Il y a vingt et un ans naissait le Cercle des intellectuels maghrébins (CIM) !
Semblable à nos contrées, mais en accéléré, il devint un désert en quelques années. Des premières prémices des terribles souffrances que devait endurer l’Algérie dès 1988, il fut créé par réaction aux commentaires « loufoques » que ne manquèrent pas de faire sur cette tragédie naissante les spécialistes autoproclamés, locataires à vie, des micros, des écrans et colonnes de journaux hexagonaux.
Il était devenu, pour certains maghrébins d’entre-nous vivants en France, notamment les fondateurs, insupportable d’entendre de telles inepties sur un pays que nous connaissions mieux que quiconque, y étant issus !
La volonté première était donc de faire entendre un autre écho. Persuadés de pouvoir faire participer quelques uns d’entre-nous, croyait-on, aux débats afin que soient rétablis les faits par rapport aux fantasmes et élucubrations de ceux qui parlaient de nous sans vraiment nous connaître ?
Notre naïveté d’alors, nous aveuglait au point de ne pas comprendre, que ce « bruit » médiatisé à outrance, n’avait en réalité qu’un objectif: permettre aux français d’entendre la voix des français de souche sur cette question, fusse-t-elle incompétente, mais certainement pas la voix des premiers concernés ! Il ne serait-y-avoir interférence venant d’ailleurs, dans le modelage d’une « conscience collective programmée » construite à coups de décibels…
C’était là la première leçon que nous eûmes à tirer de la gentry des lettres et médias parisienne, qui si elle consentait à nous accueillir individuellement dans ses colonnes, ses écrans ou ses livres…, c’était qu’à condition qu’elle en choisisse les sujets, les thèmes et les moments, et certainement pas pour servir de relais ou d’amplificateur à une parole d’un groupe unifié, porteur d’une identité mémorielle commune, riche de la diversité des trajectoires nationales respectives ! C’est là une des raisons qui a prévalue au manque de publications ou d’écrits du CIM.
Soucieux également de voir représenter au sein du bureau exécutif, les composantes des cinq pays : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie, (nous n’avions pas trouvé de représentant Libyen) nous nous sommes efforcés, malgré la dominante numérique algérienne, d’édicter un règlement intérieur respectant les minorités en leur octroyant un droit de véto, en fonction du pays, sur tous les sujets traités.
C’est sur cette base par exemple, que la délégation marocaine, sur le point qu’il ne convenait pas à une organisation internationale telle que la nôtre de s’impliquer sur un événement « régional », opposa son véto à une invitation formulée, en 1989, par les animateurs du futur parti politique « RCD » lors du rassemblement qu’ils organisèrent à Tizi Ouzou, au moment de l’acte fondateur.
Cette organisation de l’instance dirigeante du CIM, avait fait écrire à Jean Pierre Péroncel-Hugoz, alors rédacteur au Monde, la phrase suivante, que je cite de mémoire, « le CIM venant de naître était un laboratoire de la démocratie arabe » (sic !) Il y avait là toutefois un fond de vérité que nous n’avons malheureusement pas su exploité.
Nos réunions et débats étaient ouverts, la parole accessible à tous. Paradoxalement cela nous conduisit à l’immobilisme en étant empêtrés dans des discussions sans véritables enjeux, ni caractère constructif. Nous consacrâmes, par exemple, des dizaines d’heures pour savoir qui était intellectuel ? Qui était maghrébin ?
Bien entendu, ces questions avaient leur pertinence et nous aurions dû les traiter bien avant la création du Cercle… Mais elles sont entrées au même titre que les autres sujets tels la fatwa de l’ayatollah Komeiny en février 1989 à l’encontre de l’écrivain Salman Rushdie pour son livre « les versets sataniques ».
