Il y a au moins trois points communs entre Mrs Ouyahia et Sellal : des études à l’ENA…d’Alger, la fonction de Premier ministre et le sens de l’humour. Pour le premier point ; bravo. Pour le deuxième ils n’y sont pour rien. Quant à l’humour, ils l’ont probablement acquis dans l’exercice de leur…fonction ; encore qu’il faille s’entendre sur ce en quoi consiste leur fonction. On en aurait une piètre idée s’il fallait en juger sur la périodicité des conseils des ministres, les résultats économiques et la qualité de l’éducation, de la santé et de la culture.
Mais soyons bons princes !
Au lendemain de la chute brutale et prévisible du prix du baril, monsieur Ouyahia, après avoir longtemps blanchi sous le harnais et fort de sa longue expérience de grand commis de l’Etat, n’a pas hésité à nous concocter une recette miracle pour nous en sortir. Il faut savoir que le pays guette ses moindres gestes depuis qu’il a pris ses quartiers à El Mouradia. Alors évidemment on attendait son diagnostic. Le verdict n’a pas tardé : « les Algériens doivent se remettre au travail ». Tout le monde a compris qu’il voulait dire que jusque là, on glandait. N’empêche ! « Devoir travailler » ! Facile à dire mais il fallait y penser.
Son successeur Mr Sellal, sans consulter son collègue, et malgré une expérience moins longue dans la très haute fonction, est arrivé à la même conclusion. Sa décision n’a pas tardé. Une seule solution s’impose : se remettre au travail. Mais, afin que nul n’en ignore, voici ce que le Premier ministre a déclaré samedi 21 novembre à l’APS:
« Nous devons tous réapprendre à redonner son lustre à la valeur travail et à vivre de notre labeur ». Autrement dit, et pour ceux qui ne le savent pas, les Algériens vivaient jusque là du labeur des autres. On veut des noms.
Ceci dit, quand les deux meilleurs élèves de la classe arrivent à la même découverte tardive des vertus du travail, c’est plutôt de bon augure, non ? Cela signifie-t-il pour autant que quarante millions d’abrutis n’y avaient pas pensé ? Ou alors s’agit-il d’un trait d’humour? Dans tous les cas, cela ne fait pas notre affaire. Voici pourquoi.
Le message de Mr Sellal paraît simple. Il signifie ceci: tant que le baril de brut dépassait les 100 $, on pouvait ne pas travailler, mais maintenant qu’on a perdu 44% de nos recettes, il va falloir siffler la fin de la récréation, retrousser les manches et travailler. Ceux qui ont cherché du travail et qui ont toujours trouvé porte close vont penser qu’il enfonce des portes ouvertes. Et ceux qui n’ont jamais cherché à travailler parce que les salaires sont en décalage total avec la réalité quotidienne vont crier à la démagogie. Dans les deux cas, on sait que la situation économique ne s’améliorera jamais tant qu’on n’a pas valorisé les métiers, et tant qu’on ne luttera pas contre les injustices criantes, la corruption, la prébende et le commerce informel. Un vendeur de vêtements à la sauvette Place des Martyrs, gagne trois fois plus qu’un médecin du service public et un jeune préférera garder un parking-racket que d’aller récolter les olives ou planter des légumes.
Sans être alarmiste, ni découragé, il me semble peu probable que les propos de monsieur Sellal trouvent un écho auprès des jeunes car il leur manquera toujours le bon modèle des aînés. La réussite telle qu’ils la conçoivent n’est possible que pour les riches et les enfants de riches, la nomenklatura et les enfants de la nomenklatura et enfin pour tous ceux qui fréquentent les allées du pouvoir ou qui poussent à l’ombre des puissants. J’ai bien peur que ce message ne soit perçu encore une fois comme un « armons-nous et …partez » et qu’il faille inventer d’autres recettes pour envoyer les gens au travail. Le modèle positif ayant pratiquement disparu de notre paysage, il faudra revoir l’ensemble du modèle de fonctionnement du pays.
Enfin, et pour un petit intermède sémantique, on relèvera que monsieur Sellal a terminé son message en nous gratifiant d’une formule dont le sens doit nous aider à réfléchir. Il est arrivé à la conclusion que « le pessimisme gratuit est destructeur ». A contrario, on a envie de répliquer que « le pessimisme payant serait constructeur ». Si l’on entend par « pessimisme gratuit », un état permanent de découragement, de désespérance, qui ne repose sur rien de concret ni de constructif, on se retrouve effectivement dans une attitude négative qui ne débouche sur rien de bon.
Il reste à imaginer que le contraire de « pessimisme gratuit » soit « optimisme gratuit » ; c’est à dire un sentiment qui ne repose sur rien de concret ni de sérieux non plus et qu’on pourrait traduire alors par béatitude, euphorie ou extase. Et dans ce cas, il n’aurait rien de constructif par rapport au pessimisme gratuit qui lui, est destructeur.
Reste à espérer, que la raison finisse par l’emporter et que :
- Ceux qui sont aux commandes depuis des années, admettent enfin leurs échecs, leurs erreurs (c’est humain !), leur impréparation et qu’ils se retirent.
- Que ceux qui ont en charge l’éducation et la formation, comprennent une fois pour toutes, que sans un enseignement de qualité et une éducation sérieuse on sera toujours à la traîne.
- Que ceux qui nous gouvernent sachent que le peuple, malgré son isolement le plus total du fait de l’absence de démocratie, est au courant des détournements, des malversations et de la corruption.
Et qu’enfin nos jeunes ont besoin, comme tous les jeunes, de modèles d’identification positifs, et que tant que ces modèles ne viennent pas d’en haut, ils se sentiront exclus du débat, et risquent de basculer, pour les moins solides d’entre eux, vers un univers qu’on ne pourra plus contrôler.
Aziz Benyahia