Akbou (Béjaïa) : Une révolution culturelle en marche dans un quartier difficile

Redaction

Le Centre d’information et d’écoute de jeunes, mis en place par l’association « Etoile culturelle d’Akbou », est implanté au quartier Sidi Ali, sur les hauteur de la ville. Ses animateurs dispensent des cours aux enfants et apportent une assistance juridique et psychologique aux habitants de ce quartier difficile où drogue, violence et prostitution font bon ménage. Reportage.

« Notre quartier est moche. Quand je vois les gens jeter des ordures dans la nature, c’est comme si, comme si (hésitation), comme si on me frappait », regrette Ahlam, en contractant les muscles de son visage angélique, rétractant et détractant, dans un geste répété, les fins doigts de ses petites mains. Les propos et les gestes très expressifs de cette môme, au teint blanc comme un flocon de neige, yeux bleus et cheveux blonds, trahissent son âge. Ahlam, n’a que…dix ans. Elle est en quatrième année primaire. Cette conscience d’une véritable militante écologiste, elle ne l’a pourtant pas acquise à l’école. Mais au Club nature du  Centre d’information et d’écoute de jeunes (CIEJ), relevant de l’association « Etoile culturelle d’Akbou ».

Education à l’environnement

Escaliers propres, entrée peinte d’un paysage naturel, les locaux du centre, situés au rez-de-chaussée d’un bâtiment délabré, contraste parfaitement avec l’insalubrité ambiante de la cité dite « Sidi Ali », dans la ville d’Akbou, située à 70 km du chef-lieu de la wilaya de Béjaïa. Une ambiance enfantine règne à l’intérieur. Joyeux, dynamiques et très sociables, une trentaine de chérubins s’échangent des taquineries, des amabilités et des discussions puériles. Des sourires et des éclats de rire innocents offrent de la gaieté à la grande salle dont les murs sont ornés de desseins et de pancartes coloriés.

Ibtissame
Ibtissam Slahi, directrice du CIEJ, s’adressant aux enfants du Club nature dans la grande salle du centre.

Disciplinés, ils lèvent pratiquement tous le doigt pour expliquer ce qu’ils y apprennent. « Ne pas jeter les ordures dans la nature, inciter les autres à faire de même, protéger l’environnement », sont des consignes qui reviennent sur toutes les lèvres de ces petits écolos. Créé il y a seulement une année, le club a réussi à les sensibiliser et leur inculquer la valeur de la protection de l’environnement grâce à une méthode pédagogique. « Depuis septembre 2013, ces enfants viennent au club chaque vendredi. On leur enseigne comment protéger l’environnement et ont leur fait connaitre la nature. On leur organise des activités ludiques, des jeux et des excursions. Pour sensibiliser l’enfant, il faut bien l’attirer, l’amuser et le motiver », explique Smir Ourtirane, responsable du club, en pédagogue. Souriant, le jeune paysagiste converti en instituteur d’écologie se félicite de la participation de ses élèves à la semaine de la nature, organisée fin septembre dernier, et de leur implication dans une récente campagne de plantation d’arbres et de nettoyage des rues.

Entretiens, diagnostic, suivi et orientation

Ce qui est frappant chez ces enfants c’est, d’abord et avant-tout, leur sens de communication et leur caractère sociable. Ils s’expriment presque tous avec enthousiasme, sans la moindre gêne face à un étranger. La cellule d’écoute et d’orientation psychologique mise en place au niveau du centre y est certainement pour quelque chose. A sa sortie de l’université, diplôme en psychologie clinique en main, Samira Hamidouche, a lancé cette cellule il y a deux ans. « Je m’entretiens individuellement avec ces enfants. J’essaie de comprendre leur problèmes et complexes, comme les difficultés scolaires, les problèmes familiaux, l’anxiété, la timidité et le bégaiement. Sur la base de mon diagnostic je leur assure un suivi sur place et je les oriente, selon le cas, vers un spécialiste », explique la jeune psychologue clinicienne qui accueille deux fois par semaine, à tour de rôle, la centaine d’élèves du centre.

« Durant les vacances, je les reçois quotidiennement. Durant l’année scolaire, je me rends même dans les écoles primaires. Un programme spécial y est assurée aux écoliers en classes d’examens », ajoute-t-elle. La jeune psychologue affirme avoir fait, l’an dernier, le tour de toutes les écoles primaires de la ville d’Akbou pour aider les élèves en fin de cycle primaire à se débarrasser de leur stress d’examen. Au niveau du centre, Samira accueille également les adultes. Mais les quelques personnes qui y viennent sont pour la plupart des femmes en situation difficile. « Le procédé, dit-elle, est le même : entretiens, diagnostic, suivi et orientation ».

