L’Algérie, vaste pays aux terres arides et aux ressources naturelles abondantes, se lance dans une entreprise ambitieuse : atteindre l’autosuffisance en blé dur d’ici 2025. Cet objectif, porté par le président Abdelmadjid Tebboune, est à la fois un symbole de souveraineté alimentaire et un défi colossal pour un pays qui a longtemps été dépendant des importations pour nourrir sa population. Derrière ce projet se cache une volonté politique forte, mais aussi une série de défis techniques, climatiques et économiques qui devront être surmontés pour transformer ce rêve en réalité.
L’Ambition de l’Autosuffisance : Une Nécessité Stratégique
Un Pays Confronté à la Dépendance Alimentaire
Depuis son indépendance, l’Algérie a lutté pour assurer son autosuffisance alimentaire, particulièrement dans le secteur des céréales. Le blé dur, ingrédient clé dans la fabrication du couscous et des pâtes, est une composante essentielle du régime alimentaire algérien. Pourtant, malgré des décennies de politiques agricoles, le pays est resté largement dépendant des importations pour répondre à la demande nationale. En 2022, l’Algérie a importé près de 8 millions de tonnes de céréales, dont une grande partie était du blé dur, provenant principalement de pays européens comme la France et le Canada.
Cette dépendance pose non seulement des défis économiques, avec une facture d’importation qui pèse lourdement sur les finances publiques, mais elle expose également le pays à des risques géopolitiques et climatiques. La volatilité des prix sur les marchés internationaux, les tensions commerciales et les crises climatiques peuvent affecter la disponibilité et le coût des céréales importées, rendant l’Algérie vulnérable à des pénuries alimentaires potentielles.
Le Discours Politique et les Enjeux de Souveraineté
Face à ces défis, le président Abdelmadjid Tebboune a fait de l’autosuffisance en blé dur une priorité de son second mandat. Cet objectif est devenu un élément central de son discours politique, symbolisant la volonté du gouvernement de renforcer la souveraineté nationale dans un secteur stratégique. Lors de sa campagne électorale pour les présidentielles du 7 septembre, Tebboune s’est engagé à mettre fin à l’importation de blé dur d’ici 2025, un engagement qu’il a réitéré lors de sa prestation de serment après sa réélection.
Pour concrétiser cette ambition, le gouvernement a lancé une campagne nationale visant à emblaver 3,7 millions d’hectares de céréales, soit plus du double de la surface cultivée en moyenne ces dernières années. L’objectif est de produire 1,645 million de tonnes de blé dur, une quantité suffisante pour couvrir les besoins nationaux et réduire la dépendance aux importations.
La Campagne de Semis : Préparations Intenses et Défis Techniques
Les Préparatifs pour une Saison Cruciale
La campagne de semis des céréales en Algérie est un moment critique pour le secteur agricole. Cette année, elle fait l’objet d’une attention particulière, avec des préparatifs intenses visant à maximiser les chances de succès. Dès le mois d’août, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Youcef Cherfa, a multiplié les réunions pour s’assurer que toutes les conditions soient réunies pour le lancement de la saison agricole. L’objectif est clair : garantir l’accès des agriculteurs aux semences certifiées, aux engrais et au crédit de campagne, tout en assurant une mobilisation totale des acteurs du secteur.
L’un des faits marquants de cette campagne est l’implication croissante de l’agriculture saharienne dans la fourniture de semences. En raison de la sécheresse qui a frappé les régions céréalières du nord en 2023 et 2024, les agriculteurs ont pu compter sur les semences produites dans le sud du pays, une région moins affectée par le manque de pluies. Cette diversification des sources d’approvisionnement est un atout majeur pour la campagne en cours, permettant de pallier les aléas climatiques qui affectent les régions traditionnelles de production céréalière.
Les Défis des Semences et de la Technologie Agricole
Cependant, malgré ces préparatifs, de nombreux défis techniques subsistent. Les semences certifiées, produites à partir des stations de traitement installées au niveau des Coopératives de Céréales et de Légumes Secs (CCLS), sont aujourd’hui très recherchées pour leur qualité. Ces semences, contrôlées par le Centre National de Contrôle et de Certification (CNCC), sont unanimement reconnues pour leur fiabilité. Toutefois, certains agriculteurs s’interrogent sur l’adaptabilité des semences produites au sud aux conditions climatiques du nord, un facteur crucial pour le succès de la campagne.
