Quelle marge de manœuvres du gouvernement algérien pour une nouvelle gouvernance locale face à la pression des tribus ?

Redaction

Les dossiers de refonte des codes des APC et de wilayas sont à l’étude actuellement en conseil du gouvernement. La rivalité entre plusieurs tribus de toutes les régions du pays pour la création de nouvelles wilayas revient à l’ordre du jour en ce mois de mars 2010 pouvant dégénérer en violences. Aussi face à la pression des tribus, quelle marge de manœuvre du gouvernement algérien pour une nouvelle gouvernance locale ? C’est l’objet de cette modeste contribution qui se propose d’analyser la nature des équipements anthropologiques qui peuvent, soit constituer des éléments de résistance très fortes à la mise en œuvre des réformes, soit représenter – quand ils sont judicieusement utilisés – un atout pouvant garantir la réussite de ces dernières.

1- Mutations sociales et résistances aux réformes

Les déplacements massifs des populations des campagnes vers les villes durant la guerre de libération nationale, l’exode rural tout aussi massif qui a suivi la proclamation de l’indépendance et le recours systématique à la main d’œuvre d’origine rurale pour répondre aux besoins grandissants d’une industrie en pleine expansion, ont eu pour effets de modifier les paysages ruraux et urbains et d’introduire dans les tissus urbains et périurbains – à l’intérieur donc des villes et dans leurs périphéries immédiates – des équipements anthropologiques et culturels qui pèseront de tout leur poids de 1963 à 2010 et certainement encore pour longtemps .

A un autre niveau, il convient de relever que les mutations sociales générées par le modèle de développement que l’Algérie a choisi d’appliquer dès la fin des années soixante ont provoqué l’émergence de couches moyennes – urbaines principalement – instruites, particulièrement actives dans la sphère de l’économie et de l’éducation, franchement ouvertes sur le monde et porteuses d’ambitions avérées en matière de participation politique. La décennie 1980 a vu l’émergence d’une couche sociale activant dans la sphère d’une économie informelle de plus en plus vigoureuse et d’un dynamisme particulièrement agressif et qui s’est déployée sans contrainte entre des espaces urbains et périurbains.

Les retombées économiques et sociales des réformes de la première génération et notamment les dévaluations successives du dinar après la cessation de paiement ( rééchelonnement de 1994, effet de la crise de 1986 qui verra l’effondrement des cours de pétrole de près de 70% du fait que le fondement de l’économie algérienne repose sur la rente) ), la crise politico-sécuritaire aidant, les années 1990 verront le laminage dramatique des couches moyennes précédemment citées et, en quelque sorte leur désarmement politique. Or, ce sont ces couches sociales industrieuses et porteuses d’une modernité politique enracinée dans l’espace social et national qui font cruellement défaut aujourd’hui aux réformes.

C’est leur renaissance, et la consolidation de leur poids économique – à partir des activités productives ou de services de la sphère des petites et moyennes entreprises – qui leur permettront, à travers une société civile assainie et revigorée, d’apporter les soutiens politiques nécessaires à la réussite des réformes structurelles.

Les réformes, qu’elles soient économiques ou politiques, pourront recevoir aussi un soutien inattendu et tout aussi bénéfique des couches sociales qui sont aujourd’hui efficacement encadrées par des structures organisationnelles construites de longue date à partir des équipements anthropologiques et culturels qui sont propres aux différentes régions du pays.

Tout projet de société ou toute entreprise visant au changement social ou politique se doit de passer par une lecture approfondie et sans complaisance du patrimoine anthropologique culturel de la société, objet du projet, et identifier – à travers les liens de parenté, de filiation religieuse, d’alliance ou d’intérêt purement économiques –, les enjeux de pouvoir que ces derniers véhiculent et qui, bien ou mal pris en charge, ne seront pas sans conséquences sur l’aboutissement de ce projet ou de cette entreprise.

