le gouvernement algérien dans la loi de Finances complémentaire 2009, le Medef dit accepter les règles du jeu après une visite à Alger. Page tournée ?
Xavier Driencourt : La présidente du Medef, Laurence Parisot, a été claire en disant que les mesures algériennes sont légitimes et incontestables. C’est vrai qu’il y a eu une inquiétude pendant l’été lorsque les nouvelles dispositions de la LFC ont été prises. Des mesures venues sans préavis et sans mode d’emploi.
Le service commercial de l’ambassade a fait un travail d’explication auprès des entreprises françaises.
Vous dire qu’elles sont folles de joie, avec ces mesures, serait exagéré. Cela dit, les entreprises françaises comprennent mieux les mesures en question et elles sont décidées à se battre pour le marché algérien. Il faut faire avec. Je suis parti à Paris rencontrer le Medef pour expliquer le contenu de la LFC. Car, depuis les sièges sociaux parisiens, personne ne comprenait ces mesures.
Il y a un décalage entre les entreprises et les filiales qui sont en Algérie et qui comprennent la sensibilité algérienne et le débat sur les importations, le lien entre la balance commerciale, le déficit, la crise politique et toutes les explications données par le Premier ministre Ahmed Ouyahia lorsqu’il a reçu la délégation du Medef. Les sièges parisiens de Suez, Véolia ou Total sont habitués à travailler dans un environnement mondial. Il y a d’autres pays où c’est plus simple et moins bureaucratique pour activer.
Il y a eu quand même une mesure pénalisante, qui est celle de l’effet rétroactif pour les sociétés d’importation, qui a été levée, mais il reste des mesures lourdes en matière d’investissement, comme les 51-49%. Est-ce que ce n’est pas décourageant pour l’investissement ?
Ces mêmes règles des 51-49% sont appliquées ailleurs qu’en Algérie. Dans les pays du Golfe, l’investissement se fait aussi par le biais d’un partenaire local. Les entreprises prennent note et s’adaptent. Peut-être qu’elles regrettent que le système soit moins libéral et moins ouvert, comme c’était avant où l’investissement se faisait plus facilement. Il y a aussi des projets qui sont en cours et des entreprises qui jouent la règle des 51-49%, comme la Macif qui va signer avec SAA. Un des points de soulagement des entreprises, également, est que la rétroactivité de l’ouverture du capital à des nationaux dans les sociétés étrangères d’importation a été levée.
Mais il y a les dossiers pendants, l’investissement de Total dans la pétrochimie et le cas d’AXA Algérie qui n’a toujours pas obtenu son agrément…
Il y a des entreprises qui réagissent différemment, comme en effet le groupe Axa qui avait un schéma antérieur, avant la circulaire de décembre 2008, qui se dit qu’il n’est pas obligé de s’inscrire dans un nouveau schéma, surtout après avoir reçu des assurances. Donc le cas AXA n’est pas réglé. Les entreprises françaises souhaitent que ces règles du jeu soient appliquées avec souplesse, sans idéologie. Le pire serait le retour de l’idéologie socialo-bureaucratico-soviétique.
Elles souhaitent que tout cela soit appliqué avec pragmatisme. Je ne conseille rien à AXA, mais ce serait bien si ses responsables venaient à Alger discuter avec les interlocuteurs algériens. Total est un bon exemple. Je crois qu’il y a des difficultés d’ordres technique, juridique, fiscal, etc. Total souhaite que tout cela s’applique sans idéologie de manière pragmatique pour un investissement qui représente presque 4 milliards d’euros et qui a été signé en présence du président Sarkozy en décembre 2007, lors de sa visite à Alger. On s’attend à ce que les discussions se passent dans un esprit d’ouverture.
Tout cela est bien, mais lorsqu’on le traduit en termes de nouveaux investissements, il n’y a pas grand-chose d’annoncé. On attend toujours par exemple que Renault face quelques chose en Algérie.
Il faut laisser les projets mûrir. Il y a des entreprises comme Michelin qui ont, en ce moment, des difficultés à importer de la matière première en Algérie dans le cadre de la loi de Finances. En l’espace de trois ans, les investissements français ont doublé. Ils sont de l’ordre de 350 millions d’euros pour 2008. Il est faux de dire que les entreprises françaises sont frileuses. Il suffit de regarder les chiffres. Il faut relever aussi qu’il est parfois plus facile d’investir au Maroc. Sans doute que le Maroc à fait des conditions techniques et financières beaucoup plus attractives à Renault. Renault n’est pas un philanthrope et ce n’est plus une entreprise d’Etat. Le ministre de l’Industrie français n’a aucun pouvoir sur elle. Il ne peut pas dire à Carlos Ghosn d’aller investir en Algérie plutôt qu’au Maroc.
