Pour une extension des prérogatives de la Cour des comptes algérienne dans la lutte contre la corruption

Redaction

Les entreprises publiques économiques selon les textes actuels ne sont pas soumises au contrôle de la cour des comptes.

1-Dans tous les pays du Monde où existe un Etat de droit, la Cour des comptes est une institution hautement stratégique.
Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république pendant la période de feu Houari Boumediene), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries* dans les ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le Ministère de l’intérieur ; je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu’elle ne soit instrumentalisée à des fins politiques.

2- Selon Tayeb Belaïz, Ministre de la justice, la Cour des comptes sera réhabilitée et l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption (organe qui a déjà existé mais n’a jamais fonctionné) sera très bientôt installé. Selon la Constitution (JORADP N°76 du 8 décembre 1996 modifiée par : Loi n°02-03 du 10 avril 2002 JORADP N°25 du 14 avril 2002 Loi n°08-19 du 15 novembre 2008 JORADP N°63 du 16 novembre 2008) Art. 170 : il est institué une Cour des Comptes chargée du contrôle à posteriori des finances de l’Etat, des collectivités territoriales et des services publics. La Cour des comptes dirigée par un président nommé par le président de la république assisté d’un vice président, établit un rapport annuel qu’elle adresse au Président de la République.

La Cour des comptes est organisée en chambres à compétence nationale (au nombre de huit), et en chambres à compétence territoriale (au nombre de neuf) et une chambre de discipline budgétaire et financière. Au terme de la loi, la chambre de discipline budgétaire et financière (CDBF) est compétente pour juger et sanctionner certaines fautes ou irrégularités commises par les gestionnaires publics et agents assimilés ayant causé un préjudice certain au trésor public ou au patrimoine des organismes publics. Les chambres à compétence nationale sont chargées du contrôle des comptes et de la gestion financière des ministères, le contrôle des établissements et organismes publics de toute nature dépendant d´un ministère ou recevant des subventions inscrites à son indicatif ainsi que le contrôle des entreprises publiques économiques dont l´activité est liée au secteur couvert par ledit ministère.

Les chambres à compétence territoriale sont chargées de contrôler les finances des collectivités territoriales (wilayas et communes) relevant de leur compétence géographique. Les chambres territoriales peuvent également contrôler les comptes et la gestion des organismes publics auxquels les collectivités territoriales concèdent des concours financiers ou détiennent partiellement ou majoritairement leur capital. Les chambres territoriales sont réparties ainsi :- a)- Annaba- Annaba, Skikda et El-Taref Guelma, Souk-Ahras, Tébessa, Oum El Bouaghi- b)- Constantine- Constantine, Mila, Jijel Batna, Biskra, Sétif, Khenchla- c) Tizi-Ouzou- Tizi-Ouzou, Bejaia, Boumerdès, Bordj Bou Arréridj, M’sila, Bouira-) Blida- Blida, Ain Défla, Médéa, Chlef, Djelfa, Tissemsilt- e) Alger- Alger, Tipasa- f)Oran- Oran, Mostaganem, Relizane, Mascara, Saida- g) Tlemcen- Tlemcen, Sidi Bel abbés Ain-Temouchent, Tiaret, Naâma- h) Ouargla- Ouargla, Ghardaia, Laghouat. Illizi, El oued, Tamenghasset -i) -Béchar- Béchar, Tindouf, Adrar, El bayadh. Elle est donc bien répartie spatialement.

3- Institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l’Etat (article 2) étant une institution à compétence administrative et juridictionnelle (article 3), la Cour des comptes assiste le Gouvernement et les deux chambres législatives (APN- Sénat) dans l´exécution des lois de finances pouvant être saisie par le Président de la République, le Chef du gouvernement ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale.

Outre que depuis des années, la cour des comptes remplit très partiellement ces missions de contrôle budgétaire et d’efficacité de la dépense publique, et d’assistance des deux chambres du parlement, dans les dispositions de la loi actuelle, la Cour des comptes peut-elle jouer son rôle de lutte contre la corruption qui touche principalement les entreprises publiques ? C’est qu’en moins de 20 ans, les textes régissant le fonctionnement de l’institution ont changé à trois reprises (lois 80-O5, 90-32, 95-20).

La dernière ordonnance n° 95/20 du 17 juillet 1995 relative à la cour des comptes stipule dans son article 7 que « sont soumis au contrôle de la cour des comptes les services de l’Etat, les collectivités territoriales, les institutions, les établissements et organismes publics de toute nature assujettis aux règles de la comptabilité publique », et dans son article 6 « elle apprécie la qualité de leur gestion au plan de l’efficacité, de l’efficience et de l’économie et recommande à l’issue de ses investigations et enquêtes toutes mesures d’amélioration qu’elle estime appropriées ». Sous tendant ainsi que selon la loi 90/21du 15 août 1990 relative à la comptabilité publique et la loi 88-01 du 12 janvier 1988 portant orientation des entreprises publiques économiques et 88-03 de la même date portant sur les fonds de participations que les entreprises publiques ne sont pas de ses prérogatives, contrairement aux précédentes lois régissant cette institution, qui stipulaient par le passé, que la Cour des comptes est une juridiction administrative chargée principalement de juger la régularité des comptes publics, contrôler l’usage des fonds publics par les ordonnateurs, les entreprises publiques, ou même les organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État, et enfin d’informer le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la conformité des comptes.

Ainsi selon l’actuelle ordonnance régissant les prérogatives de la Cour des comptes, les entreprises publiques commerciales ne sont pas soumises à la comptabilité publique, y compris Sonatrach, qui est une société par actions, mais à la comptabilité commerciale et aux règles de la faillite telles que définies par le code de commerce.

4- Le législateur ayant raisonné comme si l’Algérie était déjà dans une économie de marché dominée par l’entreprise privée, alors que l’Algérie depuis 1986 est toujours en transition, ni économie de marché, ni économie planifiée. C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, avec une tendance nettement affirmée, depuis 2007, à un retour à la gestion administrée bureaucratique, posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences ministérielles donc du politique.

Dans ce cas la responsabilité n’est-elle pas collective ? Cela explique la volonté de certains segments du pouvoir de renforcer l’inspection générale des finances (IGF) au détriment de la Cour des comptes, mais l’IGF pouvant être juge et partie car dépendant d’un département ministériel en l’occurrence le Ministère des Finances et donc de l’exécutif. Or, la cour des comptes est placée sous la haute autorité du président de la république pour plus d’autonomie plus d’indépendance et d’autorité et ce comme dans la majorité des pays développés et émergents. Aussi pour être en conformité avec les textes législatifs actuels et éviter son gel actuel préjudiciable aux intérêts du pays, comme en témoignent les scandales financiers à répétition et cette corruption socialisée touchant tous les secteurs de l’administration et les entreprises publiques, devenant un danger pour la sécurité nationale. Dans un Etat de droit censé respecter la loi, des amendements de la cour des comptes par l’APN sont nécessaires pour stipuler d’une manière claire, et ceci afin d’éviter toute ambigüité, que toute entreprise publique ou privée ayant le concours du budget de l’Etat est soumise à son contrôle. Cela suppose également la revalorisation du statut des magistrats composant la Cour des comptes.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL, économiste.

* Les surestaries sont des indemnités que l’affréteur doit payer au propriétaire du navire, dans un affrètement du voyage, quand les temps de chargement et/ou déchargement dépassent le temps de planche prévu dans le contrat de voyage.