Djaâfar Bensalah est journaliste au bureau d’El Khabar à Oran. Il a participé à la manifestation du 12 février à Oran organisée par la CNCD-Oran et qui a été sévèrement réprimée par la police. Il a lui même été victime des coups des CRS et embarqué comme d’autres citoyens venus manifester pacifiquement.
Voici son témoignage.
Algerie-Focus.Com : Quelles sont les raisons qui ont motivé ton adhésion à l’appel de la CNCD et donc ta participation à la manifestation du 12 février à Oran?
Djaâfar Bensalah: Une dynamique de changement pacifique ne se refuse pas, après 19 années de matraquage continu et de viol des foules. Par l’usage de la répression, le pouvoir creuse sa propre tombe, parce qu’il se prive d’institutions d’intermédiation pour négocier des solutions aux problèmes posés par la société, encourageant par la même l’irruption de la violence et la multiplication de foyers de tension sociale.
Je crains à ce propos que l’étouffement de mouvements pacifiques et structurés ne débouche sur un face–à-face, forces de sécurité et jeunes émeutiers avec des coûts en vies humaines et matériels. C’est en cela que les actions de la CNDC sont salvateurs pour le pays et son devenir immédiat.
(Djaffar Bensalah à gauche en compagnie de l’opposant égyptien anti-Moubarak khaled Abou Nadja)
Y avait-il d’autres journalistes, des universitaires,… à la manifestation ?
Il y avait en effet beaucoup de journalistes, des universitaires, des manifestants d’horizons divers et de différentes couches sociales. Mais ce qu’il faut retenir c’était la présence remarquée d’une jeunesse déterminée à arracher ses droits pacifiquement; plusieurs d’entre eux ont été embarqués par les policiers et roués de coups pour avoir osé manifester avec des chants et des spectacles de théâtre et des banderoles transformant la Place d’Armes en lieu festif. Ces jeunes n’arrivaient pas à s‘expliquer les raisons de cette répression, eux qui ne voulaient qu’utiliser un droit constitutionnel. Ils comptaient se démarquer des casseurs et donner une leçon de civisme, aux décideurs.
Les oranais sont-ils venus nombreux à la manifestation ?
Oui il y avait du monde, mais le dispositif policier s’est employé à empêcher que des citoyens rejoignent les organisateurs du rassemblement. Ces derniers se sont vus arracher de simples pancartes où il était écrit « non à la hogra- système dégage – corruption barrakat … » considérés par le régime comme « des armes de destruction massives ».
Personnellement, je considère que quel que soit le nombre des manifestants, l’action a été une réussite et a eu le mérite de briser « le mur de la peur » et de permettre se réapproprier l’espace public, après les effets néfastes d’un règne méprisant le peuple et étouffant toute voix discordante.
Les citoyens d’Oran ont prouvé leur adhésion au changement démocratique malgré les discours à relents racistes et xénophobes à l’encontre des animateurs de la CNCD-ORAN distillés par le pouvoir et ses relais dans la presse « parapublique » engraissés par la manne publicitaire de l’Anep et des « bons à imprimer gracieusement » dans les rotatives publiques leur « tracts» dénués d’éthique et de déontologie.
Comment la manifestation s’est-elle déroulée, on parle de répression sauvage et des arrestations ?
Elle a bien commencé mais la réaction répressive du régime n’a nullement surpris les organisateurs pacifiques sachant que la violence est le seul langage qu’affectionne un pouvoir issu d’un « putsch » depuis l’indépendance et qui est l’antithèse de la souveraineté populaire. Il y a eu des arrestations par dizaines, surtout parmi les jeunes manifestants dont des mineurs. Ils ont été roués de coups et abreuvés d’insultes avant d’être embarqués dans des fourgons.
Cibler les jeunes était une façon de freiner la machine du changement comme cela se passe en Égypte et en Tunisie. Leurs arrestations m’ont vraiment choqué.
Tu as été molesté comme d’autres journalistes par la police, peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
Mon arrestation est intervenue suite à ma tentative d’intercéder en faveur d’une universitaire et militante du mouvement associatif Fatima Boufenik qui était à terre au milieu des bottes des CRS qui voulaient l’embarquer à tout prix, parce qu’elle scandait « corruption, hogra, barrakat ».
C’est à ce moment que j’ai été embarqué manu militari par une escouade de CRS avec un chapelet d’insultes et de coups sur la tête pour être jeté, pour la pour la première fois de ma vie, dans un fourgon cellulaire. La déclinaison de ma fonction et mon badge de journaliste d’El Khabar m’a valu d’autres insultes et n’a en rien réduit la brutalité des policiers, l’un d’eux m’a même menacé de me coller une affaire « d’atteinte à corps constitué ».
Mon arrestation n’est que le résultat logique du règne de Bouteflika qui s’est attelé, dès sa prise de fonction, à voter des lois liberticides contre la liberté d’expression et de la presse et s’est précipité à bloquer au niveau du Sénat une loi sur la libéralisation de la publicité étatique après son adoption par l’APN, et ainsi utilisé cette arme contre les journaux indociles et non affiliés au pouvoir. Un geste qui renseigne sur la stratégie de Bouteflika et consorts contre l’un des derniers acquis des luttes d’octobre qui ont vu des milliers d’assassinats dont une centaine parmi les gens de la presse.
Y a-t-il d’autres actions en préparation et qui en sont les organisateurs ?
Les animateurs de la CNDC-Oran ont décidé de continuer le combat pacifique pour une Algérie libre et démocratique. A ce propos, un meeting dans une salle est prévu pour samedi 19 février dans la salle « Le Colisée – Essada » à Oran et une autorisation a été introduite dans ce sens au niveau des services concernés pour faire les choses dans la légalité comme cela a été décidé depuis la création de la coordination.
Les animateurs ont décidé également d’organiser un rassemblement devant la salle en question à 10h du matin ou cas où les autorités locales refuseraient de leur octroyer la salle et ainsi prendre à témoins l’opinion publique nationale et internationale sur les véritables intentions du pouvoir concernant sa prétendue ouverture démocratique.
Propos recueillis par Fayçal Anseur