Un homme d’affaires, s’il veut nouer des partenariats, doit venir plusieurs fois en Algérie, car on ne construit pas des partenariats industriels en un claquement de doigts. L’Algérie doit faciliter les choses pour les hommes d’affaires. Je plaide donc pour qu’il y ait d’avantage de visas de circulation du côté algérien. Un homme d’affaires français doit, à chaque fois, aller chercher un visa algérien, vous comprenez que c’est un peu décourageant, alors que, quand il va au Maroc, il a son visa à l’entrée de l’aéroport. Ce sont des signaux que l’Algérie pourrait envoyer. Cela attirerait les entrepreneurs français, à mon avis.
A Marseille, j’ai rencontré la diaspora algérienne. Des chefs d’entreprise qui ont la nationalité algérienne étaient dubitatifs sur les dispositions de la LFC. Il n’y a pas que les Français qui avaient du mal à les comprendre. Et si les entreprises algériennes de Marseille sont pénalisées, cela veut dire que ce sont des Algériens de Marseille et leur famille qui le sont.
Côté algérien, on invoque des retards du côté français, notamment pour ce qui est de l’application de l’accord sur le nucléaire civil. Qu’en est-il ?
L’accord sur le nucléaire civil a été signé, mais il y a un retard à l’allumage côté algérien. Il vient d’être ratifié il y a seulement quelques semaines. En France, la ratification par l’Assemblée nationale a eu lieu il y a déjà un certain temps. L’Euratom a donné son accord et maintenant il faut que les deux pays constituent des groupes de travail et, là aussi, il y a un exemple de bureaucratie.
Vous avez déjà laissé entendre que l’affaire Hassani -la mise sous contrôle judiciaire d’un haut fonctionnaire algérien dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat à Paris en 1987 de Ali Mecili, un opposant algérien- est à l’origine de cette période de «moins bien» dans les relations bilatérales. N’y a-t-il vraiment que cela qui fait problème ?
Si on voit l’ordre chronologique des évènements, le président Sarkozy est venu à Alger en 2007, le Premier ministre François Fillon en juin 2008, M. Hassani a été arrêté le 15 août à l’aéroport de Marseille, moi je suis arrivé le 3 octobre et, depuis, les choses sont ce qu’elles sont. Et j’entends mes interlocuteurs algériens me dire que c’est quand même une affaire qu’ils ont mise au plus haut point. Mais il n’y a pas que cela. Le point de départ de la période actuelle est l’affaire Hassani.
L’affaire des moines de Tibhirine a suscité de l’émotion en Algérie. Je le comprends. Le président Sarkozy a dit au sommet du G8 qu’il s’en tenait au communiqué 44 du GIA revendiquant le meurtre des sept moines. On ne va pas donner crédit aux affirmations d’un général à la retraite qui était là il y a quinze ans et qui revient dire, des années après, que quelqu’un lui a dit que… Il faut relativiser les choses. Des deux côtés, on regrette cette affaire. Les Algériens nous critiquent aussi sur nos positions supposées pro-marocaines sur le dossier du Sahara occidental…
… parce que Paris soutient le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental ?
Nous ne faisons que soutenir le plan des Nations Unies sur ce dossier. Il y a également cette question irritante de la mémoire qui, aux yeux des Algériens, est sans doute plus conséquente qu’aux yeux de Paris. Tout cela fait des sujets qu’il faut discuter à un moment ou un autre. Il y a aussi l’UPM, car on n’a pas la même approche. Côté français, on met plus d’enthousiasme, car l’idée est française donc on voudrait la nomination rapide d’un secrétaire général. Côté algérien, il y a plus de retrait parce que le schéma de l’UPM à 40 pays n’est pas celui qu’elle avait initialement en tête. On voudrait reprendre le dossier sans dogmatisme.
Depuis la crise de Ghaza en janvier 2009, il y a un sujet de contentieux au sein de l’UPM, mais on sait aussi que, du côté français, ce n’est pas dans l’UPM qu’on va régler le problème du Moyen-Orient. Donc, il faut faire avec cette UPM à 43 Etats, qui inclut Israël avec une approche pragmatique, et qu’on aille rapidement vers l’élection d’un SG.
Quel pourrait être l’apport de la France dans la question de la sécurité dans le Sahel ?
Le président français a dit, en août 2009, que la France est préoccupée par la situation au Sahel et qu’elle ne laissera pas El Qaïda s’y installer durablement et faire des dégâts. Cette zone est en train de devenir une zone à risque. Il y a eu cet été un attentat contre notre ambassade à Nouakchott et il y a eu un Français enlevé la semaine dernière en Mauritanie.
On sait que l’Algérie est partie prenante à cet effort de sécuriser la région. Il y va de notre intérêt aussi. On est peut-être plus discrets que les Etats-Unis, mais on travaille tout autant que les USA. Nous avons des échanges soutenus avec les Américains. Nous avons également une coopération intense avec la Mauritanie et les autres pays concernés. La préoccupation est partagée par la communauté internationale. Cela dit, il y a de la coopération et non pas de l’action sur le terrain du côté français.
Par Zohir Bouzid et Fayçal Métaoui, Alger
Les Afriques
*Le Titre est de la Rédaction d’Algérie-Focus