Deux blocs se constituèrent et raidirent leurs positions sur ce thème. Il y eut également l’affaire de Rached Ghannouchi, président du parti politique tunisien Mouvement de la Tendance Islamiste (MTI), sorti de prison où il purgeait une condamnation aux travaux forcés à perpétuité par Zine el-Abidine Ben Ali après la destitution de Bourguiba en 1988. Il déposa, quelques mois plus tard, une demande pour légalisé le MTI. Celle-ci lui étant refusée, il s’exile alors à Alger. Cette question fut également un objet de confrontation entre nous.
Que dire de la position du représentant de la Ligue arabe à Paris de l’époque qui trouvait que la création du CIM était un élément de division du monde arabe et qu’il n’avait pas lieu d’exister !
Faut-il également parler du CISIA ( Le Comité International de Soutien aux Intellectuels Algériens)né quelques années plus tard, qui n’a jamais pris la peine d’un contact avec nous, comme si les intellectuels algériens vivant en France avant la tragédie n’étaient en aucun cas concernés par ce qui se passait en Algérie. Fallait-il faire donner de la voix à de nouveaux venus, au préalable rendus redevables d’avoir été sauvés de la mort ? (Lire à ce sujet l’article publié dans Libération par Salah Guemriche)
Il convient également de tenir compte de l’environnement politique de l’époque où les conseillers de François Mitterrand, avaient imaginé, pour élargir le contingent possible de récupération de voix, amener les français d’origine immigrée, dont principalement les franco-africains, à s’inscrire sur les listes électorales d’où jusqu’alors ils étaient absents.
Pour cela ils imaginèrent une « fusée » à plusieurs étages pour gagner ces nouveaux électeurs :
1/ l’anti racisme global en direction des jeunes. C’était la création de SOS racisme qui avait pour vocation de ratisser large dans l’ensemble des composantes des jeunes français de souche ou venant d’ailleurs. Le mode opératoire étant les concerts musicaux gratuits pour mobiliser l’attention de ces jeunes et les canaliser en direction des points relais de SOS racisme, rabatteurs vers le PS.
2/ En direction des femmes, jugées plus faciles à intégrer car en recherche de l’émancipation familiale et de l’affranchissement des mariages forcés, fut créer l’Expresssion Maghrébine au féminin (EMAF), dont Halima Thierry Boumedienne, qui connut quelques déboires avec la justice, aujourd’hui devenue sénatrice, fut la présidente.
3/ France + présidé par Arezski Dhamani, fraichement arrivé en France qui plus tard aura à faire également aux juges, plus particulièrement chargé des jeunes maghrébins des cités. Il parcourait le pays avec un camion en allant directement sur les espaces de vie de ceux-ci pour les inciter à s’engager politiquement.
4/ Dernier étage de la fusée, le plus prisé, c’est celui des élites de cette communauté, plus précisément ses intellectuels. C’est dans cet environnement particulier que le CIM fut leur cible et l’objet de tentative de récupération.
Ajoutez à cela les problèmes de personnes, d’égos et d’attirance par de possibles coups de pouce à sa carrière (ce que certains ont su bien exploiter, en devenant par exemple des écrivains « incontournables » sur les questions de l’islam ?). Ce sont là les ingrédients qui nous ont amené à soustraire le CIM de ces enjeux et des prédateurs en le mettant à l’abri des convoitises.
Cela étant dit, un des points positifs de la création du CIM fut de mettre un visage sur un nom, car nous nous lisions les uns les autres sans nous connaitre. Il nous permit aussi de mieux comprendre comment étaient perçues les nationalités maghrébines les unes par rapport aux autres.
Aujourd’hui le CIM existe toujours légalement et probablement, dans les mois qui viennent, il reprendra une activité plus sereine et productive.
Si vous souhaitez y participer, je vous invite à prendre contact avec nous au : michel.arab@live.fr
Les trois premiers présidents du CIM furent : Malek Chebel, Faouzia Zouari, Salah Guemriche
Michel Arab, un des membres fondateurs et responsable actuel du CIM.