Jebla, c’est l’histoire d’une survie. Celle d’un village kabyle de la wilaya de Béjaïa, vieux de quatre siècles, qui tombe en ruines. Ses habitants, ceux qui ont fait le choix de rester, ont entrepris la restauration, pierre par pierre, de leur propriété dans le but d’en faire des maisons d’hôtes. Ils misent sur le tourisme solidaire pour ne pas laisser mourir leur village. Et les résultats sont déjà là. Reportage.
Ses tuiles roses vieillies, d’abord. Ses maisonnettes en pierre bleu schiste, bien alignées, ensuite. Jebla – tiré de l’arabe « Jbel » pour montagne – se devine progressivement, délicatement. À partir de la RN12, une seule route communale, coincée entre Yakouren et Adekar, qui s’étire en direction de la côte, serpentant les montagnes de la commune de Beni Ksila, mène vers ce hameau suspendu. Au bout du bitume lisse, une piste en terre, puis un chemin pavé de pierres.
Au pied de la colline sur laquelle il est perché, ce village kabyle, vieux de quatre siècles, paraît replié sur lui-même, minuscule. Au dernier recensement, Jebla compte tout de même 140 petites maisons, qui tiennent encore debout, dont « quatre ou cinq » restent habitées par d’irréductibles amoureux du village. Avec, au-dessus de leur tête, un ciel dégagé et un léger vent frais, qui atténue la morsure du soleil, et tout autour d’eux, des collines boisées. La Méditerranée dessine subtilement l’horizon. « Jebla est située à seulement 20 minutes des plages de Béjaïa », vantent les derniers habitants de ce hameau, le visage labouré par les années. Certains, qui résident désormais à l’étranger, ne passent plus que quelques mois à Jebla. Une forme de retraite du monde et de la turbulence urbaine. Les autres n’ont jamais été tentés par un exode rural et continuent de bichonner leurs brebis comme leurs aïeuls avant eux.
Depuis les années 1970, familles par familles, presque tous les villageois ont quitté le charme discret de Jebla, le plus souvent pour le confort moderne de la nouvelle ville, érigée au pied de la colline, et, parfois, pour des contrées lointaines. Ses hommes et femmes n’ont toutefois pas tourné le dos à la terre de leurs ancêtres. Ceux qui sont restés dans les environs continuent de gravir la colline, une fois par mois, pour l’assemblée du village. C’est toujours sur l’ancienne place du village séculaire, à l’ombre des vignes, que les décisions collectives se prennent.
Inspiré par le Maroc
Comme ce jour de l’année 2008 où Jebla décide de candidater pour le projet algéro-européen ONG2 de soutien au développement d’associations algériennes. L’association Tajmaat n’ Jebla voit le jour. Son dossier est retenu par la commission mixte. Plus de 300 millions de DA lui sont alloués. Objectif : rénover en 12 mois 20 résidences à moitié en ruines pour en faire des maisons d’hôtes, susceptibles d’accueillir une centaine de touristes, au maximum. « Nous avons voulu restaurer Jebla pour faire du tourisme solidaire, pas de masse. Le tourisme solidaire s’intéresse plus à l’humain, au territoire. C’est un véritable partage de richesses, tout le territoire en profite », souligne Farid Ahmed, président-fondateur de l’association.
Tajmaat n’ Jebla a ainsi permis à une quinzaine de personnes de travailler durant une année. Deux maçons, familiers des méthodes de construction traditionnelles, trois femmes, qui ont de l’expérience en matière de décoration artisanale berbère, ainsi que plusieurs autres ouvriers ont été recrutés, précise Farid Ahmed. L’équipe a pu profiter du savoir-faire marocain dans le domaine de la préservation du patrimoine. « On a fait des échanges avec le Maroc dans le cadre du réseau méditerranéen Arendt [NDLR un collectif de divers acteurs issus du pourtour méditerranéen qui oeuvre à la promotion du tourisme responsable et solidaire dans le bassin méditerranéen]. Par exemple, en 2012, on a participé, durant le Festival international du tourisme solidaire, à une caravane entre Oujda et Tiznit », raconte Farid Ahmed, avant de montrer la touche marocaine des maisons rénovées de Jebla : « Vous voyez ça, dit-il en touchant du bout des doigts un filet incrusté dans le toit en chaux d’une maison restaurée, on a placé ces filets dans chaque trou d’aération sur tout le plafond, qui sert à dégager la fumée du foyer central, qu’on appelle chez nous « kanoun ». C’est une astuce marocaine pour s’assurer que ni la poussière ni les insectes n’entrent dans la maison par ces trous d’aération ».
