Aide au mariage: Dérive inquisitrice

Redaction

 

Ceci ne se passe pas chez Boko Haram ou en Saoudie. Ça se passe chez nous, en Algérie. De quoi s’agit-il ? La presse rapporte que le ministère de la « Solidarité nationale, de la famille et de la condition féminine », vient de décider, par la voix de son directeur régional, que l’« Etat n’accordera pas d’aide au mariage sans vérification. Celle-ci ne se limite pas à la situation sociale du prétendant, mais aussi à l’avis de ses voisins ». L’attestation sera délivrée à l’heureux bénéficiaire par l’ « Association pour la gestion des mariages et la protection de la famille ». Il faut prouver qu’on prie. Ça ne s’invente pas. A ce rythme nous risquons d’entrer dans une dangereuse période de turbulences : montrer langue blanche pour prouver qu’on jeûne, souffler dans le nez du muezzin pour prouver qu’on ne fume pas, prouver qu’on est imberbe si on ne porte pas de barbe etc…

 Angoisse donc, chez les jeunes postulants qui n’avaient pas prévu cette nouvelle donne avant de faire des projets. Il y aura à coup sûr, des reports ou des annulations de mariage, révision à la baisse de la qualité des festivités, réduction du nombre d’invités, banalisation des menus. Les gâteaux seront fourrés à la cacahuète et non plus aux amandes, quelques vieilles cousines seront oubliées. Il y aura moins de youyous, moins de voitures dans le cortège. La salle des fêtes sera décommandée. Le mariage ne sera pas filmé. Les fleurs seront en plastique. Sans compter les problèmes complexes qui surgiront le lendemain du mariage, quand les parents de la mariée s’apercevront qu’ils ont été grugés et qu’ils ont en quelque sorte bradé leur fille. Que faire devant une pareille catastrophe ?

D’abord, qui sont ces demandeurs d’aide ? Ils ont tous besoin d’argent pour faire face aux dépenses des festivités. La plupart sont aussi demandeurs de logements ou d’emplois. Mais tous attendent une aide de l’Etat. Il faut rappeler que ces dépenses de plus en plus importantes et parfois carrément somptueuses, sont la conséquence de la pression des familles et du voisinage. Plus on dépense et plus on croit envoyer des signes de réussite. Aucun lien direct avec la religion ; Le Prophète lui-même (Ass) ramenant le cadeau apporté à la mariée à une simple bague fut-elle en fer ( hadith ).

En résumé et en gros, il y a trois catégories de postulants : Ceux qui n’ont jamais prié et qui donc ne manquent pas de culot. Ceux qui prient occasionnellement et qui donc ne manquent pas d’audace. Ceux qui prient régulièrement, mais dont la présence assidue et ponctuelle aux prières collectives leur est quasiment impossible ; compte-tenu des impératifs de la vie active.

Si on considère que la première catégorie, n’a aucune chance théorique de faire partie des bénéficiaires, sauf tours de passe-passe toujours possibles, les deux autres catégories peuvent toujours croire en leurs chances à la condition de mettre au point un véritable « business plan » qui se résume en gros à un travail de lobbying et surtout de performance dans la comédie.

 Mode opératoire

A ceux-là, nous proposons à toutes fins utiles quelques conseils pour leur faire franchir avec succès les différentes étapes qui permettront d’obtenir la fameuse attestation. Résumons-nous. Il faut apporter la preuve qu’on fait ses cinq prières quotidiennes, qu’on observe le ramadhan, qu’on ne joue pas au domino ni à la belote, qu’on ne chante pas dans un orchestre, qu’on déteste le foot-ball, qu’on ne regarde que les émissions religieuses des pays du Golf, que dans le baladeur il n’y a que du coran et des chants religieux, qu’on n’a jamais jeté un œil lubrique à une jeune fille en jean etc…et que le tout est attesté par les voisins. Et comme cela ne suffit pas, au vu de l’offre et de la demande, et qu’il vaut mieux avoir tous les atouts de son côté, il est utile d’observer les recommandations suivantes dont la liste n’est pas limitative:

 1° : Il est inutile de vous brûler le front avec une pierre chaude comme le font les néo-islamistes pour prouver qu’ils font la prière depuis très longtemps, sans réussir du reste à abuser personne car pour avoir un authentique cal frontal, il faut une vie entière de prières. Il ne faut pas oublier que les vrais musulmans « On les reconnaît à l’empreinte laissée sur leurs fronts par leurs prosternations dans la prière » Coran : 48/29. Donc scarification et brûlure inutiles.

 2° : Si vous faites la prière occasionnellement, il vaut mieux changer de quartier, dénicher une petite mosquée et commencer à y aller régulièrement, aux heures de prières.

