En Algérie, la privatisation des banques publiques n’est plus considérée comme un « tabou » politique ou économique depuis au moins une décennie. L’évocation récente de la possibilité d’ouvrir le capital de certaines d’entre elles ne constitue donc pas vraiment ni une surprise ni un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Depuis environ un mois, le feuilleton de la privatisation éventuelle des banques publiques est de retour sur la scène médiatique et économique nationale. De façon assez curieuse, le suspense a été relancé par la dépêche d’une agence internationale réputée pour son sérieux qui reprenait fin septembre dernier les propos d’un officiel algérien « anonyme ». En substance, selon ce haut fonctionnaire algérien, « l’Algérie serait désormais prête à céder la majorité du capital d’une ou plusieurs banques publiques à des partenaires internationaux de référence ».
Une « annonce », qui en dépit de son importance, n’est pas vraiment une nouveauté. Les projets de réforme du secteur bancaire n’ont en effet pas manqué au cours des dernières années. L’un des plus ambitieux est un programme qui a connu un début de mise en œuvre en 2005. Il visait à transformer en profondeur le paysage financier algérien à travers, tout d’abord, une réforme des banques publiques, y compris au moyen de la privatisation de plusieurs d’entre elles. Le CPA devait ouvrir la voie et montrer le chemin à la BDL. A la fin de l’année 2007, l’une de ses dispositions phares qui concernait le processus de privatisation du CPA, a été interrompue, officiellement pour cause de crise financière internationale.
Au cours d’une période plus récente, l’ouverture partielle et dans une proportion très limitée du capital du CPA figurait également au programme, annoncé en 2013, d’entrée à la Bourse d’Alger de huit entreprises publiques, mais qui n’a, pour l’instant, reçu aucun début de concrétisation.
Une contre-réforme du secteur bancaire public depuis 2011
Contrairement aux attentes exprimées par beaucoup de spécialistes ainsi qu’aux recommandations pressantes des institutions multilatérales, c’est en réalité une sorte de contre-réforme du secteur bancaire public algérien qui a été mise en œuvre au cours des dernières années. Les orientations récentes des autorités financières algériennes tournent en effet le dos à ce qui était, voici encore quelques années, le credo de toutes les banques publiques : la « banque universelle » développant à la fois ses activités en direction des entreprises, tous secteurs confondus, mais aussi des professions libérales ou encore des particuliers. C’était la stratégie affichée par les banques publiques algériennes pendant plus d’une décennie. A l’image de toutes les grandes banques internationales, il s’agissait d’élargir leurs domaines de compétence, renforcer leur professionnalisme, accroître leur rentabilité et diviser leurs risques.
Banque universelles ou banques spécialisées ?
Depuis quelques années, le changement de décor est complet. La concentration des crédits accordés par certaines banques publiques, sur injonction de l’Etat, au profit d’un seul secteur, voire d’une seule entreprise, risque de se révéler à l’avenir un facteur de fragilité qui semble ignorer les règles prudentielles les plus élémentaires…
Depuis la fin de l’année 2011, en vue d’ utiliser leurs ressources financières, (à l’époque) excédentaires, les banques commerciales publiques ont en effet été sollicitées massivement par l’Etat, qui est leur actionnaire unique, pour financer les investissements réalisés dans les infrastructures économiques et sociales, en lieu et place du Trésor public, qui assurait encore presque exclusivement ce rôle jusqu’à une période récente.
Après la BEA, considérée de longue date comme la « banque de Sonatrach » , voila que le gouvernement algérien a décidé en quelques mois de transformer quasiment la CNEP en « banque de Sonelgaz » tandis que le CPA est appelé officiellement à devenir « une banque du logement ». C ’est un grand retour du concept -et de la pratique- de la spécialisation bancaire en vogue dans les années 70 qui risque de transformer durablement le paysage bancaire algérien en l’éloignant de tous les standards internationaux.
Au printemps 2013, le ministre de l’Habitat et le PDG du CPA annonçaient que la banque du boulevard Amirouche devait prendre la tête de financements syndiqués assurés par l’ensemble des banques d’Etat au profit de la relance des programmes AADL et de logements promotionnels. Au total, 1 200 milliards de dinars ( près de 12 milliards de dollars) seront versés par l’ensemble des banques publiques algériennes pour mener à bien ces projets immobiliers.
Le CPA n’est pas la seule banque concernée par cette nouvelle orientation. La CNEP a été récemment appelée au chevet de Sonelgaz dont elle finance depuis le début de 2012, les investissements en mobilisant ses excédents. Le délégué général de l’ABEF, M. Trabelsi indiquait voici quelques mois qu’au total, la Sonelgaz doit bénéficier de 1.400 milliards de dinars (près de 14 milliards de dollars) de crédits bancaires.
