Trouver un emploi dans son pays d’adoption n’est pas de tout repos. Malgré leurs diplômes, leurs expériences et leurs compétences, les Algériens qui ont immigré à Montréal avec l’espoir de décrocher un meilleur emploi se sont vus confronter à une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.
Rares sont le migrants algériens à travailler dans leur domaine d’études. Cela est principalement dû au fait que leurs diplômes d’origine ne sont pas reconnus par le Québec. Mais cette non-reconnaissance des diplômes apporte une autre problématique. En effet, l’exercice de certaines professions est réglementé par un ordre professionnel. Or, pour l’intégrer, les diplômes doivent être reconnus. Les médecins, les ingénieurs, les pharmaciens, les infirmières et les psychologues ne sont que quelques exemples de métiers régis par des ordres professionnels. Cette double inaccessibilité en décourage plus d’un à rester dans leur domaine.
Abderrahim Alachaher fait partie de ceux-là. Détenteur d’un doctorat français en génie civil et incapable de trouver un emploi en France, il s’aventure à Montréal. Mais un obstacle l’attendait. « À ma grande surprise, il fallait intégrer l’ordre des ingénieurs du Québec », se souvient-il. Comme sa formation lui permettait également d’enseigner dans les universités, il postule ensuite auprès de celles-ci, mais des diplômes canadiens lui sont demandés; les diplômes français n’étant pas reconnus. « Je n’avais aucune chance à moins de refaire toutes mes études. Alors j’ai oublié ma formation et je me suis recyclé dans le commerce », fait-il savoir. « Pour le moment, je ne regrette pas. Je travaille à mon compte. Je suis libre et autonome. Je suis maître de mes ressources. Je peux travailler toute la journée comme je peux ne pas travailler pendant toute une journée. Je peux engager des personnes qui travailleront pour moi, bref, je n’ai de compte à rendre à personne. C’est le vrai bonheur », s’exclame-t-il.
Recommencer à zéro
M. Alachaher est Montréalais depuis plus de 14 ans. Il est devenu le propriétaire du Marché Cordoba en 1999, tout juste un an après avoir immigré dans la métropole. C’est parce qu’il est arrivé au Québec avec quelques économies en poche qu’il a pu investir dans un commerce. Seulement, d’autres ne sont pas aussi prévoyants. En effet, plusieurs immigrants d’origine algérienne s’établissent à Montréal avec un diplôme et une expérience professionnelle sous la main, mais sans un sou de côté en cas d’échec dans leurs recherches d’emplois. Ils aimeraient eux aussi concrétiser d’autres projets professionnels, mais sans réserve d’argent, ils se retrouvent coincés. Ils se contentent donc d’un choix restreint. « Soit ils poursuivent leurs recherches d’emplois, soit ils s’inscrivent au bien-être social, soit ils travaillent au noir pour éviter de payer des impôts et des taxes. En général, ce sont les couples avec des enfants qui doivent aller jusque-là parce qu’ils ont beaucoup de dépenses », signale M. Alachaher.
Le fondateur de l’association Le Petit Maghreb, Nacer Boudi est un ingénieur de troisième cycle en énergie solaire. Tout comme pour M. Alachaher, l’ordre des professionnels fut un obstacle infranchissable. Il ouvrit donc, lui aussi, un commerce. « Je me suis reconverti et je ne m’en plains pas. La réalité est ainsi », dit-il tout simplement. « Notre génération s’est retrouvée à devoir recommencer sa vie à zéro. Les médecins, les ingénieurs, tous ces gens de l’université ont dû pour la majorité se reconvertir en chauffeur de taxi ou en commerçant étant donné la non-reconnaissance des diplômes et l’inaccessibilité des ordres professionnels », explique M. Boudi. Il précise que la majorité de cette génération a des enfants et doit subvenir à leurs besoins, ce qui n’aida pas leur cause. « S’ils reprenaient leurs études à zéro, ils empilaient les dettes. Le choix était donc à la fois facile et imposé, c’est-à-dire qu’il valait mieux pour eux de créer leur propre emploi, tout en doublant leurs compétences. Ils se sont donc tournés vers les petits métiers comme chauffeurs de taxis, manufacturiers, commerçants, bouchers, etc. », indique-t-il. De leur côté, les femmes ont plutôt tendance à ouvrir une garderie.