2- L’histoire relative à la gestion coloniale des populations et des territoires, fondement de la compréhension de la structure sociale

Il était traditionnellement établi dans les passations de consignes et de pouvoirs entre les administrateurs du système colonial en Algérie quand ils changeaient de département, de mettre en exergue un document pièce-maîtresse de la gestion de l’espace et des hommes : le rapport concernant les structures de parenté, les liens assabiens, et les poids des notabilités locales et leurs prédispositions à soutenir ou dans le cas échéant à informer, les autorités coloniales de l’état d’esprit des indigènes (leur docilité, leurs liens avec d’éventuels agitateurs et surtout les comportements des hommes de cultes et des spiritualités locales telles les zawaya).

a- La tribu et la colonisation

Tous les genres de la littérature coloniale, droit, histoire, romans ou récits de voyages se forcent chacun de son côté de saisir le secret de cette structure fondée sur une synergie assabienne, une hiérarchie parentale et une identité patrilinéaire solide. Les théoriciens de la sociologie des pays dits « sauvages » et « sans culture » l’ont placée au centre de leur débats jusqu’au point où elle est devenue pour l’élite des pays indépendants synonyme et cause de leur sous développement.

La formation des Etats nationaux dans le monde arabe a vilipendé cette structure, mais en dépit de ces discours, l’Etat national tant dans sa formation que dans sa déformation a toujours trouvé l’action des équipements anthropologiques de la tribu sur son chemin. Les modernisations politiques et économiques se sont heurtées à cet ordre qui arrive toujours à trouver les parades pour travailler l’individu et le modeler dans les sillages de ses profondeurs identitaires. Pour ne pas trop détailler la question, remarquons tout simplement que la faillite du nationalisme assabien en Algérie a ouvert la voie à l’émergence de deux phénomènes structurant la société en profondeur :

l’islamité identitaire qui, par le truchement idéologique des assabiates partisanes, a conduit à l’islamisme radical et dévastateur,

la tribalisation des partis politiques a, avec l’indigence de la pensée politique en Algérie, conduit aussi à une perversion structurelle de l’idée de « Parti ».

Quand nous analysons de très près les choses, la tribalité algérienne a tout ravagé dans son passage. Les sphères de l’économie publique et privée ont tout simplement sacrifié la bureaucratie organique et les hiérarchies des compétences au profil d’un clientélisme tribal et parental qui a réduit au minimum la rationalité de gestion et handicapé les capacités de production.

En Algérie, la question n’est pas dans « le retour des tribus » car elles n’ont jamais quitté la scène sociale et politique, mais dans « le retour aux tribus » et c’est ce « retour aux tribus » qui par la force des choses constituera alors une donnée à ne pas négliger.

b- La zaouia et la colonisation

Au moment du déclenchement de la révolution et en dépit de la ferveur révolutionnaire et jihadienne ambiante, l’esprit assabien certainement métamorphosé en force positive, n’était pas totalement absent. Et la lecture des rapports et documents de l’entreprise coloniale, accessibles actuellement, nous renseigne sur :

a- sur la nature des « équipements anthropologiques » de l’identité algérienne qui partagée entre le référent khilafien, la fragmentation du territoire, la désagrégation du confrérisme, n’a pas su et pu engager et enclencher une résistance nationale intégrale et intégrante ;

b- sur les logiques et la nature des structures mentales des communautés territoriales

c- sur le poids du sacré, sa nature, ses discours et ses enjeux

d-le poids de la parenté et son influence dans la production des pouvoirs locaux

e- sur l’organisation de l’espace public et la profondeur de la fragmentation

f- sur la matrice peu féconde de la notion de l’Etat central et l’ambiguïté de l’Etat- Nation

g- sur l’indigence de l’élite et le caractère peu générateur du concept de l’urbanité

h- sur la puissance de l’idée assabienne

La révolution algérienne a pour la première fois dans l’histoire du resistancialisme algérien, réussi avec succès et bonheur à noyer plus ou moins le assabisme (arouch, tribus, confréries) et neutraliser momentanément son épine et ses nuisances. Le charisme jihadien a cédé face au charisme assabien. Le slogan, « un seul héros le peuple » marquait en fait le rejet momentané de toute ghalaba et de toute assabia. Le peuple a été subjugué par un fraternalisme enchanteur.

