Lettre d’un Algérien à Manuel Valls Par Aziz Benyahia

Redaction

Soyez le bienvenu dans notre pays, et soyez assuré qu’ici, on n’accorde aucune importance aux sondages calamiteux concernant l’exécutif français, ni au portrait peu flatteur que l’on fait de vous dans  votre pays. On considère ici qu’il s’agit de problèmes franco-français et que nous n’avons pas à prendre parti dans un débat qui ne nous concerne pas directement. Cependant, eu égard à nos liens séculaires et à nos  relations plus qu’amicales, il me semble utile d’éclairer nos lecteurs à propos d’un certains nombre de faits qui ont récemment émaillé l’actualité chez vous, en prenant bien soin toutefois d’y mettre la distance qui sied et l’indispensable neutralité. Soyez-en assuré !

Ainsi, j’ai suivi comme vous ce dimanche soir 3 avril, le dernier « classico ». Je sais comme tout le monde que vous êtes catalan de cœur et de naissance, et supporteur inconditionnel du Barça, et je devine votre grande tristesse après la défaite de votre club favori lors de son traditionnel affrontement avec le Réal de Madrid, qui plus est, sous les yeux du monde entier. C’est la loi du sport, mais il n’empêche. Cette défaite avait pour vous un goût encore plus amer parce que Monsieur Karim Benzéma y est pour beaucoup. L’attaquant dont les parents sont nés ici, a eu l’insolence de marquer un but de toute beauté qui acheva de démoraliser le pays catalan en son fief du Camp Nou. Comme vous, je pense que le hasard exagère, que l’injustice dépasse les bornes et que c’en est trop de cette humiliation, d’autant plus insupportable qu’elle a été ourdie par deux de vos compatriotes : Zidane et Benzéma. D’aucuns ont profité de l’aubaine pour dire sur un ton persifleur, que le but marqué par ce dernier était une manière de réponse du berger à la bergère, à la suite de votre souhait public de le voir exclu du Onze national. Il s’en est même trouvé des chercheurs de poux pour relancer le mystère de l’attaquant français qui ne marque jamais de buts en sélection nationale, mais qui brille quand il veut et, en l’occurrence, quand il s’agit de régler des comptes personnels. En d’autres termes, Monsieur Benzéma vous aurait puni pour avoir souhaité son élimination de la prochaine sélection nationale, au prétexte inique de mauvaise exemplarité. Voilà donc en gros un aperçu de l’ambiance générale à la veille de votre arrivée. Mais cela reste toujours du domaine franco-français ; autant dire que cela ne nous regarde pas.

Il est vrai aussi, qu’on vous reproche de vous mêler de foot-ball, côté vestiaires, et même de mode et de foulard islamiques, au lieu de vous consacrer aux problèmes économiques et au naufrage des forces progressistes. A titre personnel, je réfute cet argument d’un revers de main car, à être premier ministre on n’en est pas moins un homme sensible, conscient de ses passions, libre dans son expression,  soucieux du bien-être de ses compatriotes musulmans et comptable devant le pays du comportement de vos ambassadeurs du ballon rond autant que de la courbe du chômage. Mais ceci encore une fois, ne nous regarde pas.

Faut-il rappeler aussi que c’est par souci de cette représentativité exemplaire que vous avez souhaité l’exclusion de Karim Benzéma dont l’implication dans des affaires où l’absence de morale le dispute aux mauvaises fréquentations, et le rend selon vous, inéligible à la  sélection nationale ? Vous avez bien raison, Monsieur le Premier Ministre, d’exiger d’un joueur de foot-ball comme d’un ministre, un comportement exemplaire. Or, Monsieur Benzéma a montré par son comportement inadmissible son inaptitude, toujours selon vous, à donner le bon exemple à votre jeunesse. Quelles sont donc ces affaires ?

