La société algérienne est malade de la corruption.Tous les secteurs de la vie économique du pays en sont gangrenés. L’université, qui n’est qu’un segment parmi tant bien d’autres de l’économie nationale, n’échappe pas à la règle générale. Si nous ne disposons pas de preuves tangibles de corruption dans les secteur de l’enseignement supérieur, nous avons cependant des indices qui permettent de penser qu’il est bel et bien affecté par des pratiques de prévarications et de détournements des deniers de l’État. Des observations factuelles nombreuses et répétées inclinent à penser que certains détenteurs de postes clefs dans ce secteur ( directeurs centraux, secrétaires généraux, recteurs, etc.) bénéficient d’un train de vie, et de biens matériels visibles à l’œil nu, et qui sont sans rapport aucun avec leurs salaires de fonctionnaires.
Les indices de la corruption au sein de l’université
Lorsque certains de ces fonctionnaires élèvent des villas de plusieurs milliards de dinars en un laps de temps très court, et qu’ils s’exhibent avec des grosses voitures de luxe, sans compter des voyages fréquents à l’étranger en dehors des missions officielles, l’on se demande comment leurs uniques et maigres salaires de fonctionnaires peut subvenir à tous ces besoins et dépenses fastueux. Par ailleurs, leur enrichissement se trahit également à travers le comportement « gâté » et arrogant de leurs enfants qui n’hésitent pas à s’afficher de manière provocante, à la limite de l’insulte, au volant de voitures de luxe flambants neuves, ou avec des 4X4.
D’autres indices suggèrent des comportements suspects: lorsque, dans certains universités, le chef d’établissement fait enlever des poteaux électriques, des tables et des chaises non encore usagés, les entasse dans un coin de l’enceinte de l’université, et les fait remplacer par d’autres, l’on se demande pour quelle raison exacte il procède de la sorte, si ce n’est pour faire appel à un nouveau fournisseur pour remplacer l’équipement réputé à tort obsolète par un autre considéré comme relevant de bonne qualité…Les arbres eux-mêmes vieux de plusieurs années n’échappent pas à l’arrachage pour être remplacés par de jeunes arbres. De larges surfaces du sol revêtues de carrelage et de dalles encore intacts sont également arrachés et remplacés quasiment par les mêmes matériaux. Les équipements scientifiques ( ordinateurs et d’autres outils sophistiqués et coûteux…) font également l’objet de substitution quasi fréquente.
Le choix des fournisseurs et la marque des équipements….
Souvent « la gestion scientifique » par certains chefs d’établissements universitaires se réduit plus à des préoccupations d’ordre technique, aux choix des fournisseurs, et à la marque et aux couleurs des équipements à substituer « aux anciens ». L’accent alors est toujours mis sur cette boulimie d’achat, sur l’accroissement du quantitatif ( nombre de chaises, de tables, de salles de cours et d’étudiants à inscrire…) que sur le qualitatif ( incitation à la recherche et à l’amélioration de la qualité et de la finalité des études). L’incurie de certains recteurs d’universités conjugue ses effets pervers à l’autoritarisme, au refus du dialogue et de la transparence dans l’usage des deniers publics réservés à la recherche. Les conseils d’administration des universités fonctionnent sur le mode quasi secret, puisque le public universitaire n’est pas tenu informé des décisions prises à l’issu de leur réunions faites en conclave.
A retenir !
Jamais depuis l’indépendance du pays aucun ministre n’a été condamné au motif de corruption, et envoyé en prison.
Les œuvres sociales ne sont pas épargnées par la corruption, et certains de leurs gestionnaires ont fait déjà l’objet de poursuites judiciaires. Moins chanceux que les recteurs, généralement mieux protégés par leur hiérarchie ou parce qu’ils savent mieux se servir des caisses de l’État sans se laisser prendre la « main dans le sac », les responsables des œuvres sociales semblent être des novices en matière de détournements, et c’est pourquoi ils se font très vite rattrapés par la justice.