3- Les structures tribalo-confrériques : tableau de bord vital pour une gestion politique pragmatique et féconde

La gestion politique des corps sociaux qu’ils soient modernes, traditionnels ou même archaïques doit appréhender ces corps comme ils sont, dans leurs structures, leurs codes et leurs forces agissantes, apparentes ou dormantes. L’efficacité de l’ordre politique ne réside pas dans le maquillage de ses discours mais dans le maillage judicieux et positif de ses corps sociaux et la maîtrise de ce qui est imprévisible dans leurs actions et dans les réactions aux stimuli qu’ils reçoivent.

L’essence de la gouvernance réside dans la capacité de ses appareils à maîtriser les équilibres dynamiques pour qu’ils n’aboutissent pas à construire un nouvel esprit de corps qui d’autonomisme en autonomisme, de négociation en négociation engendre un espace ou un discours d’autonomie politique qui souvent hypothèque la concrétisation des projet de réformes ou de changement.

La marginalisation subie par les cultures populaires algériennes, la négligence et le manque d’intérêt pour le champ religieux, ont préparé le champs gratuitement pour des forces occultes qui ont vite fait de concurrencer l’Etat dans ce domaine vital de la politique et de la souveraineté. Il s’ensuit que le pilotage de toute action, notamment la construction des opinions, le tissage des alliances et enfin l’orientation des opinions dépendent de deux paramètres, l’un administratif et l’autre spatial.

a- L’administration

Si l’administratif a durant la période coloniale et post-coloniale structuré le rapport population / autorité administrative, qu’elle relève du Ministère de l’intérieur ou des autres pouvoirs publics, aujourd’hui avec la démocratie, l’administration des populations locales doit reposer sur d’autres considérations et recourir à d’autres outils. Elle appelle une nouvelle méthode dans le domaine de la gestion administrative et de la communication. Cette dernière est d’ailleurs le point faible de l’administration algérienne.

A cet effet, l’administration a perdu de sa crédibilité et peut, par ses comportements autoritaristes, provoquer à elle seule une crise qui entacherait la régularité d’un scrutin sans que personne ne trouve à dire. Il est conseillé de faire un effort qui doit être médiatisé à outrance pour qu’apparaisse publiquement la neutralité de l’administration, quitte à prévoir des scénarios médiatiques dans ce sens comme le fait de sanctionner formellement toute action qui irriterait l’opinion.

Depuis quarante sept ans l’administration algérienne a été, ne serait-ce que dans l’esprit des citoyens, un outil qui a toujours fabriqué les élections. Cette entreprise est certes difficile, mais réalisable, si nous déterminons les moyens, nous définissons les acteurs et nous traçons la stratégie (temps, lieux) comme nous avons essayé de le démontrer précédemment.

b- L’espace : l’organisation et les enjeux

Si l’organisation administrative de l’espace est souvent source de conflits et concurrences, les hommes eux vivent un rapport plus fécond et plus harmonieux avec leur espace qui n’est pas celui de l’administration comme l’a démontré brillamment Hernando DE SOTO sur « Etat de Droit et sphère informelle » dans l’ ouvrage du Docteur Abderrahmane MEBTOUL – ‘‘L’Algérie face aux enjeux de la mondialisation – perspectives 2010: bonne gouvernance, démocratie et économie de marché’’ (Editions Dar El Gharb, 2004 en trois langues arabe-(anglais- français largement diffusé au niveau international ).

