Monopole absolu de l'Internet en Algérie: affaires douteuses et 410 milliards dans la nature

Redaction

tEepad, une affaire typiquement algérienne

Les scénarios des affaires en Algérie se ressemblent. Ils commencent comme un roman à l’eau de rose et se terminent sur un coup de théâtre burlesque. De Khalifa Bank à Tonic Emballage, on a toujours engraissé le mammouth avant de l’achever. L’exemple de la mise à l’arrêt du provider Eepad en est aussi un exemple expressif.

Le 9 octobre 2004, Algérie Télécom (AT) et l’Entreprise d’Enseignement Professionnel à Distance (EEPAD) et fournisseur d’accès privé à internet, ont annoncé la signature d’un partenariat «durable et stratégique» portant sur le haut débit (ADSL), les services prépayés de la téléphonie internationale et les publiphones à carte. Ce partenariat stipulait aussi que Algérie Télécom mettra à la disposition de l’Eepad les capacités de son réseau. Nouar Harzallah, PDG de l’Eepad, a déclaré alors que son entreprise veut «encourager le développement du contenu (portail) et des services à valeur ajoutée tels que le télé-enseignement, la visioconférence et les jeux en ligne ». «Avec le backbone d’Algérie Télécom, on ira très loin », ambitionnait-il.

Que nenni ! A cette époque, les ambitions étaient démesurées ainsi que les appétits dans un marché vierge. « Nous voulons aller au-delà de cette convention parce qu’on croit au développement de cette technologie, d’où l’investissement complémentaire de 20 millions de dollars avec un montage financier des banques étrangères », annonçait à l’époque le patron de l’EEPAD.

AT ou la vache laitière

Dès cette époque les responsables d’AT déclaraient que « les providers, dans leur majorité, se sont enrichis pendant des années sur le dos d’AT en exploitant ses capacités installées, notamment sur les services de téléphonie vers l’étranger, sans pour autant consentir des investissements pour la promotion de l’Internet en Algérie. Et beaucoup des créances d’AT auprès de ces providers n’ont pas encore été jamais honorées ». En octobre 2004, Ahmed Kehili, un responsable d’AT déclarait que «les fournisseurs d’accès à Internet ne cherchent que le gain facile». En effet, à cette époque, les providers s’étaient spécialisés dans le téléphone international via Internet. On parle de centaines de milliards gagnés sur le dos d’AT.

A retenir !

De Khalifa Bank à Tonic Emballage, on a toujours engraissé le mammouth avant de l’achever

Ahmed Kehili a déclaré à ce moment que «lorsque je suis arrivé à Algérie Télécom, j’ai examiné le dossier de l’international et je me suis rendu compte que l’Algérie était classée en dernière position puisqu’un appel international à l’arrivée ne revenait qu’à hauteur de 3 DA la minute. Dès lors, nous avons décidé de revoir cette insuffisante rémunération à la hausse en l’augmentant à 10 DA », précise-t-il. Il accusera frontalement certains providers algériens d’avoir bradé la minute à 1 DA, soit à peine 1 centime de l’euro.

Outre ce fait, le responsable d’AT a démenti l’impact qu’aurait induit la récente révision à la hausse des tarifications pour la boucle locale sur les équilibres financiers des providers. Il incombera également le recul du nombre d’abonnés sur Internet, aux providers privés : « le recul n’est que la conséquence du mode de commercialisation basé sur le profit facile et rapide qu’adoptent la masse des ISP ». C’était en 2004. A côté de lui, M. Harzallah, directeur général d’EEPAD et qui remplissait par ailleurs la fonction de vice-président de l’Association des providers l’AAFSI, conforte les déclarations du responsable d’AT en confirmant «le manque de volonté de la part des providers d’investir dans l’installation, comme une plate-forme pour l’ADSL à titre d’exemple, et se contentent d’intervenir sur des créneaux facilement maîtrisables et fortement rémunérateurs sans que ces domaines apportent de valeur ajoutée ». Il citera en exemple la téléphonie IP, «avec moins de 50 000 euros, il est possible d’installer l’outil pour ce genre d’activité dont le retour sur investissement ne dépasse pas les trois mois ».

