A Béchar, ces fellahs qui fertilisent le Sahara

Redaction

A Béchar, sur de vastes surfaces des terres sahariennes, autrefois totalement abandonnées, des agriculteurs et éleveurs ont relevé un immense défi dans cette région de la Saoura : ils veulent faire de leur désert un fleuron de l’agriculture et de l’élevage de toutes espèces d’animaux. Ambitieux et volontaires, ces agriculteurs se sont donnés à fond, et les fruits de leurs efforts ne se sont pas fait attendre.

Béchar, cette vaste wilaya saharienne, située à 1150 km au sud-ouest de la capitale Alger est notamment connue pour la beauté de ses sites touristiques, tels Taghit, Béni Abbes et autres, ainsi qu’une forte présence de casernes militaires. Pourtant, cette wilaya dispose d’énormes potentialités en agriculture et en élevage. Deux créneaux créateurs de richesses et d’emplois qui peuvent rehausser l’économie nationale à un niveau plus élevé. Les débuts de cette «sérieuse révolution agraire » dans la Saoura dépassent les espérances des fellahs et éleveurs de la région puisque, bien au-delà des spécialités connue dans la région comme la production de dattes, les exploitants locaux ont introduit ces derniers temps une nouvelle spécialité qui réussit très bien, vu le climat de la région. Il s’agit de la production de l’huile d’olives !

Oui, l’huile d’olive n’est finalement pas le propre des régions du nord du pays. Planter et faire pousser des oliviers dans la Saoura, les entretenir et produire une des meilleures huiles est désormais possible grâce aux frères Amri Hocine et Smaïl. Cette famille d’agriculteurs qui vit de ce que leur offre cette terre, à laquelle ils sont attachés depuis des générations, comptent donner une grande ampleur à leur activité.

Béchar_18-décembre-2014_66
Hocine Amri, Agriculteur et éleveur à Béchar, dans son exploitation agricole sise à Belhouari, à 25 km de Béchar.

Teint foncé, nuancé sur son visage d’une barbe de trois jours, Hocine Amri sillonne chaque jour les allées de son exploitation d’oliviers.  Dans cette exploitation de 11 hectares située dans la localité de Belhouari, à 25 km au nord-ouest de Béchar, une grande partie est consacrée à l’oléiculture. «C’est des oliviers que j’ai ramené de Kabylie. Le climat de notre région fait que ces arbres donnent des fruits de qualité supérieure. Notre huile est d’une excellente qualité. D’ailleurs, c’est la plus chère du marché», nous dit-il avec un brin de fierté. «Mon but, c’est de planter le maximum d’oliviers. Ainsi, on pourra offrir aux algériens une meilleure huile avec des prix très abordables. On pourra l’exporter aussi », ajoute-il.  «Les banques sont prêtes à nous épauler dans notre projet. C’est elles-mêmes qui nous sollicitent pour nous octroyer des crédits, car ce sont des secteurs rentables à Béchar. Et puis, nous, nous sommes des gens du métier. Ça permet de créer de la richesse et de l’emploi, mais aussi donner un souffle à la production nationale», assure-t-il encore.

Les facilités des banques pour les crédits

Vue de l'exploitation agricole à Belhouari.
Vue de l’exploitation oléicole à Belhouari.

Conscients de la portée de ce secteur à Béchar, les responsables de la BADR (Banque de l’Agriculture et du Développement Local) ne lésinent pas sur leurs efforts pour soutenir ces fellahs et leurs proposer des aides et formules destinées spécialement pour eux avec pour leur faciliter les démarches. «C’est moi-même qui démarche des exploitants agricoles en leur proposant les produits de notre banque. Il y a beaucoup d’éleveurs et agriculteurs qui peuvent relever le défi de transformer Béchar en une grande région à vocation agricole et d’élevage. C’est une wilaya qui a un énorme potentiel dans ces secteurs. Notre banque est disposée à accompagner financièrement tous les projets fiables dans ce sens. Nous avons plusieurs formules très attrayantes pour les agriculteurs», souligne à ce propos Mohand-Ouramdane, sous-directeur exploitation au niveau de la direction régionale de la BADR Béchar-Tindouf. « Nous avons déjà octroyé des crédits à plusieurs exploitants, et le succès dépasse l’espérance même des fellahs» s’enthousiasme-t-il.