Dans notre histoire, ce sont les hommes avec leurs équipements anthropologiques (identitaires) qui ont façonné les espaces. Nous avons à l’Ouest de grands espaces historiques qui n’ont jamais été pris en considération dans les découpages administratifs : El Watan Arrachidi, qui regroupe la wilaya de Mascara et des parties des wilayate de Mostaganem, de Bel Abbès, de Relizane ; le Tiout qui regroupe la wilaya de Naama, des parties de Saida, de Tlemcen (El Aricha) ; le Touat qui regroupe les espaces adrariens et une partie de Bechar.

Ces identités spatiales qui auraient pu être prises en considération dans les découpages ont des configurations ethniques où se tissent des alliances et s’imposent à la population par le biais du jaillissement des manifestations du sacré tant dans le temps que dans l’espace (Waadate, Mawassimn saints, folklore).

Ces espaces et leurs codes imposent des comportements plus disciplinés. Ces comportements négocient souvent des espaces d’autonomie face aux contraintes de l’administration et les clientélismes qu’elle a engendrés. L’importance pour le cas des wilayates de l’Est du pays des tribus chaouies n’est plus à démontrer avec des liens solides allant de Batna à Tébessa en passant par Oum Bouaghi .

Si anthropologiquement et historiquement un ombre important de tribus berbères a accompagné les armées musulmanes dans la conquête de l’Andalousie, beaucoup de poches et de segment arabes se sont installés. Et une certaine osmose entre les segments s’est produite qui s’étant terminée par une « chaouisation des arabes et une arabisation des chaouis ». Ainsi on peut dire que l’Est algérien est structuré tribalement et spatialement à partir des deux référents, arabe et chaoui c’est-à-dire berbère.

En ce qui concerne une région importante, la Kabylie, il est utile d’analyser la réintroduction de la sémantique politique des Ourouch. Le Arch , pluriel ourouch est d’abords un mot arabe qui renvoie à deux significations majeures : le trône qui est synonyme de pouvoir et d’autorité et ensuite le Arch renvoie à une structure anthropologique qui fonde un rapport de parenté et une organisation sociale fondée sur la parenté et sur les alliances structurée autour de plusieurs tribus liguées et soumises dans un cadre consensuel à une autorité collégiale dirigée par un patriarche non pas élu mais désigné sur la base d’un ensemble de critères (la sagesse, l’âge, le hassab, le nassab, la spiritualité, le karam et la puissance de la chouka de sa tribu).

Le concept d’élection n’a jamais fait partie de la tradition ourouchienne. Seuls le mérite admis, la générosité reconnue, la sagesse confirmée, la droiture remarquée et l’âge annoncé, permettaient au représentant de chaque segment de siéger, non pour défendre des intérêts segmentaires mais pour gérer les intérêts communs du arch (mariage, dia, crime de sang, solidarité, guerre). Globalement, la structure ourouchienne fait partie du patrimoine organisationnel maghrébin. Et c’est ce patrimoine qui a structuré tout le résistancialisme jihadien et contre lequel la machine coloniale a trouvé les pires difficultés.

Concernant justement l’anthropologie des Ourouch, il est peut-être utile de revenir à l’analyse khaldounienne. L’Arch est une structure de parenté et d’alliance transtribale, mais qui prend sa différence comme chez les Arabes à partir des facteurs écologiques, sans que cette différence atténue le poids de la parenté. Les Ourouch des écologies et des économies agraires et rurales ressemblent globalement à un petit conseil ou la représentativité dépend du poids des segments tribaux (parenté) et d’autres équipements anthropologiques. C’est un peu le modèle des Arabes qui vivaient avant l’islam dans quelques Oasis de l’Arabie.

Il est donc important pour toute politique socio-économique fiable pour l’Algérie outre de cette rente des hydrocarbures, ressource éphémère expliquant les réserves de change et les dépenses monétaires sans précédent depuis l‘indépendance politique qui irriguent l’ensemble du corps social, de tenir compte donc de ces référents anthropologiques comme le montre les expériences réussies de certains pays émergents qui ont réussi à concilier leurs traditions et l’ouverture sur la modernité, étant entendu que ce concept est historiquement daté comme le montre le cycle des civilisations depuis que le monde est monde. Car, la tendance à diaboliser les anciennes structures sociales n’est que l’expression d’abord d’une faillite intellectuelle et le signe d’un manque de clarté politique.

