Islam/Arrêtez tout et lisez Ibrahim El Blihi par Aziz Benyahia

Redaction

Difficile de ne pas se réjouir de la sentence récente du tribunal d’Oran, dans l’affaire de la « fatwa » prononcée contre Kamel Daoud. Le sniper a été condamné. Il vaut mieux prendre cela comme un avertissement sans frais contre ceux qui veulent imposer leurs idées et en remontrer aux Autorités du pays.

 Et c’est déjà un grand motif de satisfaction de savoir que le bras de la justice n’a pas tremblé. L’affaire peut paraître dérisoire si on s’en tient aux élucubrations d’un illuminé qui, pour braquer les projecteurs sur lui, s’est focalisé sur un artiste   au motif de dénonciation d’apostat. Faut-il que Dieu ait besoin d’indic ? On remarque en général que les néo-convertis se surpassent toujours dans le zèle comme si pour plaire à Dieu il fallait en rajouter. Donc voilà encore et toujours la religion plus ou moins malmenée mais qui sert souvent d’exutoire. Comment cela se passe-t-il ailleurs ?

La séquence se passe sur une grande chaîne de télévision, dans un grand pays à une heure de grande écoute. On interroge une sommité religieuse. Le cheikh, allure de prédicateur saoudien comme il en sévit sur la toile, livre sa pensée et répond aux questions. On hésite à suivre.

Florilège :

« Les Arabes sont devenus la risée du monde entier. Nous prouvons à l’Occident que nous sommes virtuoses dans la décapitation et très imaginatifs dans les crimes et autres explosions »

« Nous sommes en train de contraindre l’Occident à régresser et à brider les libertés. Les queues dans les aéroports, la fouille des bagages et des passagers, les mesures de sécurité, la suspicion, les contrôles à l’embarquement. Toutes ces contraintes n’existaient pas. C’est à cause de nous. Nous sommes devenus non seulement un poids pour nous-mêmes  mais surtout un poids pour les autres. Non seulement nous sommes décadents mais nous voulons entraîner les autres dans notre décadence ».

« Nous voulons régler nos problèmes par la force or la logique de la force est révolue. Du reste, nous sommes les moins qualifiés pour l’utiliser et nous voulons affronter la première puissance mondiale ».

« Il y a un seul terrain d’entente avec l’Occident. C’est celui du savoir, de l’intelligence, de l’argumentation, de la raison. Les Occidentaux détestaient les juifs plus qu’ils ne détestent les Arabes. Les Juifs ont renversé la vapeur parce qu’ils ont fait fonctionner leurs cerveaux ».

« L’Occident fait travailler son cerveau alors que nous, nous avons recours à la logique de la violence. Nous, les Arabes nous privilégions la force parce que nous ne savons pas utiliser notre cerveau. Savez-vous qu’on parle encore de nos jours d’envahir Rome. Cela signifie que nous continuons à entretenir avec les autres, la logique de la razzia et le langage de la violence ».

« Qui a transformé le monde ? Non seulement nous n’y sommes pour rien mais nous voulons le détruire. On parle de décadence morale de l’Occident. Nous faisons fausse route parce que nous ramenons toujours la morale à des histoires de sexe. C’est un concept partiel. La morale c’est un tout. Les nations ne subsistent que par la persistance de leur morale et disparaissent avec la fin de celle-ci. L’Occident a-t-il disparu ? Non ! Cela prouve que la morale est du côté des Occidentaux. Ils ont un grand sens de l’humanité, du devoir, des obligations professionnelles, du respect des horaires, de la ponctualité, de l’assiduité. C’est cela aussi la morale. Ce n’est pas uniquement la référence au sexe et le rapport entre l’homme et la femme ».

« Il ne faut pas culpabiliser parce qu’on est admiratif de la civilisation occidentale. Quand j’ai vu cette civilisation sidérante, dans les progrès de la science, dans ses créations, ses techniques, son organisation dans l’administration, dans la justice-même si celle-ci est relative-. Toutes ces réalisations ne peuvent être que l’œuvre de sociétés exceptionnelles ».

« Nous les Arabes, nous considérons que l’âge d’or c’est du passé alors que pour l’Occident l’âge d’or est à venir. Malgré toutes les avances prodigieuses qu’ils ont réalisées ils considèrent que ce n’est qu’un préambule à ce qui va suivre. Ils se projettent dans l’avenir alors que nous, nous cherchons le modèle dans le passé ».

Le cheikh s’appelle Ibrahim El Blihi. Il est philosophe, chercheur, et membre de la Choura en Arabie Saoudite (Conseil consultatif, chargé de donner son avis sur toutes les questions relatives au fonctionnement des institutions du pays). Autant dire un personnage important, qui n’a pas l’air de s’encombrer de précautions oratoires et qui est connu pour son courage et ses critiques sans concessions. Sans compter qu’il est perçu comme une sommité à l’esprit indépendant et militant pour une ouverture démocratique et totale de la société saoudienne et du monde arabe. En définitive quelqu’un de moins bien connu chez nous que les bateleurs habituels qui font commerce de prêches douteux et subversifs estampillés conforme à l’original, tels que le conçoivent leurs mandants wahhabites. Le démenti vient donc à point nommé.

Tous les Saoudiens ne sont pas wahhabites et il existe des sommités religieuses très ouvertes sur le monde, défendant des idées progressistes et suffisamment courageuses pour défendre des idées révolutionnaires dans un pays où on dégaine le sabre pour beaucoup moins que ça.

Cela nous apprend aussi qu’on ne doit pas juger les gens sur les apparences ni sur la réputation qui leur est faite. Qu’il faut se demander pourquoi on n’invite pas nos intellectuels à s’exprimer aussi librement chez nous, dans un pays prétendument démocratique et populaire. Et surtout, que notre jeunesse mérite de participer au renouvellement du discours religieux en prêtant attention à des approches différentes de celles dans lesquelles on les a toujours enfermés avec les désastres que l’on connaît.

Aziz Benyahia