Le reste est entièrement local. De la peinture grise anthracite – la « kaola, extraite d’un gisement situé à proximité du village – aux dessins berbères, rouges et verts vifs, réalisés par les femmes, qui ornementent la pièce centrale de la maison, en passant, bien sûr, par la poterie et les paniers en osier qui égayent la pièce. « La poterie est fabriquée par deux familles de Tabaka, un village situé à 8 km du nôtre », souligne Farid Ahmed.
Un sponsor pour relancer le projet
Mais six ans après le lancement de ce projet, l’association de Jebla n’a reçu aucun touriste. Et pour cause, les travaux sont aujourd’hui à l’arrêt. À ce jour, 16 maisons sont toujours en chantier, dont huit sont prêtes à être équipées et deux à accueillir des visiteurs. Les membres de Tajmaat n’ Jebla préfèrent attendre que « 5 à 6 maisons » soient opérationnelles avant de « démarrer vraiment le tourisme solidaire ». Évidemment, c’est le manque de moyens qui a ralenti l’aboutissement du projet. « Il nous faudrait un seul sponsor pour atteindre notre objectif », estime Farid Ahmed.
En attendant, les habitants de Jebla ne restent pas les bras croisés. Pour faire connaître Jebla en Algérie, l’association organise depuis 2009 la Fête du printemps au cours de laquelle les participants sont conviés à déguster un couscous à l’aderyis – une sorte de faux fenouil. « Avant c’était un rendez-vous familial, fêté tous les 28 février. On en a fait un évènement public pour promouvoir notre village », explique Farid Ahmed. Le succès est au rendez-vous : plus de 3.500 visiteurs ont fait le voyage jusqu’à Jebla en mars dernier, à l’occasion de la 5è édition de cette Fête.
Les bénévoles de Tajmaat n’ Jebla en sont convaincus, la demande est déjà là. « Notre programme s’adresse en premier aux touristes nationaux, notamment ceux en provenance du Sud. Le décor naturel et la proximité des plages de Béjaïa devraient les séduire », espère Farid Ahmed.
Son association ne veut pas se limiter au tourisme solidaire. « On a découvert en chemin l’économie sociale. En plus du tourisme, on veut relancer des activités traditionnelles comme le tissage, la poterie et l’agriculture », dit le président de Tajmaat n’ Jebla, confiant que des femmes du village ont reçu une formation en tissage, grâce à l’ONG espagnole Solidaridad. Et de lancer : « On n’a pas créé Tajmaat n’ Jebla pour juste organiser des cérémonies et des festival. On veut concrètement faire bouger les choses pour lutter contre le départ des villageois vers la ville ».
Le but ultime étant de dissuader les habitants de quitter la commune, si ce n’est de donner envie aux immigrés de revenir. Et l’association croit tenir une première victoire. Suite à la participation de Jebla à ONG2, certains villageois ont décidé de retaper eux-mêmes leur propriété. C’est le cas d’Abdenour, qui préside ce mois-ci l’assemblée du village. « Ma maison n’a pas été retenue dans la liste des 20 maisons à rénover car elle demandait beaucoup de travail. Avec mes frères et mes oncles on n’a nous-même tout refait. Les travaux nous ont coûté quand même 53 millions de dinars ! », sourit l’homme au visage dévoré par une barbe épaisse et des lunettes rectangulaires. Il parle aussi d’un immigré de France, qui, depuis 3 ans, fait des allers-retours pour restaurer sa maison par ses propres moyens.
« Aujourd’hui, il n’y en a que pour le flexy et le wifi. Mais ça ne va pas durer. Je suis parti à la ville et j’ai fini par revenir. Ils reviendront eux aussi… inchallah », conclut Farid Ahmed.