En politique, on ne construit jamais du néant. Nous payons aujourd’hui lourdement les négligences d’une gestion erronée de notre patrimoine ethnologique, spirituel et symbolique. Où sont les signes de notre architecture devenue banale et agressive ? Où est notre culture populaire devenue chétive et marginalisée comme l’ont constaté tous les Algériens avec la médiocrité qui caractérise la télévision algérienne, les grands artistes ayant fuit le pays ?

La relecture d’Ibn Khaldoun et la « revisite » d’Ibn Rochd sont d’actualité pour ceux qui veulent à leur corps défendant faire la part des choses entre les nécessites conjoncturelles de la Dawla, imposées par les relations internationales et les choix intrinsèques de la Oumma qui eux font références à des référents patrimoniaux qui ont fait la grandeur de cette Oumma à savoir le ‘‘ ilm’’ (sciences et savoir) et le jihad. Ainsi, la revitalisation politique de l’écologie rurale nous rappelle bien que l’équation du développement et des modernisations ne peut aboutir que par l’intégration de notre anthropologie culturelle, de ces corps sociaux vivants et actifs comme le signalaient, il y a de cela plus de 7 siècles, Ibn Rochd et ensuite Ibn Khaldoun.

4- Forces sociales émergentes et assabia ethnico-financière

Ces indications sociologiques de régions sont fondamentales pour notre problématique car elles nous renvoient à la structuration sociale actuelle modelée par la assabia ethnico-financière. Car la mobilisation des forces sociales pour ce genre d’entreprise ne sauraient être ceux activant dans des structures administratives et partisanes, mais ceux ayant leur influence sur la gestion du communautarisme ethnique, ceux capables de créer des passerelles inter-ethniques en se basant sur les cultures traditionnelles.

Dans la plupart des grandes agglomérations (Alger-Annaba-Constantine-Oran) nous assistons à un processus d’urbanité plus poussé qui a engendré une ville globalement cosmopolite. La structure est très hétéroclite, mais il n’empêche que tant dans les ceintures rurales qu’à l’intérieur, nous relevons des plaques ethniques assez puissantes que nous pouvons gérer et exploiter à bon escient pour à la fois créer des réseaux favorables aux réformes et réaliser un consensus.

En effet, l’émergence de ces hameaux qui se référent à un lieu dit (village tiartia) renvoie plutôt à un regroupement de parenté et de lignage qui influe sur les choix des populations locales. Cette entreprise de gestion locale, sur la base de la discipline des parentés, est plus utile dans les noyaux ruraux qui entourent ces agglomérations et forment une ceinture de misère qui serait un jour une ceinture de l’insécurité si elle ne l’est pas actuellement. L’animation des gestes communautaristes étouffe les souffles partisans (militants structurés dans des partis ou affiliés à des organisations satellitaires) quand ces derniers sont hostiles aux réformes.

Ces populations ont alors besoin d’une nouvelle structure d’animation électorale qui serait entreprise par l’encouragement d’une entrée en scène des meneurs d’opinion formés pour organiser l’opinion en faveur des réformes en question. Dans ces petits îlots, nous trouvons souvent des leaders d’opinion discrets mais très efficaces. Il s’agit de ceux très respectés qui interviennent volontairement dans la gestion de la vie communautaire. Ils s’agit de ceux qui « font sortir le couscous » pendant les fêtes, ou les enterrements. Ceux qui souvent volontairement interviennent dans la gestion des conflits et l’organisation des mariages et les compétitions sportives. Ceux là forment une sorte de « capital humain » mal exploité mais qui peut servir car souvent marginalisé, soit par les pouvoirs publics, soit par la faune des opportunistes qui squatte la vie politique et la détourne de sa vocation sociale.

