La troisième édition du Forum sur la finance islamique s’est tenue le 9 novembre 2010 à l’hôtel Sheraton Club des Pins à Alger. Elle a été consacrée aux perspectives de développement de cette finance sur les échelles locale et régionale et aux « bienfaits » de cette finance « comparativement » à la finance conventionnelle.
Le directeur d’Isla Invest, un bureau de consulting basé à Paris, a confié à econostrum.info que les deux systèmes (finance islamique et finance conventionnelle) peuvent cohabiter sans problème. Au consommateur final de décider laquelle lui convient le mieux.
econostrum.info : Qu’est-ce qui fait courir le monde de la finance conventionnelle vers la sphère de la finance islamique ?
Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d’Isla-Invest: La finance conventionnelle est attirée par la finance islamique du fait des opportunités de croissance qu’elle recèle.
La population musulmane est sous bancarisée. Nous nous sommes rendus compte que cette sous bancarisation était liée à des principes religieux.
Certains refusent le système d’intérêts (le riba). Les banques étant pragmatiques, elles se disent qu’il faut répondre à une demande.
Il y a un certain nombre de clients qui ont une capacité d’achat ou un certain pouvoir de remboursement.
Les banques du Moyen-Orient ont commencé à répondre à cette demande émanant de personnes qui exigeaient d’avoir des produits conformes à la Charia.
Le monde de la finance se rend compte que la communauté musulmane est importante et qu’il existe de vrais relais de croissance en Afrique. Il réalise que s’il veut percer et ne pas subir la concurrence de la finance islamique, il faut qu’il puisse lui aussi répondre à cette demande.
Après, il faut distinguer la banque du détail qui, elle, subit une certaine méfiance de la part des acteurs parce qu’il y a un risque de réputation et la banque d’investissements qui attire tout le monde.
Ils veulent tous faire des Sukuk (obligation – action) et des Charia complain.
Un marché en pleine expansion
econostrum.info : Quel est le taux de croissance de la finance islamique à travers le monde et que représente ce marché actuellement ?
Zoubeir Ben Terdeyet : Le marché de la finance islamique représente 1 000 mds$ (726 mds€) et a un taux de croissance annuel de 15%.
econostrum.info : Quel taux en Algérie ?
Zoubeir Ben Terdeyet : En Algérie, c’est différent. Les banque islamiques n’ont pas de grandes parts de marché, mais sont rentables. Le taux de croissance n’est pas significatif car, la réglementation n’est pas adaptée.
econostrum.info : Comment expliquez-vous cette absence d’encadrement juridique et financier ?
Zoubeir Ben Terdeyet : La finance islamique est tellement jeune et l’habitude de travailler avec la finance islamique n’est pas encore installée. Tous les cadres ont été formés en Occident. La notion d’intérêt semble tout à fait normale à tout le monde.
L’intérêt, c’est ce qui régule la finance internationale, c’est ce qui permet l’équilibre entre l’offre et la demande. Ce n’est pas évident de changer de mentalité du jour au lendemain et de se dire qu’il faut remettre en cause le système actuel et penser à des systèmes alternatifs, dont la finance islamique.
C’est une question de culture économique.
Développement inégal au Maghreb
econostrum.info : Comment expliquez-vous le manque d’engouement des voisins marocains et tunisiens pour la finance islamique alors même que leurs places financières sont plus développées que celle d’Alger?
Zoubeir Ben Terdeyet : Je pense que les Marocains ont tellement développé la finance conventionnelle qu’ils pensent que la réussite ne passe que par elle.
C’est un pays où il est politiquement incorrect de parler de finance islamique parce que le roi justifie sa position par la religion. Dire qu’il y a des banques islamiques sous-entend que les autres sont Haram (illicites).
En Tunisie, ce problème n’existe pas. La Tunisie a une banque islamique depuis 1983. Elle a ouvert une banque islamique dans le retail et a, depuis peu, un fonds d’investissement « en islamique ».
La Tunisie développe la finance islamique et a de nombreux cadres qui travaillent dans la filière à l’étranger. Il y a un projet de 3 mds $ (2,18 mds €) pour créer la Tunis financial harbor qui est financée de manière islamique et qui va regrouper plusieurs sociétés.
econostrum.info : Lorsque l’on évoque la finance islamique, on évoque la Charia. Y a-t-il de l’Idjtihad en matière de finance islamique sachant que le monde de la finance avance toujours?
Zoubeir Ben Terdeyet : Il faut quand même se remettre en cause, améliorer les choses. Les financiers islamiques ont de nombreuses choses à améliorer. Il faut plus d’équité. S’il y a coïncidence entre l’Islam et l’équité universelle tant mieux. Si le premier la prône c’et bien, si elle se fait de manière universelle, c’est encore mieux.
L’Algérie part de zéro
econostrum.info : Quelles sont les perspectives de développement de la finance islamique en Méditerranée ?
Zoubeir Ben Terdeyet : Elle sera de plus en plus présente dans le basin méditerranéen. La Libye commence à y réfléchir, la Mauritanie a quelques petites expériences, les Marocains vont à un moment ou un autre s’ouvrir… Il existe un grand potentiel.
econostrum.info : On évoque souvent des Hub en matière de finance islamique. Où serait basé ce hub en Méditerranée?
Zoubeir Ben Terdeyet : La Tunisie a une petite longueur d’avance, mais l’Algérie a toutes les chances de devenir le Hub de la finance islamique en Méditerrané. Elle part de zéro, elle a moins de remises en cause ou de problèmes.
La finance conventionnelle et la finance islamique peuvent cohabiter sans problèmes.
Un pays qui est vierge en termes de conception et de stratégie, c’est là qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud.
Au lieu de placer son argent avec des taux de rendement négatifs, l’Algérie pourrait créer une place financière avec des rendements positifs.
« Je prône la bonne gouvernance et la transparence »
econostrum.info : Certains rigoristes estiment que l’on ne peut proposer les deux systèmes financiers dans une même banque, les transactions de la finance conventionnelle pouvant «polluer» celles de la finance islamique. Quel est votre avis sur la question?
Zoubeir Ben Terdeyet: C’est une remarque qui peut se comprendre. Il faut respecter le client et lui dire la vérité. Je prône la bonne gouvernance et la transparence, islamique ou pas islamique. Donnons le choix au consommateur final.
econostrum.info : Que répondez-vous à ceux qui vous disent que tout cela c’est blanc bonnet et bonnet blanc et que l’argent n’a pas plus d’odeur que de religion?
Zoubeir Ben Terdeyet : Je ne suis pas d’accord.
Il faut une certaine éthique dans les affaires. Ce qui est remis en cause se sont les excès de la finance. Ce n’est pas blanc bonnet et bonnet blanc.
Financer les armes ce n’est pas être respectueux des citoyens, de la vie. Financer des usines qui polluent ce n’est pas bien.
econostrum.info : Etes-vous sûr que c’est toujours le cas ? Que l’on ne peut trouver aucun financement « non éthique» réalisée par un financement islamique ?
Zoubeir Ben Terdeyet : Normalement non. Si les financiers font bien leur travail, cela ne peut pas arriver.
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