La question de la certification Halal des produits alimentaires exportés vers l’Algérie est devenue un point de friction entre l’Union européenne (UE) et l’Algérie. Au cœur de cette tension se trouve la Grande Mosquée de Paris (GMP), qui a reçu le mandat exclusif de certification des produits Halal importés en Algérie. Cette décision, prise en juin 2023, a suscité des réactions au sein de l’UE, notamment de la part du commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, qui a exprimé des préoccupations quant à l’impact de cette mesure sur les exportations agroalimentaires européennes. Dans cet article, nous allons explorer les détails de cette controverse, les arguments des parties impliquées, et les implications de cette situation pour le commerce entre l’UE et l’Algérie.
La Décision Algérienne : Contexte et Motifs
Une Souveraineté Alimentaire Renforcée
La décision de l’Algérie de confier l’exclusivité de la certification Halal à la Grande Mosquée de Paris s’inscrit dans un contexte plus large de renforcement de sa souveraineté alimentaire. Pour l’Algérie, la certification Halal n’est pas seulement une question de conformité religieuse, mais aussi de sécurité alimentaire et de contrôle de qualité des produits importés. En confiant ce rôle à la GMP, les autorités algériennes visent à garantir que les produits qui pénètrent sur leur marché répondent aux normes strictes du Halal, tout en réduisant les risques de contrefaçon ou de mauvaise certification qui ont pu exister par le passé.
Un Choix Stratégique
Le choix de la GMP pour cette mission exclusive est aussi stratégique. La Grande Mosquée de Paris, avec sa longue histoire et son expertise reconnue dans la certification Halal, est perçue comme une institution fiable capable d’assurer un contrôle rigoureux. De plus, la proximité géographique et culturelle entre l’Algérie et la France, héritée de leur histoire commune, a probablement influencé cette décision. La GMP a une connaissance approfondie des attentes des consommateurs musulmans, tant en Algérie qu’en France, ce qui la positionne comme un acteur clé pour garantir que les produits Halal importés en Algérie respectent les normes religieuses et sanitaires.
Les Réactions de l’Union Européenne : Une Préoccupation Croissante
Les Inquiétudes du Commissaire Européen
La réaction de l’Union européenne ne s’est pas fait attendre. Valdis Dombrovskis, commissaire européen au commerce, a exprimé des préoccupations concernant cette exclusivité accordée à la GMP. Il a notamment souligné les « graves impacts » que cette mesure pourrait avoir sur les exportations de produits agroalimentaires européens vers l’Algérie, l’un des principaux marchés pour ces produits.
Selon Dombrovskis, cette décision pourrait entraver le commerce entre l’UE et l’Algérie de manière significative, en créant des barrières supplémentaires pour les exportateurs européens. Il a également évoqué le risque que cette situation ne respecte pas les principes de libre concurrence au sein de l’UE, une préoccupation majeure pour les autorités européennes.
Les Répercussions Économiques Potentielles
Les déclarations de Dombrovskis mettent en lumière les répercussions économiques potentielles de cette mesure. L’Algérie est un marché important pour les produits agroalimentaires européens, notamment les viandes et autres produits d’origine animale, qui nécessitent une certification Halal. Si les exportateurs européens rencontrent des difficultés à obtenir cette certification en raison de l’exclusivité accordée à la GMP, cela pourrait réduire leurs parts de marché en Algérie et affecter leurs revenus.
En outre, les entreprises européennes qui exportent vers l’Algérie pourraient être confrontées à des coûts supplémentaires pour se conformer aux exigences de la GMP, ce qui pourrait rendre leurs produits moins compétitifs par rapport à ceux d’autres pays. Cette situation pourrait inciter certains exportateurs à se tourner vers d’autres marchés, réduisant ainsi les échanges commerciaux entre l’UE et l’Algérie.
La Réponse de la Grande Mosquée de Paris : Clarifications et Justifications
Une Position Affirmée
Face aux critiques de la Commission européenne, la Grande Mosquée de Paris a réagi rapidement. Dans un communiqué publié le 20 septembre, le recteur Chems-eddine Hafiz a exprimé son « étonnement » face aux déclarations de Dombrovskis, qu’il a jugées mal informées. La GMP a souligné qu’elle opère en parfaite conformité avec les législations française, algérienne et européenne, y compris en matière de droits de la concurrence.
La GMP a également rappelé qu’aucune entreprise européenne n’avait jusqu’à présent formulé de plainte concernant ses prestations de certification, ce qui, selon elle, prouve la qualité et l’efficacité de son travail. De plus, les autorités algériennes se sont dites pleinement satisfaites des services fournis par la GMP, qui ont permis de structurer et de contrôler de manière plus rigoureuse la certification Halal des produits importés.
