Larbi Chouikha, politologue et militant de la Ligue tunisienne des droits de l’homme : « Les révolutions de velours peuvent se faire dans un pays arabe »

Redaction

Un mois de troubles ont ainsi fini par faire vaciller vingt-trois ans d’un règne sans partage. Acculé par la pression de la rue au terme d’une ultime journée d’émeutes particulièrement violentes à Tunis, vendredi 14 janvier, le président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, a fini par quitter le pays.

Le premier ministre, Mohamed Ghannouchi assurera désormais l’intérim de la présidence, avec le soutien de l’armée. Ce dernier a lancé vendredi soir, à la télévision, un appel à l’unité nationale. Sa mission consiste désormais à former un gouvernement de transition jusqu’aux élections législatives, qui seront organisées dans six mois.

Larbi Chouikha, politologue et militant de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, revient sur les événements de la journée et les perspectives qui se profilent au sommet de l’Etat tunisien.

Quel est votre sentiment à l’annonce du départ du président Ben Ali au terme d’un mois de révolte populaire en Tunisie ? Cette annonce vous a-t-elle surpris ?

C’était prévisible car aujourd’hui les manifestations populaires ont été un véritable succès populaire. Toute la Tunisie est descendue pour dire non, et le message a été compris par le président. La police a été débordée et s’est même retirée et cachée. C’est la première étape : Ben Ali est parti. La question pour nous désormais est : « Comment arrêter cette hémorragie d’actes de pillage, qui devient insupportable ? » C’est une débandade qui nous effraie. Ces gosses ne s’attaquent plus seulement aux biens de la famille Trabelsi, mais à des postes de police, aux biens de tous. On est toujours sous couvre-feu et on a très peur. On espère tout de même que cette annonce va calmer les esprits.

Cela montre en tout cas que des révolutions de velours peuvent se faire dans un pays arabe. Pour la première fois, des gens se sont levés pour dire « non, va-t-en », et cela a été une réussite. Quel que soit le nouveau gouvernement, ou président, qui apparaîtra, il devra composer avec la rue. C’est ma plus grande fierté : nous ne sommes pas un peuple qui sombre dans l’obéissance, nous pouvons aussi désobéir. Cela pourrait même avoir un effet domino dans la région. Les Algériens, notamment, ont beaucoup suivi notre mouvement.

Que pensez-vous du choix du premier ministre, Mohamed Ghannouchi, pour mener le gouvernement de transition jusqu’aux prochaines élections législatives prévues dans six mois ?

Le choix de Mohammed Ghannouchi, c’est un moindre mal. Constitutionnellement, cela aurait dû être le président du Parlement, Fouad M’Baza, mais il a dû y avoir une discussion au plus haut niveau de l’Etat. M’Baza a dû refuser ou être contesté. Le choix de Ghannouchi est très certainement un choix négocié par toutes les parties concernées, politique et militaire.

Les partis de l’opposition, qui craignaient le chaos politique engendré par un départ précipité de Ben Ali, sont rassurés car c’est une personne du système. C’est la personnalité politique la plus intègre et la plus consensuelle aux yeux de la majeure partie de la classe politique tunisienne. Il n’a jamais été mouillé dans des affaires de corruption et de népotisme. Son itinéraire politique est ancien et remonte au temps de l’ancien président Habib Bourguiba. C’est un homme de dialogue qui a toujours été à l’écoute de ce que disait l’opposition et a une curiosité vis-à-vis de ce qu’elle pense. Je pense qu’on ne peut que lui accorder un préjudice favorable.

Quelles sont les prochaines étapes pour la classe politique tunisienne ?

La question maintenant est : « Comment M. Ghannouchi va-t-il manœuvrer ? » Cela va dépendre de plusieurs facteurs : le poids de l’armée et le rôle que le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique constitutionnel, va jouer. Mohamed Ghannouchi devrait très certainement composer un gouvernement d’union nationale. Il faudrait que ce gouvernement d’union soit le plus représentatif possible. Il faut surtout absolument revoir les textes constitutionnels dans la perspective des élections législatives anticipées qu’il doit organiser d’ici à six mois. Tout a été verrouillé sous Ben Ali pour contrer l’opposition, tout est donc à revoir. On ne peut pas encore dire quels partis d’opposition participeront à ce gouvernement, mais beaucoup d’opposants politiques en exil devraient déjà rentrer en Tunisie.

Le Monde