L’économie algérienne en «état d’urgence»       Par Hassan Haddouche

Redaction

C’est avec une belle unanimité que la presse nationale a trouvé «inquiétants» les chiffres donnés, la semaine dernière, par la Banque d’Algérie à propos de l’érosion de nos réserves financières. Il serait bien temps en effet de s’inquiéter… En réalité, le message adressé au gouvernement par la Banque centrale ne traduit pas seulement une inquiétude. Il est beaucoup plus précis que cela. Il pourrait être formulé de la façon suivante : «18 mois après le début de la crise des marchés pétroliers vous n’avez pas encore pris les mesures d’ajustement qui s’imposent».

L’effondrement du prix du baril, sa «chute drastique et continue» comme disent les experts de la Banque d’Algérie, se poursuit, semaine après semaine, sous le regard incrédule non seulement des Algériens, mais même celui des observateurs du monde entier. Pour l’instant, disons le franchement, la chute du baril n’a pas encore impacté sérieusement la vie quotidienne des Algériens. Vous pensez peut être le contraire ? Juste un exemple pour tenter de vous convaincre .

L’information est toute fraîche. Le président du Venezuela, Nicolas Maduro, a décrété, vendredi dernier, l’état d' »urgence économique » pour 60 jours. Parmi les mesures annoncées par le successeur de Chavez, figurent  la limitation des importations et de l’exportation de la devise locale ainsi que la réquisition par le gouvernement des moyens des entreprises privées (transport, distribution) pour « garantir l’accès » aux aliments, médicaments et biens de première nécessité. La Banque centrale du Venezuela a annoncé, le même jour, que le pays avait enregistré, entre janvier et septembre 2015, une inflation de 108 %, la plus élevée du monde, et une contraction du PIB de 4,5% pour la même période. Dans ce pays qui dispose d’immenses  ressources  d’hydrocarbures, les pénuries sont généralisées et le Venezuela est devenu le troisième pays dans le monde  à pratiquer le rationnement, avec Cuba et la Corée du Nord. Je pense que nous sommes bien d’accord, en Algérie, on n’en est pas «encore» là.

En Algérie, heureusement, il y a les réserves

Mais au fait pourquoi est-ce qu’on s’en tire mieux que le Vénézuela ? Imaginez l’Algérie avec un baril au dessous de 30 dollars, mais sans aucune réserves financières à l’image du pays du «grand» Hugo Chavez qui a dépensé, pendant 15 ans, comme une cigale. On serait exactement dans la même situation que la population de Caracas qui fait la chaîne devant tous les magasins et n’est autorisé à s’y rendre qu’un jour sur deux. Il faut donc  au moins rendre cette justice à nos gouvernants; notre pays a constitué des réserves financières importantes qui lui permettent actuellement d’amortir le «violent choc externe» de l’effondrement des prix pétroliers. Il a eu également la bonne idée de rembourser sa dette extérieure par anticipation en 2005. C’est autant de moins à payer aujourd’hui. Mais la question qui se pose immédiatement est de savoir combien de temps ces réserves nous permettront de «tenir» sans faire les efforts d’ajustement nécessaires ? C’est là qu’interviennent, non seulement les chiffres «inquiétants», mais surtout les avertissements de la Banque d’Algérie.

La chute du baril accélère les scénarios 

L’épuisement progressif de nos réserves financières est un phénomène annoncé depuis de nombreuses années par beaucoup d’économistes algériens. Les chroniques d’Algérie Focus s’en sont fait l’écho à de nombreuses reprises. La nouveauté des derniers mois, c’est que la chute vertigineuse du baril accélère tous les scénarios et prend de court les prévisions les plus pessimistes. Celles par exemple, toutes récentes, du ministère des Finances qui, dans la loi de finance 2016 compte non seulement, de façon très optimiste, sur  un prix du baril de 45 dollars en 2015, mais également sur un niveau de réserves financières à fin 2015 dont les estimations sont déjà dépassées. C’est ce que vient de révéler la Banque d’Algérie.

Des réserves financières, oui mais  pour combien de temps ?

Dans les chiffres qu’elle a publié la semaine dernière, la Banque centrale annonce ainsi globalement que notre situation financière est plus grave que prévue voici encore quelques mois, c’est-à-dire au moment de l’élaboration de la loi de finance 2016. Deux exemples principaux: d’abord les réserves de change, qui doivent «garantir» nos importations au cours des prochaines années, ont perdu près de 32 milliards de dollars en un an. Leur montant qui était prévu à 151 milliards de dollars à la fin de l’année 2015, ne dépassera vraisemblablement pas 145 milliards fin 2015, soit l’équivalent d’un peu plus de 20 mois  d’importations. Ensuite, les ressources du Fonds de régulation des recettes budgétaires (FRR), qui financent depuis déjà deux ans le déficit considérable  du budget de l’Etat (12% du PIB en 2016),ont fondu de moitié au cours de l’année écoulée. Elles  risquent un épuisement précoce et pourraient même disparaître complètement dès 2017. Le message adressé implicitement par  la Banque d’Algérie au gouvernement est donc le suivant : « Attention vous n’avez rien fait pour économiser nos réserves financières en 2015. Les mesures d’ajustement annoncées pour 2016 risquent en outre de s’avérer insuffisantes».

Etat d’ «urgence»

Le problème principal  auquel sont confrontés aujourd’hui  les pouvoirs publics algériens provient du fait que, en dehors d’une politique «prudente» de constitution de réserves financières, rien de significatif n’a été fait au cours des dernières décennies pour rendre notre pays moins dépendant de la rente pétrolière. Les autorités algériennes sont donc condamnées à réaliser au cours des prochaines années , dans l’urgence,  les réformes recommandées depuis plus de 10 ans par beaucoup d’experts nationaux et qu’elles n’ont pas faites. Mais aussi à adopter, dans la hâte, des dispositifs d’exception qui s’apparentent plus à des mesures de sauvetage qu’à de véritables réformes de l’économie algérienne. C’est d’ailleurs par ce dernier type de mesures qu’elles ont commencé à réagir.

Des  mesures de sauvetage…

La première mesure de sauvetage correspondant à cette nouvelle situation d’urgence vient d’être annoncée par le gouvernement. Il s’agit du contingentement des importations de plusieurs produits pesant lourdement sur la facture des importations. Les autorités algériennes n’y ont pas été de main morte. Les importations de véhicules, par exemple, seront divisées par deux en 2016. Il faudra s’assurer de l’efficacité d’une telle mesure et voir en particulier si elle ne risque pas de s’accompagner du gonflement des importations de pièces de rechange. Une parade déjà largement amorcée et mise en œuvre  par les concessionnaires auto en 2015. Les quotas annoncés la semaine dernière pour le ciment et l’acier correspondent également à un contingentement sévère, mais qui fait malheureusement planer le risque de la (ré)apparition de pénuries et de phénomènes de marché noir pour ce type de produits. En attendant, les vraies réformes économiques, celles du système des  subventions, du secteur public ou du marché financier sont annoncées, mais n’ont pas encore commencé. Et ce n’est pas l’augmentation de cinq dinars du prix du gasoil contenu dans la loi de finance 2016 et adoptée «dans la douleur» qui va régler les problèmes économiques et financiers, encore à venir, de l’Algérie.

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