Jamais un haut dignitaire n’a été condamné depuis l’indépendance au motif de corruption
En dépit de tout, et comparé à d’autres secteurs, celui de l’enseignement supérieur se révèle un peu moins corrompu. La raison tient essentiellement au fait qu’il brasse moins d’argent que les secteurs de l’Énergie et des Mines ou des Travaux publics. Les gros marchés que passe le secteur de l’Enseignement Supérieur avec l’étranger sont moins nombreux, et c’est ce qui limite les possibilités de grosses commissions. Néanmoins, ces commissions existent, mais moins juteuses, semble-t-il, que celles que tirent les autres secteurs névralgiques de l’économie qu’on vient de citer.
Au total, la corruption affecte, mais de manière fort inégale, tous les secteurs de la vie économique nationale, et les acteurs principaux de cette corruption généralisée sont surtout les détenteurs de haute position au sein de l’État. La justice qui se montre impardonnable vis-à-vis des fonctionnaires corrompus, petits et moyens, évite soigneusement d’inquiéter ou d’inculper les hauts dignitaires de l’État dénoncés pour fait de corruption.
Jamais depuis l’indépendance du pays aucun ministre n’a été condamné au motif de corruption, et envoyé en prison. Notre justice ne semble en somme s’intéresser qu’aux lampistes, qu’elle s’empresse de « coffrer » aussitôt comme pour donner le change et affecter de faire son travail de manière propre, et selon l’esprit de la loi. Les 5086 personnes qui ont été définitivement condamnées ces derniers temps pour délit de corruption, tout comme les 2691 autres affaires de corruption examinées par la justice entre 2006 et 2009, ne comprennent pas un seul de ces hauts dignitaires de l’État dont certains sont reconnus de notoriété publique comme de véritables corrompus et corrupteurs.
La corruption généralisée
La corruption est devenue un phénomène profondément enraciné dans les mœurs politiques de la plupart de nos dirigeants. La presse nationale, surtout privée, s’en fait largement écho. Elle rapporte quasi quotidiennement des faits où de hauts responsables sont impliqués dans des affaires de corruption. Le dernier scandale en date, après l’affaire d’El Khalifa, la Banque nationale d’Algérie et bien d’autres, concerne le projet de l’autoroute Est-Ouest où de hauts dignitaires de l’État, dont certains s’avèrent être des hommes de confiance du Président, sont soupçonnés de prévarication et d’agiotage.
Quand les grands « commis de l’État » exigent leurs parts de commission de marchés de l’autoroute Est- Ouest….
Outre le chef de cabinet du ministre des Travaux publics, Ammar Ghoul, de son secrétaire général, et du directeur général de l’Agence nationale des autoroutes ainsi que le directeur de la planification au ministère des Transports, il y a ces ministres, et anciens ministres, qui aiment à parler de la défense des intérêts suprêmes de l’État, de la lutte contre la corruption et le gaspillage des ressources, tout en plaidant pour la rationalité et la bonne gouvernance, mais qui n’hésitent pas à se servir de leur pouvoir et rente de situation pour piller les caisses de l’État.
Ainsi ces hommes politiques qui se considèrent être au dessus de tout soupçon, et qui produisent de beaux discours sur la nation et ses intérêts, comme pour donner le change, leurs noms sont cités dans cette nouvelle affaire de corruption du siècle :l’ex-ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, et enfin,Chakib Khellil, l’actuel ministre de l’Énergie. Ces personnages semblent disposer d’un réseau très puissant au sein des institutions, qui leur sert d’intermédiaire et de courtiers auprès des entreprises étrangères pour la passation des contrats et la détermination des pourcentages des commissions à empocher. Puisque certains officiers supérieurs des services de sécurité censés assurer la sécurité de l’État et traquer les corrompus, se trouvent être associés justement à ce type de pillage du Trésor public. Parmi ces officiers, on cite pour comble de l’inimaginable le nom d’un certain Khaled, colonel de la sécurité, et de surcroît conseiller du Ministre de la justice ! Deux autres colonels et un général à la retraite, dont les noms n’ont pas été divulgués sont également mis sur la sellette.