Sept milliards de dollars pour la micro-entreprise
L’action des pouvoirs publics algériens a pris également, au cours des dernières années d’autres, des formes inédites et spectaculaires. C’est ainsi que depuis le début de 2011, l’Etat a donné instruction aux banques publiques de miser massivement sur la micro entreprise. Les résultats ont été au rendez vous et depuis 2011, ce sont près de 300 000 nouvelles micro entreprises qui ont été créées. Le coût de ces mesures n’a pas encore fait l’objet d’un chiffrage précis. Selon nos informations, ce sont plus de 700 milliards de dinars (environ sept milliards de dollars) qui figurent actuellement, à ce titre, dans le portefeuille des banques publiques qui assurent 70% du financement de ce dispositif gouvernemental.
Des risques importants
Aux yeux de beaucoup d’observateurs, les évolutions récentes du secteur bancaire algérien sont porteuses de risques importants pour la structure du portefeuille des banques publiques et leur solidité financière. Le risque de renforcement du dualisme entre des banques privées, largement bénéficiaires, et des banques publiques, fragilisées par les contraintes imposées par l’Etat, est également réel. Les banques publiques, qui portent de longue date le fardeau du financement obligatoire des entreprises publiques imposé par l’Etat, ont été de surcroît invitées dans la période récente à supporter seules le poids des décisions récentes de financement massif de la micro entreprise ou de financement des infrastructures économiques et sociales. Avec les risques que cela comporte inévitablement pour le recouvrement futur de leurs créances et leur santé financière…
Quelle privatisation ?
En Algérie, la privatisation des banques publiques n’est plus considérée comme un « tabou »politique ou économique depuis au moins une décennie. L’évocation récente de la possibilité d’ouvrir le capital de certaines d’entre elles ne constitue donc pas vraiment ni une surprise ni un coup de tonnerre dans un ciel serein. Le débat médiatique actuel laisse cependant subsister de nombreuses confusions au sujet aussi bien au sujet du périmètre de la privatisation envisageable que des méthodes qui pourraient être employées ainsi que des partenaires internationaux éventuels d’un tel processus de privatisation .
Le CPA et la BDL en pôle position
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, ce sont les noms des deux mêmes banques qui reviennent dans tous les projets gouvernementaux et dans tous les pronostics d’experts. Le CPA et la BDL sont en pôle position dans la course à la privatisation. C’était déjà le cas en 2005 et en 2013. C’est encore le cas aujourd’hui. Une raison essentielle plaide en faveur de ce choix : si on excepte la BEA, que son rôle stratégique de « banque de Sonatrach » semble exclure a priori du processus de privatisation, les deux plus « petites » banques publiques sont aussi celles qui ont été le moins déstructurées financièrement par les sujétions imposées par l’Etat et donc le plus facilement « vendables » .
La privatisation partielle par la Bourse compromise
L’ouverture partielle (on parle de 20 %) du capital du CPA est inscrit officiellement, depuis maintenant plus de trois ans, à l’agenda des autorités financières algériennes. Annoncé en 2013, le programme d’entrée à la bourse d’Alger de huit entreprises publiques, parmi lesquelles figure une seule banque, concerne aussi de grandes entreprises comme Mobilis. Il a connu un coup d’arrêt brutal, dès son premier coup d’essai, avec l’échec retentissant de la tentative d’introduction à la Bourse d’Alger de la Société des ciments d’Aïn-Kebira qui a été déclarée infructueuse et retirée au printemps dernier faute de souscripteurs.
Ce fiasco, qui semble compromettre pour au moins quelques années, l’ensemble de cette démarche, a certainement donné à réfléchir aux pouvoirs publics algériens qui paraissent avoir désormais changé de fusil d’épaule.
A la recherche de partenaires internationaux stratégiques
Les indiscrétions dont a bénéficié, fin septembre dernier, l’agence Reuters de la part d’un « officiel algérien » semblent, selon toute vraisemblance, s’apparenter à une « fuite organisée ». Tout se passe comme si les pouvoirs publics algériens cherchaient à sonder d’éventuels partenaires internationaux dans le cadre d’une démarche qui semble avoir été redéfinie. Il ne s’agit plus désormais de réaliser une ouverture du capital des deux banques publiques par le biais de la Bourse. Cette option est d’ailleurs en partie bloquée par le cadre juridique actuel du fait de l’impossibilité pour les investisseurs étrangers d’acheter des actions à la Bourse d’Alger. Le nouvel objectif est au contraire de négocier, de gré à gré, un ou plusieurs accords avec des banques internationales de référence en leur cédant le contrôle de la majorité du capital des deux banques publiques.
Quelles banques internationales pourraient être intéressées et à quelles conditions ? Nos sources dans ce domaine se montrent relativement sceptiques en ce qui concerne l’intérêt que pourraient manifester, dans le contexte financier actuel, de grandes banques occidentales pour une telle opération. Elles conseilleraient plutôt de regarder du côté d’éventuels partenaires chinois qui se montrent actuellement très « agressif » sur le continent africain ou elles ont récemment conclu plusieurs accords similaires, notamment en Afrique du Sud. Une option qui ne devrait pas déplaire aux responsables économiques algériens qui ne perdent aucune occasion de vanter l’« excellence » des relations avec le partenaire chinois.