 3 : Essayez de vous placer dans la première rangée, saluez tous les fidèles autour de vous, et accueillez l’imam avec un très large sourire dès qu’il entre pour débuter la prière, notamment le vendredi.

 4 : A la fin de chaque prière, serrez les mains autour de vous, prenez des nouvelles de chacun, surtout des personnes connues et influentes.

 5° : Ne partez jamais dès la fin de la prière. Bien au contraire trouvez une position confortable et faites semblant de dire des prières en remuant les lèvres comme tout le monde. Evitez le chapelet. C’est pour les vieux.

 6° : Ne partez jamais sans embrasser l’imam, sur la tête de préférence, et sans prendre de ses nouvelles. Le mieux serait de lui poser de temps en temps une question relative au rituel et de suivre sa réponse en dodelinant de la tête et en le remerciant avec la seule formule qui vaille : « jazakoum Allahou kheir ».

 7° : Faites-vous ami avec le muezzin ou le second de l’imam car ce sont les piliers de la mosquée dont ils connaissent toutes les ouailles. N’hésitez pas à les gratifier d’un billet de temps à autre. Rassurez-vous, cela n’a rien à voir avec la corruption. C’est une coutume très appréciée car ils sont pauvres en général, rarement ou peu rémunérés et vivent de l’aide des fidèles. Leur amitié sera précieuse quand viendra l’enquête de voisinage.

 8° : Vos conversations avec les fidèles doivent toujours être ponctuées de « in chaa Allah », « ma chaa Allah » et d’autres formules du genre qui sont utilisées à tout bout de champ et rarement à propos, mais qui témoigneront de votre fréquentation assidue de personnes pieuses.

 9° : Portez-vous volontaire pour des actions périodiques telles que passer l’aspirateur, nettoyer les salles d’ablutions, vider les poubelles et surtout balayer devant l’entrée de la mosquée cinq minutes avant l’appel à la prière car c’est le moment où il y a foule et où vous aurez l’occasion d’être remarqué par le plus grand nombre. Ne perdez pas de vue, là aussi l’enquête de voisinage.

 10° : Ne loupez aucun enterrement. Les parents du défunt se rappellent toujours des marques de compassion et se souviendront de vous lors des témoignages.

 11° : Soyez très actif au sein de la mosquée aux moments des fêtes de l’Aïd. Embrassez les fidèles à pleines brassées et débitez par cœur les formules les plus alambiquées possible. Cela témoignera de votre ancienneté.

 12° : C’est durant le mois de Ramadhan que vous aurez la meilleure occasion d’engranger le plus grand nombre de témoignages élogieux à la condition de vous donner à fond au service des fidèles : préparation de la salle de prière pour le tarawih, distribution de dattes et d’eau fraîche, pulvérisation de parfum, souhaiter « saha ftourek » à chaque fidèle si possible, proposer des chaises aux handicapés et rester toujours souriant.

 13° : Veillez à ne jamais contrarier un barbu car votre réputation en prendra un coup; et par ailleurs, n’essayez pas d’entrer dans leur cercle car ils n’ont pas leurs pareils pour dénicher les intrus.

 14° : Aux personnes qui vous demandent pourquoi vous venez prier là alors que vous n’êtes pas du quartier, vous répondrez, la main sur le cœur, que l’atmosphère de cette mosquée vous procure une paix interne que vous n’avez trouvée nulle part ailleurs, et que vous avez été séduits par la bonne éducation des fidèles qui n’élèvent jamais la voix, ne se bousculent pas et sont d’une correction exemplaire.

 Il y aurait certainement d’autres petites astuces, que vous trouverez vous-même, tout seul, si vous êtes assez observateur et assez psychologue. Si après une année d’assiduité sans faille et de comportement suivant ces conseils, vous n’arrivez pas à obtenir la fameuse attestation c’est que : soit vous êtes un piètre comédien, soit vous avez une tête qui ne revient pas au Président de « l’Association de gestion des mariages et de protection de la famille. »

 Il vous restera alors une seule solution : vous marier avec la jeune fille que vous aimez, avec les moyens dont vous disposez, sans tenir compte des exigences des familles et des amis, sans attendre une aide empoisonnée qui fragilisera votre bonheur quoi que vous fassiez et qui vous rendra redevable à l’ensemble de la communauté pour la réussite de votre ménage. Ce serait quand même triste de démarrer une nouvelle vie en tendant la main, non ? Gardez votre liberté. C’est un bien inestimable et vous aurez toute la vie devant vous pour vous construire et pour fonder un foyer à la condition de respecter les vraies valeurs de l’islam.

 Aziz Benyahia

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