Rachid Bouchareb : « France et Algérie doivent écrire l’Histoire ensemble »

Redaction

Après Indigènes, le réalisateur poursuit son évocation des rapports entre les deux pays avec Hors-la-loi, qui a suscité une micro-polémiqueà Cannes, en mai. Il demande de la sérénité dans le débat.
Rencontre

Vous avez été célébré en 2005 pour Indigènes et votre retour à Cannes, cette année, avec Hors-la-loi, a provoqué une manifestation d’anciens combattants d’Algérie. Que s’est-il passé depuis mai ? Vous avez retouché le film ?

Il s’est passé la vie ! J’ai deux autres films en chantier, j’ai travaillé dessus. Et depuis quelques semaines, je suis en promotion de Hors-la-loi. À Cannes, j’ai été un peu surpris de cette manifestation. Mais tout ça était très minoritaire. ça n’est pas la France. Les Français peuvent aller librement au cinéma pour voir des films sur n’importe quel sujet. Quant à retoucher le film, pour qui et pour quelle raison ? Parce que quelques personnes ont dit sans l’avoir vu qu’il posait problème ? Jamais de la vie. Et de toute façon, matériellement ça n’aurait pas été possible.

Comment est venu le projet de ce film consacré aux rapports entre l’Algérie et la France ?

On y a pensé, avec mon co-scénariste Olivier Lorelle, pendant l’écriture d’Indigènes. Nous avions rencontré nombre d’anciens combattants d’Afrique du Nord, rentrés de la 2ème Guerre Mondiale avec beaucoup d’amertume. Le mouvement de décolonisation est parti de là, au lendemain de la 2e Guerre Mondiale et de la Libération. En Algérie, il a pris plus d’ampleur encore après les massacres des manifestants de Sétif par l’armée française le 8 mai 1945. C’est une date importante, considérée aujourd’hui comme le début de la Guerre d’Algérie. Elle s’imposait aussi comme point de départ du film.

Vous avez fait des recherches historiques ?

Nous avons sollicité les témoignages d’acteurs directs de ce qui s’est passé pendant cette période. Nous voulions raconter la petite histoire de ces gens dans le bain de la grande histoire. Comment trois frères, à partir d’un même événement, peuvent faire des choix totalement différents. Nous avons également fait des recherches dans les bibliothèques de Paris.

Et auprès de l’armée ?

Non, je ne l’ai pas sollicitée. Beaucoup pour Indigènes, mais pas pour ce film là. Ça ne nous paraissait pas être l’endroit où il fallait aller. Et d’abord, à qui poser des questions, sur un sujet dont on n’a pas beaucoup parlé ?

Vous retrouvez les acteurs d’Indigènes….

Ils avaient le choix de dire non, bien sûr. Il ne s’agissait pas simplement de faire un film pour faire un film. Mais de leur proposer un enjeu de cinéma, avec la sensation d’interpréter quelque chose de nouveau pour chacun d’entre eux.

Que pensez-vous du débat sur la dimension « bénéfique » de la colonisation ?

Le mouvement de l’Histoire fait que l’Algérie a été colonisée pendant 132 ans par la France. Ça a été bénéfique ? Bien sûr que non ! Qui donc peut dire ça ? Si elle avait été bénéfique, pourquoi les gens auraient-ils le sentiment d’avoir vécu une injustice ? Quand il y a révolte, il y a d’abord un problème. La colonisation est quelque chose d’injuste et bien loin d’être bénéfique. Je crois que tout le monde est d’accord là-dessus. Il n’y a pas débat.

Comment apaiser les relations avec le passé ?

ça va se faire. C’est comme dans un couple, il peut y avoir des tensions. Au lieu de vivre une guerre des mémoires, il faudrait que des deux côtés de la Méditerranée, les historiens puissent débattre et écrire l’Histoire ensemble, sereinement. Même si ça prend dix ou quinze ans. L’histoire des massacres de Sétif n’a pas encore été écrite. On n’est même pas d’accord sur le nombre des victimes ! Les nouvelles générations ne veulent pas vivre avec cela. Il faut dépasser ce stade. J’y crois et c’est la volonté de chacun qui y contribuera.

Le symbole de l’apaisement, ce serait un match France-Algérie (1) qui irait à son terme au Stade de France ?

La réponse est chez des gens comme Zidane. À un moment, on se retrouve au centre d’un match de deux équipes qu’on aime beaucoup. Dans leur tête, c’est presque une même équipe. C’est ça la complexité de l’histoire.

(1) Le premier match entre les deux nations, le 6 octobre 2001, qui s’était ouvert sur des sifflets contre La Marseillaise, a été interrompu à la 74e minute sur envahissement de la pelouse du Stade de France.

Ouest France

Quitter la version mobile