Au cœur de la ville, se bousculent économiquement et politiquement quelques segments qui se réfèrent par discrétion à des espaces. Ainsi, de nouveaux segments constituent les arrivants venus s’installer pour des raisons commerciales ou de carrières. Ils ont globalement intégré ces espaces. Les résurgences identitaires et tribales peuvent les conduire à un comportement conservateur surtout qu’à un certain temps ils ont jouit de privilèges importants qui les poussent progressivement à former des lobbys discrets, mais efficaces. Mais d’une manière générale, les jeux de ces segments qu’il faut déterminer et gérer peuvent être considérés comme un atout pour faire avancer les réformes et la modernité.

C’est par rapport à ces référents que s’est constituée la assabia ethnico-financière et dont la structuration sociale évolutive est toujours en gestation. En effet, l’accumulation des richesses a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l’économie et surtout son domaine public.

C’est presque à partir de l’accumulation des richesses dans ce secteur et leur redistribution que s’est construite la structure de classes en Algérie, structuration lente non achevée. Les capitaux douteux, les enrichissements rapides vont faire des diversions. Il s’agit de rassurer sur la nature des réformes à accomplir en montrant que les gagnants de demain seront plus nombreux que les perdants d’aujourd’hui. Car ces richesses sont un enjeu terrible pour les prochaines années et détermineront la pouvoir lui-même, d’où les enjeux actuels dont les scandales distillés, souvent relatés par la presse nationale.

En effet, les richesses en Algérie de 1963 à 2010 (capital argent comme à l’époque mercantile du XV et XVI ème siècle en Europe) à ne pas confondre avec l’accumulation du capital du fait d’entrepreneurs créateur de plus value d’où cette volonté de puissance de construire des villas somptueuses où l’importance se compte par le nombre de pièces et donc de tonnes de béton déversés, par une minorité rentière côtoyant des taudis dans la plupart des villes algériennes. Et ce contrairement à la structuration de l’espace urbain et semi urbain de bon nombre de pays, expliquant que la différenciation des classes sociales est en voie de formation, a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l’économie et surtout son domaine public en fonction des positionnements au sein de la société, des relations tribales, expliquant la faiblesse de véritables entreprenants créateurs de richesses.

Ces richesses, tributaires de relations de clientèles et donc de la redistribution inégalitaire de la rente des hydrocarbures façonnent l’actuelle la structure sociale en Algérie, structuration en mutation non encore achevée , pas de changement dans le fond mais dans la forme entre 1963 et 2010.

Conclusion

Le développement récent en Algérie, tant local que global, montre que la future structuration politique, sociale et économique est et sera à l’avenir largement influencée encore par les équipements anthropologiques en mutation positivement ou négativement selon la gouvernance, tout en n’oubliant pas les effets de la mondialisation du fait des influences socio- cultuelles et donc des interdépendances accrues des sociétés avec la révolution des systèmes des télécommunications ( Internet).

L’analyse anthropologique comme l’a montré brillamment le prix Nobel d’économie l’économiste indien Amara SEN, pour qui il ne peut y avoir de développement durable dans le temps sans démocratie tenant compte des spécificités culturelles, est à prendre en considération. Sa gestion consiste à entreprendre une sorte de carte généalogique de chaque espace et le gérer au cas par cas et non pas en se contentant de positions souvent incertaines ou qui ne le sont plus.

Les gouvernants et les économistes doivent tenir de la morphologie sociale s’ils veulent éviter de greffer des schémas mécaniques sur le corps social qui inéluctablement les rejetterait avec le risque de coûts financiers croissants et de tensions sociales inutiles .

*Abderrahmane MEBTOUL- Docteur D’Etat Es Sciences Économiques
*Mohamed TAYEBI – Docteur D’État En Sociologie- option anthropologie culturelle. Tous deux professeurs d’ Université