En parallèle, des inquiétudes subsistent quant à l’efficacité des produits phytosanitaires utilisés pour protéger les semences. Des représentants de firmes de produits phytosanitaires ont exprimé des préoccupations concernant les pertes potentielles, qui pourraient atteindre 20 % si les semences ne sont pas suffisamment protégées. Ces défis techniques nécessitent une attention particulière pour éviter des pertes de rendement qui pourraient compromettre l’objectif de l’autosuffisance.
Les Défis Climatiques : Entre Espoir et Incertitude
Le Risque de Sécheresse Automnale
L’un des principaux défis auxquels l’Algérie est confrontée dans sa quête d’autosuffisance en blé dur est le risque climatique, en particulier la sécheresse. Le climat algérien, marqué par des étés chauds et secs, rend la production céréalière particulièrement vulnérable aux aléas météorologiques. Les pluies automnales, cruciales pour le succès des semis, sont souvent irrégulières, ce qui complique la planification des cultures.
En 2023, par exemple, les pluies automnales ont été en retard, retardant les semis et compromettant la production. Certains agriculteurs, incapables de semer à temps, ont dû louer leurs terres à des éleveurs de moutons, une situation qui illustre la précarité de la production céréalière en Algérie. Le risque de « pluies parasites » – des pluies insuffisantes pour assurer une germination optimale des semences – est une autre préoccupation majeure. Ces pluies, bien qu’elles puissent déclencher la germination, ne fournissent pas l’eau nécessaire pour soutenir la croissance des jeunes pousses, entraînant des pertes importantes.
L’Irrigation d’Ombre : Une Solution Incomprise
Face à ces risques, l’irrigation est souvent présentée comme une solution potentielle pour stabiliser la production céréalière. Cependant, l’irrigation d’appoint, qui consiste à fournir de l’eau supplémentaire aux cultures en cas de manque de pluie, reste difficile à mettre en œuvre à grande échelle. Irriguer 3,7 millions d’hectares est matériellement impossible en raison des contraintes hydriques du pays. En période de sécheresse, le niveau des barrages et des forages baisse, limitant la disponibilité de l’eau pour l’irrigation.
En outre, l’utilisation de l’irrigation pour les cultures céréalières soulève des questions de rentabilité. Dans la région céréalière de Constantine, les agriculteurs estiment qu’un rendement minimum de 22 quintaux par hectare est nécessaire pour couvrir les coûts de production. Ce rendement est difficile à atteindre sans une pluviométrie adéquate, même avec l’irrigation. Ces défis montrent que, bien que l’irrigation puisse offrir une solution partielle, elle ne peut à elle seule résoudre les problèmes structurels de la production céréalière en Algérie.
Les Stratégies de Résilience : Innover pour Surmonter les Obstacles
La Recherche Agronomique au Service de l’Autosuffisance
Pour surmonter les défis climatiques et techniques, la recherche agronomique en Algérie joue un rôle crucial. Les institutions de recherche travaillent activement à développer des variétés de blé dur plus résistantes à la sécheresse et adaptées aux conditions climatiques locales. Ces recherches incluent l’expérimentation de nouvelles techniques de semis, comme le semis à 10 cm de profondeur, utilisé en Australie pour des variétés spécifiques. Cette technique permet de protéger les graines des conditions climatiques défavorables en les enterrant plus profondément dans le sol, où elles peuvent mieux capter l’humidité.
Le gouvernement a également investi dans des programmes de formation pour les agriculteurs, afin de les sensibiliser aux meilleures pratiques agricoles et aux nouvelles technologies disponibles. Ces formations visent à améliorer la gestion des ressources en eau, à optimiser l’utilisation des engrais et à promouvoir des méthodes de culture plus durables. L’objectif est de renforcer la résilience des systèmes agricoles algériens face aux aléas climatiques et d’assurer une production stable de blé dur.
L’Adaptation des Systèmes de Semis et de Culture
Outre la recherche agronomique, l’adaptation des systèmes de semis et de culture est un autre levier clé pour atteindre l’autosuffisance en blé dur. Les Coopératives de Céréales et de Légumes Secs (CCLS) jouent un rôle central dans cette adaptation, en fournissant des semences de haute qualité et en investissant dans du matériel moderne de tri et de traitement des semences. Les semences certifiées produites par les CCLS sont aujourd’hui très recherchées pour leur capacité à offrir des rendements élevés, même dans des conditions climatiques difficiles.