Les lampistes sacrifiés à la place de leurs chefs hiérarchiques…
Parmi tous ces « commis de l’État » impliqués effectivement ou soupçonnés des faits de corruption liés à la passation des marchés entachés d’irrégularités, seuls le secrétaire général des Travaux publiques, Mohamed Bouchama, le directeur de la Planification des Transports, M. Hamdane, et le chef de cabinet du Ministre Ghoul, Ferrachi Belkacem, ont été mis sous mandat de dépôt par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed. Alors que les grands marchés doivent théoriquement passer par des commissions nationales présidées par les ministres des secteurs concernés, et soumis à des contrôles stricts, ils n’obéissent en pratique qu’aux règles informelles et au jeu des artifices et de la dissimulation qui sont l’ennemi de la transparence et de l’observation de la loi.
Parmi ces inculpés placés déjà sous mandat du dépôt, il faut ajouter les trois intermédiaires de sociétés étrangères et deux jeunes algériens qui pratiquent le change parallèle sur les hauteurs cossus d’Alger, Hydra. Ces inculpés ne sont rien de moins que des lampistes sacrifiés sur l’autel de l’alibi. Les vrais cerveaux de cet énième scandale économique et financier sont toujours là, libres, déliés de toutes les contraintes et fermement cramponnés à leurs postes. C’est à ceux-là qu’il faudrait s’attaquer en premier pour que l’État puisse retrouver son entière autorité de puissance publique qui s’impose et qui en impose. Sans cela, le pays cheminera inexorablement vers le désordre et l’anarchie, perspective sombre qu’il faudrait à tout prix conjurer.
L’État algérien phagocyté par la mafia ?
Lorsque des hommes qui aiment à se donner eux-mêmes l’étiquette flatteuse de « commis de l’État », mais qui se livrent cependant en catimini à des pratiques de type mafieux, voilà qui laisse l’esprit perplexe. Comment l’État de droit peut-il voir le jour et se faire respecter quand ceux qui sont censés être ses piliers bafouent justement le droit et toutes les règles juridiques que le régissent ? L’État mafieux est l’antipode de l’État de droit. Ce qui distingue le premier du second, c’est la transgression et la violation permanente des normes juridiques, c’est la valorisation de l’informel, de l’irrégulier ; c’est le culte du secret et la dissimulation.
Le respect de la loi et la pratique de la transparence sont les deux ennemis mortels de l’État mafieux. Or, l’État algérien, en dépit de la volonté de bon nombre de ses commis réels, honnêtes et intègres, placés en ses différents compartiments, se trouve rongé de l’intérieur par une mafia informelle, constituée d’individus si cupides et si avides de richesse, et d’enrichissement faciles, qu’ils répugnent de voir s’établir un État de droit, neutre et au dessus de tous. Les consistantes commissions que ces individus tirent des marchés et des contrats avec les entreprises étrangères, et nationales, et le recours au marché monétaire parallèle, ne les incitent pas à penser et à agir en faveur d’un État de droit qui, s’il était solidement établi, et ses lois uniformément appliquées à tous, il les priveraient du pouvoir et de leur fonction de prédateurs de la richesse nationale.
Les transferts illicites des biens nationaux vers l’étranger
Les informations que rapportent nos médias donnent en effet des frissons d’horreur en ce qu’elles font voir comment ces prétendus « commis de l’État » recourent, pour se remplir les poches, à des jeunes intermédiaires du marché monétaire parallèle. Le quotidien El Watan qui passe pour être bien informé, grâce à ses talentueux journalistes, comme l’infatigable investigatrice Salima Tlameçani, écrit que « les sommes échangées par Addou Sid Ahmed chez les deux frères Bouzenacha de Hydra (en détention) sont colossales. En mars 2009, Addou a converti 100 000 euros en dinars, transférés de son compte en Suisse vers un autre compte appartenant à un ami des deux prévenus. Ceux-ci affirment avoir procédé à six opérations de change durant lesquelles ils ont remis à Addou des sommes de 360 000 DA, 160 000 DA, 500 000 DA, 900 000 DA, 1,23 million de dinars et enfin la somme de 12,4 millions de dinars. » (El Watan 10 décembre 2009).
Ces montants ainsi échangés et transférés ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Mais déjà, ils donnent la mesure de l’ampleur des dégâts que provoquent ces prétendus commis de l’État à l’économie nationale…
Par Ahmed Rouadjia,
Chercheur et Maître de Conférences, Université de Msila
Dernier ouvrage paru : Le management. Etudes à l’usage de l’entreprise, Alger, Éditions Chihab, 2009