On lui reproche de ne pas chanter « La Marseillaise », et l’argument du refus de célébrer le « sang impur qui abreuve nos sillons » restera toujours spécieux et irrecevable. Prétendre qu’il n’est pas le seul dans ce cas et que cela ne met pas en doute son patriotisme pour autant, ne tient pas la route parce que, quand on aime on chante. Qu’on se le tienne pour dit, devrait-on en conclure !

On lui fait grief aussi d’être impliqué dans une sordide affaire de cassette. Des personnes malveillantes diront que votre ami DSK n’a toujours pas restitué la cassette Méry nettement plus importante que celle de Valbuena et que cela ne l’a pas empêché d’être présidentiable dans votre pays et pour finir, patron du Fond Monétaire International. Vous pourriez répondre que son implication dans l’affaire « Valbuena sex-tape » est très grave parce qu’il s’agit d’une affaire de mœurs et de parties de jambes en l’air ; que cela donne une très mauvaise image des moeurs de vos compatriotes et que sur ce sujet vous êtes absolument intraitable. Des faux-culs vous répondront que vous avez bien soutenu jusqu’au bout votre ami directeur général du FMI dans ses déboires sexuels au Sofitel de New-York et à l’Intercontinental de Lille, alors que – faut-il le rappeler – ce soutien traduisait bien au contraire votre fidélité en amitié et votre soutien sans faille dans les moments difficiles. C’est tout au moins mon avis, même si cela ne nous regarde pas.

On reproche à Monsieur Benzéma d’avoir de mauvaises fréquentations et on le sommerait de couper ses liens avec ces petits malfrats de banlieue que sont ses amis d’enfance. Oui, bien sûr ! Il y aura toujours des petits malins qui vous diront que c’est du menu fretin en comparaison de Dédé La Saumure et autres personnages interlopes qui ont égayé les nuits torrides de votre ami, le patron du F.M.I. Laissez-moi répondre à ces pisse-vinaigre que ni Dédé la saumure ni D.S.K n’ont jamais eu l’ambition de jouer dans le onze national, qu’il s’agit de leurs vies privées et qu’ils n’ont rien contre le Barça. Mais ceci ne nous regarde toujours pas.

En définitive, cela fait beaucoup de griefs et c’est à peine s’il ne se murmure pas dans le landernau que Monsieur Benzéma a échappé de justesse à la déchéance de nationalité. Sans compter que vous pourriez lui reprocher, pour enfoncer le clou et tant qu’on y est, de confondre antisionisme et antisémitisme et de ne pas avoir manifesté sa joie lors de l’admission de Finkielkrault  à l’académie française.

En fait, tout vous sépare sauf peut-être un point sur lequel vous seriez en accord. Il y aurait fort à parier qu’il partage tout à fait votre axiome qui pose que « chercher à comprendre, c’est déjà excuser », car toutes les fois qu’on lui demande comment il a fait pour marquer tel ou tel but, Monsieur Benzéma répond invariablement que devant le gardien il ne cherche pas à comprendre et qu’il ne se cherche pas d’excuses. Il tire, point. Et sur ce point, je penserais  comme vous aussi.

Pour finir et à dire vrai, il n’y a rien dans cet inventaire pourtant exhaustif, qui donne de la consistance à cette rumeur malveillante qui donne de vous l’image d’un homme politique habité par une vision singulière de l’islam et des musulmans en général, et obsédé par une peur panique de l’invasion imminente d’un islam conquérant et ceinturé d’explosifs, ni celle d’un homme possédé par le démon de l’islamophobie. Je dénonce bien sûr ce climat malsain qui vous dépeint comme un semeur d’angoisse et un adepte de la division et du clivage.

Aussi, pour dissiper toute ambigüité et  éviter que le doute ne subsiste, je ne saurais trop vous conseiller de lever le voile pour ainsi dire afin de nous rappeler que vous êtes toujours le digne fils de Jean Jaurès, car il y va de la qualité de notre amitié et de notre destin commun. Et ceci nous regarde, naturellement.

Aziz Benyahia