Notre ministre du tourisme, descend à Laghouat, tient une réunion avec les responsables locaux de son secteur, apprend que 25 milliards de centimes dorment sur les comptes de l’hôtel « Marhaba », s’offusque d’apprendre que le directeur de l’hôtel demande une rallonge alors qu’il n’a même pas commencé à entreprendre les travaux d’aménagement, entre dans une colère violente, manque de s’étrangler, nous apprend qu’il n’était pas au courant, qu’il ne savait pas que ces crédits dormaient depuis des années, sermonne en «francarabe» le directeur, invoque Dieu à l’occasion, jure au nom du même Dieu que le directeur n’aura pas un kopeck.
Il lui annonce qu’il est renvoyé sur-le-champ, déclare qu’à partir d’aujourd’hui, celui qui ne travaille pas n’aura qu’à rester chez lui, que allez oust, que le conseil d’administration est dissous, que c’est fini, que tout le monde est limogé, lève la séance et se lève, quitte la salle en morigénant, hors de lui, devant les caméras, prenant Allah à témoin devant tant d’impéritie et de gabegie, tout ça d’un seul trait, d’un seul cri, en apnée, durant une minute et quarante secondes, son voisin ne pipe mot, on ne voit pas l’assistance, on devine la voix du directeur penaud, on a peur pour lui, on a peur du ministre, on ne connaît pas la suite, on devine que c’est dur la vie d’un ministre, qu’il ne peut être partout, que ce n’est pas facile de trouver un lampiste, que pour une fois qu’il en a un sous la main il ne le lâche pas, qu’il vaut mieux se faire les muscles sur le menu fretin que courir après les gros poissons, qu’avec les employés on ne prend pas de précautions, qu’on se fiche des statuts de l’entreprise, qu’on peut dissoudre un conseil d’administration au pied levé, que les membres de ce conseil ne connaissent pas la loi, qu’ils ne savent même pas qu’ils font partie du conseil, qu’on ne leur demande pas leur avis, qu’on peut les mettre dehors sans ménagement, devant les caméras, devant témoins, devant Internet, qu’on n’a pas peur du ridicule, que le ridicule ne tue pas, qu’on va faire du tourisme, que notre pays est très beau, qu’on va battre le Maroc, qu’on va battre la Tunisie, qu’on aura des palaces, des plages, des salles de spectacle, des casinos, que les étrangers viendront par millions chaque année pour goûter à notre joie de vivre.
Il lui explique vous allez voir ce que vous allez voir, que ça ne sera jamais plus comme avant, qu’on ne sera plus jamais dépendants du pétrole, que nos orangers vont refleurir, que nos clémentines n’auront plus de pépins, que nos sardines resteront chez nous, que nous serons toujours souriants, qu’il n’y aura plus d’embouteillages, plus de Chinois dans le bâtiment ni de manches à balai de Chine, ni d’oignons d’Espagne, ni de barbus d’Arabie, que les barbiers raseront gratis, qu’on ne fumera plus dans les aéroports, qu’il y aura de la musique dans les mariages, de l’argent dans les distributeurs, de l’essence à la pompe, des autoroutes sans corruption mais avec stations-services, des toilettes publiques, des toilettes pour dames, des femmes aux terrasses de café et des conseils d’administration pour de vrai, avec un vrai président, qui ne pourra être défait que par les membres du conseil, qui sauront lire et écrire, qui n’auront pas peur du ministre, qui feront des stages d’applaudissement et des stages de tout va bien.
C’est pour ça que monsieur Ghoul est en colère, qu’il ne veut plus que ça ne marche plus, qu’il veut mettre de l’ordre, qu’il veut punir les malfaisants, les malhonnêtes, les fainéants, les corrompus, les bons à rein, les qui ne font rien depuis cinquante ans, qui nous prennent pour des idiots, qui ne savent pas que nous savons qu’ils ne savent rien, qui ne savent même pas voler, que c’est tellement gros que c’en est gênant, que dorénavant l’Algérie est en marche, que c’est un ordre d’en haut, qu’il faut qu’on innove tambour battant, qu’on se fiche royalement de tout ce qui se raconte, qu’il faut les grands remèdes aux grands maux, qu’on n’a que faire de cette bureaucratie, de ces conseils d’administration, que c’est pour ça qu’il est descendu à Laghouat et que ce n’est que le commencement. Le ministre a dit « wallah » et quand un ministre dit wallah, ça craint. Demandez à l’ex directeur du Marhaba, l’hôtel de Laghouat, là où fut dissout le conseil d’administration.
Aziz Benyahia