Étudier à Montréal
En quittant l’Algérie pour Montréal, Abdenour, un Algérois de 33 ans a voulu mettre toutes les chances de son côté en y poursuivant ses études. Étudiant en ingénierie, il a choisi de suivre ses cours en anglais. « Il y a beaucoup d’opportunités d’emplois ici lorsqu’on est bilingue de langue française et anglaise », évoque-t-il. À vrai dire, Abdenour et les enfants d’origine algérienne nés au Canada auront davantage l’occasion de réaliser leurs objectifs professionnels, par le simple fait d’avoir mené à terme leurs études sur leur terre d’adoption. « Et il faut dire ce qu’il en est, c’est mieux pour nos enfants d’étudier ici, car l’enseignement est de meilleure qualité », affirme M. Boudi. Abdenour est d’ailleurs du même avis. « Je préfère étudier au Québec parce que la méthodologie est claire et structurée. Tout est dirigé pour que l’on réussisse, alors qu’en Algérie même le système scolaire est saboté », souligne-t-il.
Scolarisés, mais au chômage!
Les Algériens ont beau avoir un cursus scolaire plus complet que les Québécois, ils sont moins nombreux qu’eux sur le marché du travail. En effet, les membres de la communauté algérienne s’exposent à un taux de chômage trois fois plus élevé que celui des Québécois (20,1 % contre 7 %). « C’est vraiment dommage, car on se rend compte que la plupart des commerçants sont des gens hyper diplômés, mais qui ne trouvent pas de travail parce que leurs diplômes d’origines ne sont pas reconnus », confirme Anie Samson, maire de l’arrondissement Villeray-St-Michel-Parc Extension. Malgré ces embauches, Mme Samson souligne que l’orgueil, la fierté et l’indépendance des Algériens font en sorte qu’ils réussissent tout de même à s’intégrer sur le marché du travail.
Effectivement, la plupart des Algériens ne font pas marche arrière et s’adaptent. Ils n’ont pour la plupart pas d’autres choix que de vivre avec cette réalité et de résister. Mais pendant ce temps là, la matière grise des immigrés algériens n’est pas exploitée à bon escient par le Québec et cela pourrait engendrer d’importantes conséquences sur les générations futures de cette communauté. « Il ne faudra pas s’attendre à beaucoup de la part de nos enfants s’ils ne peuvent pas voir leurs parents travailler dans leur domaine, car tout cela est une forme de découragement indirect », soutient un immigrant algérien. Ce dernier enseignait au parascolaire dans son pays. Il est désormais employé d’une pharmacie, un endroit où il n’aurait jamais pensé travailler en s’installant à Montréal. « J’espérais de meilleures conditions de travail en venant ici », avoue-t-il sur un ton déçu.
Tous ne s’arrêtent pas à cette vision négative du futur de la nouvelle génération. Bien qu’il n’ait pas exercé le métier pour lequel il a étudié tant d’années, M. Alachaher a pu gérer un commerce. Il est convaincu que des parcours comme le sien peuvent être un modèle pour les enfants. « Je voulais réussir ma vie et malgré les obstacles, je crois que c’est le cas. Je veux transmettre cette réussite à mes enfants, car je veux qu’ils réussissent autant professionnellement que personnellement », mentionne-t-il.
Une perte pour le Québec
Tous ces Algériens qui ne travaillent pas dans leur domaine sont une perte pour le Québec. La barrière des ordres professionnels et la non-reconnaissance de leur diplôme d’origine les freinent. Cependant, M. Boudi croit qu’il est possible de trouver une solution plus efficace que de renvoyer tous ces Algériens sur les bancs d’école, car d’après lui, les ajustements à faire ne sont pas d’ordre théorique, mais d’ordre pratique.
Par exemple, pour les médecins, M. Boudi propose qu’on leur permette d’accomplir un stage au sein des hôpitaux afin de les entraîner dans les conditions de travail du Québec pendant une période donnée. Leurs compétences pratiques et théoriques pourraient ensuite faire l’objet d’une évaluation, puis selon les cas, d’une validation. M. Boudi suggère également que ces stages soient effectués dans les régions, là où c’est plus difficile de garder les médecins. « Un médecin, ça devrait travailler à l’hôpital, pas dans un commerce ou un taxi », fait-il remarquer.
Cette proposition pourrait être envisagée pour plusieurs autres professions et combler une pénurie de main-d’œuvre qui frappent de plein fouet divers secteurs, et ce, tout en réduisant le taux de chômage.