Cependant, pour que ces semences puissent exprimer leur plein potentiel, il est essentiel que les agriculteurs adoptent des pratiques de culture adaptées. Cela inclut l’utilisation de semoirs et d’autres équipements agricoles qui permettent une implantation plus précise des semences, ainsi que l’ajustement des calendriers de semis en fonction des prévisions météorologiques. Ces innovations techniques, combinées aux efforts de la recherche agronomique, sont indispensables pour surmonter les défis auxquels le secteur céréalier algérien est confronté.
L’Agriculture Saharienne : Un Nouvel Élan pour l’Autosuffisance
Exploiter le Potentiel des Régions du Sud
L’agriculture saharienne, longtemps négligée, émerge aujourd’hui comme un acteur clé dans la quête d’autosuffisance en blé dur. Le sud de l’Algérie, avec ses vastes étendues de terres arides, offre un potentiel inexploité pour la production céréalière. En 2023 et 2024, lorsque les régions céréalières du nord ont été frappées par une sécheresse sévère, les semences produites dans le sud ont joué un rôle crucial en assurant la continuité de la production.
Le gouvernement algérien a pris conscience de ce potentiel et a lancé plusieurs initiatives pour développer l’agriculture dans le Sahara. Cela inclut des investissements dans les infrastructures hydrauliques, comme les forages et les systèmes d’irrigation goutte-à-goutte, qui permettent de cultiver des céréales dans des conditions désertiques. De plus, des programmes de formation spécifiques ont été mis en place pour les agriculteurs du sud, afin de les familiariser avec les techniques de culture adaptées à cet environnement unique.
Les Défis de l’Agriculture Saharienne
Malgré son potentiel, l’agriculture saharienne doit faire face à plusieurs défis. Le principal obstacle est la disponibilité limitée de l’eau, une ressource précieuse dans cette région aride. Bien que des progrès aient été réalisés en matière de gestion de l’eau, notamment grâce à l’irrigation goutte-à-goutte, la durabilité de ces systèmes à long terme reste une préoccupation. Le pompage excessif des nappes phréatiques pourrait entraîner une dégradation des ressources en eau, compromettant ainsi la viabilité de l’agriculture saharienne.
Un autre défi est l’adaptation des variétés de blé dur aux conditions sahariennes. Les variétés utilisées dans le nord de l’Algérie ne sont pas toujours adaptées aux conditions extrêmes du Sahara, où les températures peuvent dépasser les 50°C en été. La recherche agronomique doit donc se concentrer sur le développement de variétés résistantes à la chaleur et capables de prospérer dans des sols pauvres en nutriments. Ces efforts nécessitent des investissements continus dans la recherche et le développement, ainsi qu’une collaboration étroite entre les agriculteurs, les chercheurs et le gouvernement.
Conclusion : L’Autosuffisance en Blé Dur, Un Défi à Relever Collectivement
L’ambition de l’Algérie d’atteindre l’autosuffisance en blé dur d’ici 2025 est un défi monumental, qui exige une mobilisation collective de l’ensemble des acteurs du secteur agricole. Si le gouvernement a pris des mesures importantes pour préparer le terrain, en investissant dans la recherche, les infrastructures et la formation, de nombreux défis subsistent. Le risque de sécheresse, les limitations techniques et la nécessité d’adapter les pratiques agricoles sont autant d’obstacles qui devront être surmontés pour réaliser cet objectif ambitieux.
Cependant, l’engagement des agriculteurs, des chercheurs et des autorités locales montre que l’Algérie possède les ressources et la détermination nécessaires pour relever ce défi. L’agriculture saharienne, en particulier, pourrait jouer un rôle clé en offrant une alternative viable aux régions du nord, plus vulnérables aux aléas climatiques. Avec une stratégie bien coordonnée et un soutien continu de l’État, l’Algérie peut espérer atteindre l’autosuffisance en blé dur, renforçant ainsi sa souveraineté alimentaire et sa résilience face aux crises futures.
En fin de compte, l’autosuffisance en blé dur ne concerne pas seulement la production agricole ; elle symbolise également une vision d’indépendance et de maîtrise des ressources, un objectif que l’Algérie poursuit avec détermination. Les prochaines années seront cruciales pour transformer cette vision en réalité, en montrant que, malgré les défis, l’Algérie est capable de nourrir sa population avec ses propres ressources, tout en contribuant à la stabilité économique et sociale du pays.