Animateurs
Samir, Lynda et Samira, les trois jeunes animateurs du CIEJ dans leur bureau.

Toxicomanie et prostitution menacent les jeunes 

Le Centre d’information et d’écoute de jeunes s’est doté également d’une cellule sociologique. Jeune diplômée en sociologie de l’Université de Béjaïa, Lynda Kelloud en est la responsable depuis sa création, elle aussi, il y a deux ans. La jeune sociologue relève d’emblée « un manque de cohésion sociale » dans ce quartier de Sidi Ali où les résidents sont originaires de différentes wilayas du pays. « Les fléaux sociaux sont très répandus ici. La toxicomanie et la prostitution affectent beaucoup de jeunes du quartier. Il y a également trop de violence urbaine. La situation économique et l’environnement social défavorables poussent les jeunes à la débauche », analyse-t-elle. Pour avoir une étude détaillée de ces phénomènes sociaux, la sociologue a préparé un questionnaire afin d’avoir des éléments précis sur la situation socio-économique et le profil des sujets, objet de l’étude. Pour mener à terme son projet, la coopération des membres du comité de quartier lui est indispensable. « Je les ai sollicités, mais je n’ai toujours pas eu de retour », déplore Lynda.

Une Cellule pour traiter les déboires judiciaires des habitants 

Le centre offre aussi une assistance et une orientation juridique aux habitants du quartier. La juriste en charge de cette cellule n’est pas là ce jour-là. La présidente du centre, Ibtissam Salhi, affirme néanmoins que les adultes qui y viennent sont généralement « des personnes ayant un problème de divorce, d’héritage ou d’inscription du nom d’enfants nés sous X ». « Une dizaine de cas, confrontés à des déboires judiciaires liés à ces problème, ont été réglés grâce à l’assistance de notre juriste », se félicité cette militante associative chevronnée. La cellule juridique assure également une éducation à la citoyenneté à la centaine d’enfants adhérents. « En plus des cours dispensés sur place, les enfants effectuent des visites dans différentes institutions publiques afin d’en comprendre l’utilité et le fonctionnement », explique Mme Slahi du haut de ses 13 années d’expériences dans plusieurs associations nationales et organisations internationales.

Entrée CIEJ
Le responsable du Club nature accueillant un de ses élèves à l’entrée du siège du CIEJ.

Une lutte contre la méfiance des habitants du quartier

En dépit des efforts et de l’abnégation de ses six animateurs ainsi que de son apport indéniable à la formation du « citoyen responsable », le Centre d’information et d’écoute de jeunes reste malheureusement méconnu par les habitants du quartier. Les citoyens de Sidi Ali interrogés ont une idée vague de l’existence des associations dans le quartier et ignorent les missions du centre. « Je sais qu’il y a des associations ici. D’ailleurs ma petite nièce suit des cours au niveau de l’une d’entre elle, mais je ne sais pas ce qu’elle y apprend exactement », réplique Karim, la trentaine dépassée, bien installé sur un fauteuil dans une épicerie sise à quelques pas du siège du Centre. Idem pour le jeune épicier, debout, bras croisés et appuyés sur le comptoir. Assis devant le portail d’entrée, journal grand ouvert, le gardien de la nouvelle école primaire de Sidi Ali n’est pas, lui aussi, au courant des activités du centre. « Je connais l’Etoile culturelle d’Akbou. C’est une association très active dans le domaine de l’identité kabyle. Elle fait des choses formidables. Elle rend hommage aux militants de la cause identitaire. Mais j’ignore l’existence de sa filiale dans notre quartier », se désole le sexagénaire, père de deux enfants, le premier à l’école primaire, l’autre au collége. Cette méconnaissance illustre la méfiance et la tension caractérisant les relations entre les habitants du quartier. Les barreaudages, couvertures et stores voilant les balcons des immeubles renseignent significativement sur l’enfermement sur soi et l’isolement social dont souffrent les habitants de ce quartier où pullulent les dealers et délinquants.

Cette méconnaissance ne décourage toutefois pas les animateurs du club qui inscrivent leur projet dans la durée. «Même si le quartier est très difficile, nous n’avons jamais eu de problème ici. Même le regard des gens envers nous en tant qu’étranger au quartier a changé. On a établi une certaine confiance, et ce que nous faisons est un projet à long terme », soutiennent les animateurs, optimistes. Ces derniers ont bel et bien conscience que leur combat contre l’exclusion sociale est harassant. Il n’en n’est qu’à ses débuts…