Le choix de l’Etat est tombé sur Harzallah et son Eepad. La bénédiction. Certaines agences d’Algérie Télécom connu sous le nom d’ACTEL étaient déjà prêtes à accueillir les clients d’EEPAD. Un tapis rouge a été déroulé pour l’occasion. A cette époque, Nouar Harzallah voyait gros. En fait, l’objectif des trois gros partenariats d’AT avec Eepad, est d’atteindre le million d’accès à l’ADSL en 2008 avec un tarif compétitif, à savoir 1999 DA, et des frais d’accès nuls. Ainsi, le haut débit sera déployé sur 33 wilayas et disponible dans les ACTEL. Il affirme aussi que «l’ADSL marche bien. On a reçu plus de 58 000 demandes. Il y a deux langages, celui des professionnels qui veulent investir et les autres. En démarrant l’ADSL, le ministre a annoncé que le champ est ouvert. Mis à part un ou deux ISP, personne n’a investi ». « On a plus de 700 cybercafés reliés à l’ADSL et qui sont très contents. Le nombre d’internautes a dépassé le million. Nous enregistrons autour du 15-23 ( accès RTC à 1,30 DA/minute) 1400 accès simultanés » précise-t-il. Et les affaires allaient à bon train.


20 avril 2008 date fatidique pour l’Eepad.

Lundi 20 avril 2008, le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, Boudjemaa Haïchour, a annoncé une baisse de 50% des prix de ses offres d’accès à Internet de type ADSL. Quelques jours après, le PDG de l’Eepad, Nouar Harzallah, annonce lui aussi une baisse de 50% pour pallier la fuite de ses abonnés vers AT: «Nous baisserons nos prix pour l’ADSL de 50 % à partir du 1er mai et nous remodèleront nos packs (micro-ordinateur + connexion ADSL) par la mise en place de nouveaux services tels que la télévision et la vidéo à la demande sur la toile ».

50 % de réduction ce qui fera du 512 k/s à 1 250 dinars, soit 250 dinars moins cher que chez AT, en plus de l’offre TV. La baisse de 50 % des tarifs d’accès à l’Internet décidée par le ministre a également entraîné des pertes financières pour les providers qui se chiffrent à «plusieurs milliards de centimes», selon le PDG de l’EEPAD. Cela s’explique, d’après lui, par le fait qu’il y a eu «une application de la baisse sur les ventes de détail, c’est-à-dire en direction des clients, mais pas sur les ventes de gros, c’est-à-dire en direction des providers».

En conséquence, l’EEPAD a enregistré «une perte de plus de 30 milliards de centimes en 2008», a révélé M. Harzallah lors d’un passage sur les ondes de la radio Chaîne III. Quel avenir pour l’EEPAD ? Pas d’avenir. En effet, après des coupures itératives, Eepad a été débranchée, une mise à mort qui prête aussi à discussions.

Pourquoi a-t-on laissé EEPAD s’endetter jusqu’aux oreilles ? Le PDG d’AT, Moussa Benhamadi, a précisé, après la mise à l’arrêt d’Eepad, que les dettes datent d’ «avant la fameuse baisse de 50% des tarifs Internet et que, de toute façon, elle n’est pas le fait d’Algérie Télécom mais du gouvernement. Si dommages il y a, il faut voir du côté du gouvernement », a-t-il tranché lors d’une émission sur la chaine III. Ce qui clôt les tergiversations autour de la dette due à l’entreprise publique, estimée à 3,5 milliards de dinars.

Pourquoi au moment où le plan e-Algérie 2013 a été lancé, on décide de se séparer de l‘Eepad qui pourrait participer massivement à la réalisation d’un tel projet ? D’autres clans au pouvoir saisiront l’opportunité pour s’engraisser sur le dos des fourmis ? L’avenir nous le dira. La rigidité et la bureaucratie des services clientèle d’AT ont déjà surpris les abonnés d’Eepad habitués à plus de fluidité.

Le monopole d’Etat sur l’Internet…est désormais absolu.

B.Mounira