Le G5 Sahel construit une alliance militaire pilotée par la France d’Emmanuel Macron aux portes de l’Algérie, qui partage plus de 6000 kilomètres de frontières avec six pays d’Afrique dont ceux en crise sécuritaire comme le Mali, le Niger ou encore la Libye. Notre pays doit-il rester simple spectateur de ce qui se passe chez nos voisins ou, au contraire, y jouer un rôle prépondérant. Pour mieux comprendre la situation, Algérie-Focus donne la parole au spécialiste du Sahel, Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies, Université de Kent. Analyse.
Les dirigeants du G5 Sahel, réunis en sommet dimanche 2 juillet à Bamako, au Mali, avec le président français Emmanuel Macron, ont convenu de l’urgence de déployer le G5, force militaire conjointe des cinq pays concernés, à savoir le Mali, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie, dans les meilleurs délais. Même le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité, le 12 juin dernier, une résolution qui salue le déploiement de cette force qui sera composée de soldats des cinq pays.
L’Algérie, quant à elle, n’a pas pris part à ce rendez-vous géopolitique. Elle est même resté assez discrète sur la question. Le président français, un des porteurs du projet, s’est rendu, pour sa première visite en dehors de l’Union Européenne à Rabat, puis dimanche dernier à Bamako. Alger? Bientôt, nous dit-on.
La diplomatie algérienne aurait-elle pris un coup? En aucun cas, nous répond Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies, Université de Kent », spécialiste du Sahel : » L’inertie des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie fait qu’aujourdhui elles sont teintées de méfiance réciproque. Cependant, l’Algérie continue de tenir un rôle majeur dans la région, notamment comme marraine du processus de paix malien. Elle dispose de leviers cruciaux et exclusifs sur l’ensemble des parties de la crise malienne ».
Le G5 Sahel aura donc comme principale mission d’éradiquer le djihadisme dans la région. Mission quasi impossible prédisent certains spécialistes. En effet, il ne suffit pas de déployer plus d’hommes avec plus de moyens militaires pour dissuader les futurs candidats au djihad. Le problème est beaucoup plus complexe comme l’explique notre spécialiste : « Personne, y compris les initiateurs du G5 Sahel, ne croit qu’un renforcement des capacités militaires dans la zone suffira à « éradiquer » le terrorisme dans la région. Tous les protagonistes de ce regroupement militaire régional répètent à l’envie qu’il faut aussi du développement, de la justice, une meilleure gouvernance, etc. En ce sens ils ont raison car l’extrémisme violent se niche dans les fractures politiques et sociales des pays affectés. »
Le Mali en est un exemple concret. Malgré les efforts diplomatiques d’Alger qui ont abouti en 2015, à la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et certains groupes du nord du pays, la réconciliation reste un mirage. Aujourd’hui la paix n’est plus la priorité. « La priorité actuelle des pays du G5 est le volet militaire, qui coûte énormément d’argent et que l’argent qui va au renforcement militaire ne va pas ailleurs. L’autre aspect de cette question est que mettre en avant le militaire n’est pas neutre pour la manière de gouverner. Cela peut par exemple compromettre les libertés civiles et est donc très risqué pour la cohésion politique. L’avenir dira si les engagements non militaires sont autre chose que des incantations« , dit notre chercheur.
Cette nouvelle stratégie militaire est, comme tout le monde le sait, parrainée par la France, notamment après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. La guerre contre le terrorisme est en marche. Cependant, la question que tous les spécialistes de la région se posent : quelle sera la position de l’Algérie sur cette initiative?
En effet, le pays partage plus de 6000 km de frontières avec six pays d’Afrique dont ceux en conflit comme le Mali ou encore la Libye. De plus, son armée, qui a connu la « décennie noire » est la plus expérimentée. Souvenons-nous de la prise d’otages de Tiguentourine. Malgré les critiques de certains pays européens, l’audace et la maîtrise de l’armée algérienne a permis d’éviter un carnage. Pourquoi alors Alger n’est-elle pas à la table des négociations aux côtés de Paris? Sa connaissance du terrain aurait été un atout majeur dans la lutte contre le terrorisme.
La réponse est assez simple dira Yvan Guichaoua : » L’initiative du G5 Sahel, qui émane des pays concernés, a très clairement un tuteur français. Les relations entre la France et l’Algérie sont telles qu’une coopération militaire suivie entre les deux pays n’est pas vraiment à l’ordre du jour, même si on se souvient qu’au moment où l’Opération Serval a été déclenchée en 2013, il a été question que les avions de chasse français utilisent l’espace aérien algérien« . Et d’ajouter : » Pour autant les pays du G5, notamment le Niger ou le Mali entretiennent des relations bilatérales soutenues avec l’Algérie. L’Algérie est la marraine des accords de paix au Mali et elle partage des préoccupations communes importantes avec le Niger (migration, stabilisation du sud libyen par exemple). Il n’empêche, le G5 Sahel construit une alliance militaire aux portes de l’Algérie, pilotée par l’ancien colonisateur. Ce n’est pas vraiment un témoignage d’amour à l’égard de l’Algérie (qui par le passé a tenté de mettre sur pied sa propre initiative de coopération régionale, le CEMOC, sans grand succès). Mais personne ne souhaite pour autant s’aliéner l’Algérie au plan diplomatique car tout le monde sait qu’elle joue un rôle essentiel dans les dynamiques politiques et sécuritaires régionales. »
Quoiqu’il en soit, cette initiative militaire, avec ou sans l’Algérie, coûtera énormément d’argent. La France ne compte pas continuer à supporter seule le fardeau de la lutte contre le terrorisme, surtout avec la crise budgétaire qu’elle traverse ces dernières années. Celui qui désire la pluie doit aussi accepter la boue, dit un proverbe africain. La réunion G5-Macron a convenu d’une somme de 423 millions d’euros pour mettre sur pied cette force conjointe. Chacun des cinq pays impliqués, qui sont parmi les plus pauvres d’Afrique, doit faire un effort de 10 millions d’euros. A cela s’ajoute 50 millions d’euros déjà promis par l’Union Européenne. « Le compte n’est pas bon j’en convient, mais ça viendra », promet Emmanuel Macron et le budget sera complété au fur et à mesure.
L’urgence est que la force commence à se déployer rapidement. Cette précipitation intrigue d’ailleurs. Serait-ce la fin de la mission Barkhane menée par l’armée française? Le président Macron affirme que non. « Le contingent du G5 ne viendrait en aucun cas se substituer ou se confondre avec Barkhane ou la Minusma », a-t-il déclaré lors de sa conférence de presse à Bamako, au Mali. Notre spécialiste, Yvan Guichaoua, partage aussi cet avis même si à long terme cela risque de changer. « L’Opération Barkhane coûte très cher et, idéalement, la France souhaiterait alléger ce fardeau budgétaire en impliquant d’autres acteurs. Mais en aucun cas le G5 Sahel ne se substituera à Barkhane à court terme. Barkhane travaillera en soutien du G5. »
Saïd Mandi