La doctrine du «dinar fort» est de retour. Frappé de plein fouet par la chute du prix du baril et fortement chahuté sur le marché parallèle, le dinar s’est raffermi sur le marché officiel au cours du deuxième semestre 2016, à l’initiative des autorités financières algériennes. Une décision «politique» qui n’a pas empêché le dinar de continuer à plonger au square Port Saïd.
Pour le dinar algérien, l’année 2016 aura été coupée en deux. En juin 2016, deux ans après le déclenchement de la crise des marchés pétroliers, le dinar touche son plus bas niveau historique à 111 dinars pour un dollar. Face à l’euro, il est également à ses plus bas étiages, à 123 dinars au taux de change officiel. Signal inquiétant, en mai dernier, le FMI prônait, en outre, pour l’Algérie «une plus grande flexibilité du taux de change» qui «faciliterait l’ajustement au choc sur les cours du pétrole». Pour le FMI, le dinar restait «encore nettement surévalué».
Chute du baril: le dinar a payé la facture
Juin 2014-Juin 2016. Deux ans de crise des marchés pétroliers et de baisse ininterrompue des cours du baril. Le dinar a payé la facture. Beaucoup d’estimations, pas toujours très précises, ni très rigoureuses, ont circulé à propos de l’ampleur de la dévaluation du dinar depuis le début de la chute des prix pétroliers. Le professeur Nour Meddahi de la Toulouse School of Economics refaisait les calculs: «Entre fin juin 2014 et fin mai 2016, le dinar a baissé par rapport au dollar américain de 28%. La baisse par rapport à l’euro est par contre plus faible: 13,2% pour le dinar, alors que le prix du pétrole a baissé de 55%.» Il s’agit d’«un ajustement nécessaire suite à l’effondrement du prix du pétrole. La Banque d’Algérie a fait convenablement son travail en baissant la valeur du dinar», commentait l’expert algérien.
Le dinar stabilisé depuis juin 2016
Le changement de décor est complet depuis le milieu de l’année dernière. Depuis son entrée en fonction, intervenue en juin 2016, le nouveau tandem Baba Ammi-Loukal a totalement stabilisé, voire légèrement amélioré, la valeur officielle du dinar, en prenant, au passage, complètement à contre pied les recommandations des institutions financières internationales. A fin décembre 2016, les cours de change sont de 111 dinars pour un dollar et de 115 dinars pour un euro. Les nouveaux responsables de la politique monétaire, ont bien reçu le message, venu manifestement des «plus hautes autorités du pays», qui consiste à aller chercher ailleurs que dans la dévaluation du dinar les moyens de combler un déficit des finances publiques qui restera très important en 2016 et 2017.
Commentaire du professeur Meddahi: «La courbe de variation du dinar est pratiquement plate depuis une année alors que les autres monnaies fluctuent au gré de la variation du baril où de la force du dollar. Ce n’est pas bon pour le dinar et l’économie du pays. Le rattrapage sera brutal».
Quelles perspectives pour 2017 ?
Peu d’analystes se risquent pour l’instant à des pronostics sur l’évolution de la valeur du dinar au cours des prochains mois qui devrait théoriquement, et en bonne gestion, dépendre essentiellement de facteurs aussi volatiles que le prix du baril de pétrole ou le cours du dollar sur les marchés de change internationaux. Ces éléments purement «techniques» ne seront cependant pas seuls en cause au cours de la période à venir. Le limogeage de l’inamovible gouverneur de la Banque d’Algérie pendant plus de 15 ans, M. Mohamed Laksaci, ainsi que le remaniement ministériel qui l’a suivi en juin dernier, peuvent clairement être interprétés comme un «signal politique» et une sanction infligée au tandem Laksaci-Benkhalfa auquel il a été reproché d’avoir utilisé de façon excessive la valeur de la monnaie nationale comme «variable d’ajustement» au nouveau contexte pétrolier. Une invitation, certainement non déguisée, pour les nouveaux responsables de la politique monétaire, à ne pas trop compter à l’avenir sur la dévaluation du dinar pour équilibrer les comptes publics.
Des marges de manœuvre à court terme
Dans ce domaine, le nouveau couple Baba Ammi-Loukal dispose encore de marges de manœuvre qui consistent, pour l’immédiat, c’est à l’année à venir, dans l’utilisation du reliquat des réserves du FRR. Mais il devra aussi compter, de plus en plus, à la fois sur l’endettement extérieur et sur la création monétaire avec les dangers qu’elle comporte en matière d’accélération de l’inflation, un risque qui vient justement d’être souligné, dans sa première intervention publique depuis son départ forcé, par Mohamed Laksaci…
Le dinar plonge sur le marché parallèle
En maintenant artificiellement un «dinar fort», la nouvelle gestion, de la valeur de la monnaie nationale, inaugurée en juin 2016, risque de se révéler très périlleuse à moyen terme. La stabilisation de sa valeur officielle n’a pas empêché, en effet, le dinar de continuer à plonger de façon inquiétante sur le marché parallèle où il atteint actuellement des niveaux supérieurs à 185 dinars pour un euro. Le «différentiel» entre les deux taux, officiel et parallèle, atteint désormais des niveaux records proche de 60% alors qu’il était encore de 50% voici un an. La tendance devrait se poursuivre en 2017 et le dinar va faire cette année le «grand écart». On s’attend généralement à ce que la barre des 200 dinars pour un euro soit franchie d’ici l’été prochain.
Deux monnaies et deux économies
Notre pays s’installe ainsi de façon croissante dans une situation ou coexistent «deux monnaies et deux économies». C’est la perspective d’une véritable «reprise en main de la valeur de la monnaie nationale grâce à la convergence des taux de change officiel et parallèle» et leur unification à titre d’objectif qui s’éloigne un peu plus. Cette démarche prônée par la plupart des spécialistes, et qui semble la seule soutenable à moyen terme, était pourtant encore déclinée voici un peu plus de 18 mois par l’ancien ministre des finances, M. Abderrahmane Benkhalfa lui-même, qui plaidait pour y parvenir en faveur de «la combinaison de mesures administratives et économiques». Au titre du traitement administratif de la valeur du dinar, il n’hésitait pas à évoquer ainsi l’instauration de taux de change multiples: «un pour les produits de première nécessité et un autre pour le reste des importations par exemple». Cette reprise en main de la valeur du dinar devait également s’appuyer sur une plus grande réceptivité de la Banque centrale à l’égard des revendications répétées des opérateurs économiques candidats à l’exportation. Elle devait passer aussi par la lutte contre le marché informel de la devise; l’ouverture de bureaux de change pouvant contribuer à l’ «assèchement du marché parallèle en faisant sortir les petits acheteurs». C’est désormais apparemment dans une toute autre direction, tournant le dos à une stratégie de mise en convertibilité progressive du dinar, et pleine d’incertitudes pour l’avenir, que semblent s’orienter les autorités monétaires algériennes.