Si le succès de ces formules proposées par cette banque publique attire du monde, ce n’est, toutefois, que le fellah disposant d’un acte de propriété qui peut y prétendre. Et c’est ce qui freine les exploitants dans leur élan à cause des lenteurs administratives pour obtenir ce précieux sésame. « J’ai déposé une demande d’acte de propriété pour mon exploitation agricole en 2004, et ce n’est qu’en 2014 qu’on me le donne. Ce qui m’a énormément retardé, car, sans ce papier, je ne pouvais pas prétendre bénéficier d’une aide de la banque» se désole Amri Hocine. «On se sait pas pourquoi on nous bloque comme ça. Pourtant, on travaille pour développer notre production nationale, créer de la richesse et de l’emploi. L’administration doit nous faciliter la tâche. Ils doivent s’y mettre aussi, et mains dans la main, nous pourrons faire des miracles » plaide-t-il avec force et détermination.

« Je peux exporter du lait de chamelles si on me bloque pas »

Enclos des chameaux de Amri Hocine, dans la périphérie de Béchar.
Enclos des chameaux de Amri Hocine, dans la périphérie de Béchar.

Hocine Amri fait aussi de l’élevage camelin. Il dispose actuellement de plus de 400 têtes « C’est vraiment très peu par rapport à ce que je souhaiterai faire. Il y a des gens qui viennent de partout, notamment des wilayas du nord pour acheter du lait de chamelle. J’ai eu l’idée de monter une laiterie spéciale pour ce lait. Ainsi, on pourra le conditionner, et fournir du lait de chamelle en respectant toutes les normes requises. Je peux satisfaire la demande nationale en la matière si on ne me bloque pas. Notre pays pourra exporter du lait de chamelle si on nous facilite la tâche », promet notre agriculteur. Un fellah désenchanté, tout de même, car son projet stratégique est, malheureusement, bloqué ! « J’ai formulé une demande d’agrément pour mettre en place une laiterie en 2012, et jusqu’à ce jour, je n’ai eu aucune réponse », déplore-t-il encore. Pourtant, ce traitement lourd par l’administration locale n’est pas le même imposé aux investisseurs étrangers qui veulent s’installer à Béchar.

Le deux poids deux mesures de l’Etat

Deux des employés de Hocine Amri dans l'enclos des chameaux.
Deux des employés de Hocine Amri dans l’enclos des chameaux.

Ce qui n’est pas le cas des chasseurs Saoudiens qui se sont installés dans la région. En un laps de temps record, ils ont acquis de très vastes surfaces de terres qu’ils ont clôturé à l’aide d’un long mur. «Ils nous ont dit qu’ils allaient investir dans l’élevage camelin et la production de lait de chamelle. Finalement, il n’y a rien de tout cela. Ils se sont accaparés les meilleurs terres agricoles pour s’adonner à leurs loisirs macabres de chasse à la gazelle ! On les voit à l’intérieur de leur enclos relâcher des gazelles, ou des brebis, pour les regarder se faire chasser par leurs aigles et s’extasier devant ce spectacle morbide. Le tout, sous la protection de notre Gendarmerie nationale», dénonce à ce sujet un habitant de la périphérie de la ville de Béchar. «Nous, quand on fait une demande d’exploitation de ces terres pour les cultiver, personne ne nous répond ! Et quand il s’agit de les offrir à des étrangers pour des loisirs moyenâgeux, ils obtiennent même une protection des services de sécurité, est-ce juste ?» regrette-t-il encore. A Béchar, beaucoup d’agricultures ne formulent au final qu’un seul et unique vœu : Favoriser les dignes fils de cette région pour cultiver leurs terres et arrêter de céder les meilleures terres « à ces braconniers sans foi ni loi »,  clament-ils d’une même voix.

Arezki IBERSIENE