Les nouveaux dirigeants laissent les Libyens sceptiques

Redaction

Peu de choses rassemblaient les acteurs de la rébellion libyenne au-delà de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, donc l’attention maintenant que Tripoli est tombée se tourne vers ce qui les divise.

Dans le climat de confusion qui entoure leur victoire, les suspicions mutuelles voient le jour entre dirigeants de l’insurrection. Et la population regarde avec scepticisme le nouveau pouvoir se mettre en place.

Le Conseil national de transition (CNT), dominé par des personnalités de l’est de la Libye mais aussi par des dignitaires du régime Kadhafi passés à l’opposition, est pressé par la population mais aussi par les Occidentaux de former un gouvernement stable et légitime au sein duquel toutes les régions et tribus seraient représentées.

C’est là un défi de taille dans un pays où, depuis son arrivée au pouvoir par un putsch le 1er septembre 1969, le colonel Kadhafi avait fait table rase des institutions.

Le CNT et ses soutiens internationaux gardent en mémoire la situation chaotique qui avait prévalu en Irak il y a huit ans après le démantèlement par les Américains de l’armée de Saddam Hussein et du parti Baas. Un grand nombre d’hommes en armes s’étaient alors retrouvés sans travail.

Les puissances occidentales ne souhaitent évidemment pas voir un tel scénario se reproduire en Libye.

SCEPTICISME

Pourtant, beaucoup, notamment parmi les jeunes sympathisants du CNT, nourrissent le plus grand scepticisme envers les anciens responsables du régime Kadhafi qui dominent le CNT, sous la houlette de l’ancien ministre de la Justice Moustafa Abdeljalil.

« S’ils avaient voulu engager des réformes, ou avaient été en mesure de le faire, ils l’auraient fait lorsqu’ils occupaient de hautes fonctions », estime Moustafa al Feitouri, universitaire et écrivain à Tripoli.

« Ils sont issus du sérail de Kadhafi et ont la mentalité de l’ancien régime. Aussi, beaucoup doutent-ils de leur honnêteté et de leurs aptitudes », ajoute-t-il. « Des rivalités et des tensions règnent entre la jeunesse, qui a été à l’avant-garde de la révolution, et les chefs qui traitent de politique. La jeunesse se sent marginalisée ».

D’autres factions, notamment de l’ouest de la Libye, ainsi que les alliés du CNT au sein de l’Otan, rechignent à confier à une organisation qui n’a pas encore clairement la confiance de la population les 170 milliards de dollars d’avoirs libyens gelés à l’étranger.

« L’Occident se rend compte que le CNT n’est pas organisé et que l’harmonie ne règne pas en son sein », déclare Saad Djebbar, avocat algérien basé en Grande-Bretagne, qui a travaillé naguère pour le gouvernement Kadhafi concernant le règlement de l’affaire de l’attentat de Lockerbie.

CORRUPTION

Alors que tout manque actuellement dans le pays, de l’eau à l’électricité et aux denrées de base, le CNT est confronté à une crise de confiance.

« Les gens sont heureux que le régime soit tombé, mais la réalité est plus complexe. Le chaos auquel on assiste pour ce qui est des services, de l’eau et de l’électricité peut aussi s’appliquer sur les plans politique et militaire », estime Feitouri.

Les 40 membres du CNT, dont la composition reflète un équilibre entre un besoin de consensus et la recherche de compétences, se sont heurtés dès le début à la difficulté de concilier les ambitions démocratiques des jeunes avec la position des catégories d’âge plus avancées qui redoutent que l’ordre social traditionnel du pays ne soit bouleversé.

« Les rebelles de tous horizons, de toutes tribus se sont rassemblés sous une même bannière pour faire tomber le régime, mais leurs divergences de longue date commencent à apparaître maintenant qu’ils ont atteint leur objectif », résume Feitouri, pour qui il y a conflit entre les jeunes insurgés et les chefs du CNT, qui appartiennent à une génération plus âgée.

Le fait que les dirigeants du CNT, y compris son président, Moustafa Abdeljalil, n’aient pas encore quitté Benghazi pour Tripoli dix jours après la chute de la capitale (et notamment pour l’Aïd el Fitr, qui marque la fin du ramadan), soulève certaines questions. Les Tripolitains sont stupéfaits en outre de voir leurs dirigeants passer une bonne partie de leur temps à l’étranger.

Aussi Saad Djebbar en conclut-il que « les révolutionnaires anti-Kadhafi se complaisent aujourd’hui dans le luxe. L’Occident doit rester très attentif à ce qui se passe en Libye, sans quoi la corruption qui prévalait depuis longtemps demeurera ».

Reuters