Une Volonté de Collaboration
Malgré le ton ferme de sa réponse, la GMP a exprimé son souhait de continuer à travailler de manière constructive avec la Commission européenne. Elle a rappelé qu’elle avait déjà tenu plusieurs réunions avec des représentants européens, y compris une rencontre à Alger en février dernier, au cours de laquelle aucune réserve n’avait été exprimée par les conseillers économiques des ambassades des États membres de l’UE présents.
Cette ouverture au dialogue montre que la GMP est consciente des enjeux économiques et diplomatiques de cette situation, et qu’elle est prête à collaborer pour trouver des solutions qui satisferaient à la fois l’Algérie, l’UE et les entreprises concernées. Toutefois, la GMP reste ferme sur le fait que la certification Halal est une question de souveraineté nationale pour l’Algérie, et que toute décision dans ce domaine relève de l’autorité de l’État algérien.
Les Implications pour le Commerce UE-Algérie : Vers un Nouvel Équilibre ?
Un Possible Renforcement des Normes
L’un des effets possibles de cette situation pourrait être un renforcement des normes de certification Halal pour les produits exportés vers l’Algérie. Si la GMP conserve son monopole sur la certification, les entreprises européennes devront se conformer à des standards stricts, ce qui pourrait améliorer la qualité des produits proposés sur le marché algérien.
Ce renforcement des normes pourrait également avoir des effets positifs pour les consommateurs algériens, qui bénéficieraient de produits Halal certifiés selon des critères rigoureux et transparents. Cependant, cela pourrait également accroître la complexité et le coût des procédures de certification pour les exportateurs européens, qui devront s’assurer que leurs produits répondent aux exigences spécifiques de la GMP.
La Question de la Concurrence et de la Diversification
La question de la concurrence est au cœur des préoccupations de l’UE. L’exclusivité accordée à la GMP pourrait limiter la diversité des organismes de certification, ce qui pourrait être perçu comme une entrave à la libre concurrence. En réponse à cela, il est possible que l’UE cherche à négocier des accords avec l’Algérie pour permettre à d’autres organismes de certification de se positionner sur ce marché.
Par ailleurs, cette situation pourrait pousser certains pays européens à développer leurs propres structures de certification Halal, afin de réduire leur dépendance à l’égard de la GMP et de diversifier leurs options. Cela pourrait également encourager une coopération accrue entre les pays européens pour harmoniser les normes de certification Halal au sein de l’UE, afin de faciliter les exportations vers des marchés exigeants comme celui de l’Algérie.
Les Conséquences Diplomatiques : Un Nouveau Front dans les Relations Algérie-UE ?
Une Question de Souveraineté Nationale
Pour l’Algérie, la certification Halal est avant tout une question de souveraineté nationale. En confiant cette mission à la GMP, les autorités algériennes exercent leur droit de contrôler les produits importés sur leur territoire et de s’assurer qu’ils respectent les normes religieuses et sanitaires du pays. Toute tentative de l’UE de remettre en cause cette décision pourrait être perçue comme une ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie, ce qui pourrait compliquer les relations diplomatiques entre les deux parties.
Le Risque d’un Durcissement des Positions
Si les tensions entre l’UE et l’Algérie se poursuivent, il existe un risque que les positions se durcissent de part et d’autre. L’Algérie pourrait décider de renforcer encore ses exigences en matière de certification Halal, tandis que l’UE pourrait chercher à imposer des sanctions ou à revoir ses accords commerciaux avec l’Algérie. Un tel scénario serait préjudiciable aux deux parties, car il pourrait entraîner une diminution des échanges commerciaux et nuire à la coopération dans d’autres domaines.
Pour éviter une escalade, il est essentiel que les deux parties maintiennent le dialogue et cherchent à trouver un compromis qui respecte la souveraineté de l’Algérie tout en répondant aux préoccupations de l’UE. La GMP pourrait jouer un rôle clé dans ce processus, en continuant à améliorer ses services de certification et en travaillant étroitement avec les entreprises européennes pour faciliter leur accès au marché algérien.
Conclusion : Vers une Solution Concertée ?
La controverse autour de la certification Halal des produits exportés vers l’Algérie met en lumière les défis complexes auxquels sont confrontés les acteurs du commerce international, où les questions de souveraineté nationale et de concurrence économique se chevauchent. Si la position de l’Algérie est claire et fondée sur la volonté de protéger son marché et de garantir la qualité des produits Halal, les préoccupations de l’UE ne peuvent être ignorées, en particulier en ce qui concerne les répercussions économiques pour les exportateurs européens.
Il est crucial que ce différend soit résolu par le dialogue et la coopération, plutôt que par la confrontation. La Grande Mosquée de Paris, en tant qu’interlocuteur clé, a déjà manifesté son ouverture à la discussion, ce qui est un signe encourageant pour l’avenir. En travaillant ensemble, l’Algérie, l’UE, et la GMP peuvent trouver des solutions qui respectent les intérêts de toutes les parties, tout en renforçant les normes de certification Halal pour le bénéfice des consommateurs.