Madame la Ministre de la solidarité nationale, de la famille et de la condition féminine, vient de nous gratifier d’une idée lumineuse qui devrait faire date en matière de solutions pour résoudre la crise économique que traverse le pays. Elle suggère tout simplement aux épouses de nos responsables de reverser leurs salaires au Trésor Public, afin de soulager les finances publiques. Geste on ne peut plus patriotique et plus solidaire s’il en fut.
On suppose que si la Dame a recours à cette solution c’est que toutes les hypothèses envisagées par le Ministre des finances et ses collaborateurs s’avèrent inefficaces. On est donc forcé d’admettre qu’l s’agit d’une niche budgétaire dont on n’imaginait pas le volume et qui servirait donc à combler une partie du déficit. Alors, cela vaut bien un petit calcul estimatif faute de pouvoir disposer de données chiffrées plus précises.
Essayons l’exercice, cela vaut la peine.
On part du principe que le nombre des épouses des plus hauts responsables, diplômées au minimum Bac + cinq (membres du Gouvernement, parlementaires et haut-fonctionnaires ) n’excéderait pas 1000. A raison d’un salaire moyen de 100.000 DA déclarés, on aboutirait à un montant de = 100.000.000,00 DA mensuels.
Sachant que le kilo de foie d’agneau coûte 3000 DA chez Ardis ( tarif affiché du 1er décembre 2016 ), on pourrait donc en acheter : 33 000 Kgs ou 33 000.000 grammes par mois. Divisés par 33.000.000 d’habitants en âge de manger de la viande ( sur 40 millions d’habitants ) cela fait 1 gramme par habitant, par mois . Pas sûr que ce soit suffisant pour lutter contre la carence en fer de la population. Mais enfin, ne soyons pas mesquins, soulignons la fulgurance de la trouvaille, la grandeur du geste, la noblesse de l’altruisme et le sens aigu du partage et de la solidarité.
On pourrait appliquer l’exercice à d’autres usages. A convertir par exemple la même somme en Euros. Cela donnerait, selon la dernière cotation de Square Port-Saïd City ( 180 DA pour 1 Euro, valeur 1/12/16 ) : 100.000.000,00 DA : 180 = 555.555 Euros. Cela ferait 1 Euro par famille/mois, ou 120 pèlerinages à La Mecque ( 100 X 12 = 1200 annuels), ou un cargo de taille moyenne de pois-chiches, etc…etc…On pourrait imaginer à l’infini l’usage qu’on pourrait réserver à cette manne inattendue. Cela pourrait même servir d’exercice au collège. En réalité on n’irait pas très loin avec cette mesure ; compte non tenu du coût de son application au plan administratif.
Revenons aux choses sérieuses et réfléchissons bien à cette annonce qui ne laisse pas de nos inquiéter, pour plusieurs raisons, hormis l’inanité économique qui prête à rire malgré la gravité du sujet et qui vient grossir la liste des inepties dont on à fini par devenir coutumier.
La première raison c’est l’annonce dans sa forme. Madame la Ministre s’exprime dans une langue inattendue, réservée jusque-là à ceux qui ne maîtrisent ni l’arabe ni le Français. Faut-il penser que 56 ans après l’indépendance, on n’ait pas encore trouvé la bonne méthode pour l’apprentissage des langues. C’est triste et pathétique.
La deuxième raison c’est la source de l’initiative. Madame la Ministre cumule aussi la charge de la condition féminine. Quand une femme est au premier rang dans la défense des droits de la femme, on s’attend à tout le moins à ce qu’elle préserve ce que la religion lui accorde d’office et que la Constitution lui garantit, avant d’explorer d’autres voies. A l’heure où toutes les sociétés du monde évolué luttent pour conquérir de nouvelles victoires sur le machisme et l’asservissement de la femme, on s’attend à ce que l’Algérie ne fasse pas moins, malgré le retard que nous avons pris dans tant de domaines. Or voilà qu’on demande au peu de femmes qui ont la chance d’avoir un emploi et d’acquérir un peu d’indépendance, de céder tout simplement leurs salaires et de signer ouvertement le retour à la dépendance totale du mari. Ahurissant quand on sait que l’islam peut s’enorgueillir d’être la première religion à se soucier de la libération de la femme, notamment en lui accordant l’usage exclusif de son patrimoine et de son salaire qui n’entrent pas dans le patrimoine collectif. Son patrimoine est nominatif et sacralisé.
La troisième raison c’est l’effet désastreux de cette idée qui laisse à penser que madame la Ministre voudrait nous faire croire qu’il n’y aurait pas d’autres solutions plus logiques et tellement plus simples, qui relèvent du bon sens et qui ne nécessitent aucune qualification particulière. Comme de réduire par exemple le train de vie de l’Etat ; en l’occurrence celui du Gouvernement, des parlementaires, des chantiers mégalomaniaques, des dépenses inconsidérées, des importations loufoques. On pourrait par exemple se dispenser d’importer des oranges d’Afrique du Sud, des manches à balais en bois de Chine, des biscuits de Dubaï, des couches pour bébé d’Arabie Saoudite, de l’huile d’olive Puget de Marseille etc…
Il suffit que madame la Ministre demande à ses conseillers de lui dresser une liste succincte mais chiffrée des importations scandaleuses, et des avantages accordés aux hauts-responsables ( limousines à profusion, logements gratuits etc…) pour suggérer des solutions intelligentes et moins ridicules en matière de mesures d’économies.
Aziz Benyahia