Chronique éco/ Au secours, la bureaucratie algérienne s’empare du dossier de  l’industrie automobile !

Redaction

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Tout nouveau, tout beau. Le ministre de l’Industrie est célébré par la presse nationale qui ne tardera pas à déchanter. La cause de cette popularité ? Il  a apparemment décidé de défaire tout ce qu’avait fait son prédécesseur. Dans quelques temps, on s’apercevra sans aucun doute que la «nouvelle stratégie»  évoquée par Mehdjoub Bedda s’inscrit dans  la plus pure, et la pire des  traditions bureaucratiques de l’administration algérienne et n’a aucune chance de réussir à convaincre ni les investisseurs nationaux ni les constructeurs étrangers.

Les propos tenus par Mehdjoub Bedda devant les parlementaires ainsi que ses interventions médiatiques ne laissent malheureusement pas beaucoup de doutes. Importations déguisées, taux d’intégration insuffisant et truqué, flambée des prix des véhicules. En quelques phrases, le ministre de l’Industrie et des Mines, Mehdjoub Bedda, a littéralement éreinté, la gestion du dossier « montage » des véhicules en Algérie par son prédécesseur Abdeslam Bouchouareb. Cette activité de montage, a-t-il déclaré notamment, est une « une forme d' »importation déguisée », ce qui nécessite, selon lui, une révision de la réglementation.

Le nouveau titulaire du poste de responsable du développement de l’industrie algérienne ne s’est pas contenté de ce constat sévère. Il a aussi apparemment des idées  sur la façon de reprendre le dossier de l’industrie du montage automobile. Malheureusement ce ne sont pas les bonnes.

Instabilité chronique et manque de vision économique

Reprenons les choses dans l’ordre. On peut penser ce qu’on veut de la gestion de M. Bouchouareb et des défauts de son cahier des charges pour l’industrie de montage automobile, mais il y avait au moins une chose de clair dans ce cahier des charges: il prévoyait qu’à partir du mois de janvier 2017, les concessionnaires automobiles devaient développer une activité industrielle en Algérie. Pas forcement d’ailleurs une activité de montage de véhicules mais éventuellement aussi une production de pièces détachées ou de composants automobiles. C’est ce qu’ils ont fait pour quelques uns d’entre eux, tandis qu’un certain nombre ont carrément jeté l’éponge, et que d’autres sont encore en négociation avec les autorités algériennes.

Des usines ont ainsi été ouvertes ou sont en voie de l’être et la réglementation donne «3 ans au nouveaux investisseurs pour parvenir à un taux d’intégration de 15% et 5 ans pour parvenir à 40 % ». Nous sommes en début juillet, à peine six mois après le début de cette démarche, les usines viennent d’ouvrir et pour certaines ne sont pas encore opérationnelles. L’usine Volkwagen de Relizane doit être  inaugurée le 27 juillet prochain par le président du directoire du géant automobile allemand. C’est le moment choisi par M. Mehdjoub Bedda pour changer la réglementation qui n’est pas à son goût. Allez expliquer ça aux investisseurs nationaux et étrangers qui réclament, depuis des décennies, de la visibilité pour leurs investissements et une plus grande stabilité du cadre réglementaire. Le nouveau ministre de l’Industrie qui a fait toute sa carrière dans l’administration considère manifestement, comme beaucoup de ses collègues formés sur le même moule que lui, que les géants mondiaux de l’industrie n’ont pas d’autre choix que de se plier à la volonté et à l’humeur changeante des fonctionnaires algériens.

Improvisation et absence  de vision stratégique

Autre mauvais signal envoyé par le nouveau ministre de l’Industrie, dès sa prise de fonction, M. Bedda s’est empressé d’aller confier aux médias nationaux qu’on allait voir ce qu’on allait voir et qu’avec lui tout allait changer. Le problème est que lorsqu’on demande au nouveau ministre de l’Industrie ce qu’il a l’intention de faire, il répond qu’il «attend les conclusions d’un groupe d’experts» qu’il a désigné pour se pencher sur la filière. Combien de constructeurs doivent s’installer en Algérie ? Il ne sait pas. Selon lui, «les négociations continuent avec Peugeot, Nissan et Ford». La seule chose dont il est sûr apparemment et qu’il s’est dépêché de confier aux journalistes, c’est que les dirigeants de Renault Algérie sont des menteurs et ont raconté des histoires sur le taux d’intégration de l’usine d’Oued Tlelat inaugurée en novembre 2015. L’urgence pour Mehdjoub Bedda, avant même que les experts désignés par lui aient rendus leurs conclusion, c’est donc de dénigrer la seule vraie usine de montage automobile en activité à l’heure actuelle dans notre pays, sous prétexte qu’il n’est pas d’accord avec les chiffres donnés par la direction de Renault Production Algérie. Rappelons tout de même qu’il y a à peine 6 mois, l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal avait félicité les dirigeants de Renault présents à la Foire de la production nationale en les invitant à diversifier les modèles produits en Algérie et à augmenter leur production.

Mourad Oulmi: «Dix ans pour créer une industrie  auto en Algérie»

La vision stratégique qui lui manque manifestement, M. Bedda pourrait pourtant la trouver chez quelqu’un qui connait l’industrie automobile beaucoup mieux que lui. Mourad Oulmi est le PDG de SOVAC Production, la nouvelle entreprise créée en partenariat avec Volkswagen. Il répète depuis plusieurs mois que la taille du marché algérien ne permet pas d’accueillir plus de deux ou trois constructeurs et que ces derniers doivent être Renault et Volkswagen qui sont les seuls susceptibles de mobiliser autours d’eux le réseau de sous-traitants qui permettra de créer une vraie industrie de montage auto en Algérie. Mourad Oulmi, qui sait de quoi il parle, ajoute qu’«il faudra dix ans pour créer une telle industrie dans notre pays». Le PDG de Sovac n’a d’ailleurs rien inventé et il ne s’en cache pas. La stratégie dont il parle est exactement celle que nos voisins marocains ont mis en œuvre avec succès depuis plusieurs décennies, en établissant une relation privilégiée avec le groupe Renault d’abord, et son grand concurrent Peugeot depuis quelques années. Pendant ce temps-là, nos bureaucrates qui continuent de couper les cheveux en quatre, s’empressent de détruire ce qu’ont fait leurs prédécesseurs, cherchent à nous ramener au point zéro et s’imaginent qu’on peut construire une industrie rien qu’en pondant des textes réglementaires.

Mehdjoub Bedda préfère un partenaire public pour Peugeot

Le nouveau ministre de l’industrie, Mehdjoub Bedda, qui n’est décidément pas avare en déclarations, a envoyé un autre signal qui en dit long sur l’état d’esprit d’une grande partie de la bureaucratie algérienne. Lorsqu’on lui demande ou en sont les négociations avec Peugeot, il répond qu’«elles sont toujours en cours», mais en ajoutant aussitôt qu’il «ne comprend pas pourquoi le groupe Peugeot n’a pas choisi la SNVI comme partenaire». Il faut savoir que deux partenaires privés algériens, parmi lesquels figure le groupe Condor, sont associés au projet de Peugeot en Algérie. Apparemment, c’est un choix qui ne plait pas aux fonctionnaires algériens qui préféreraient lui imposer un associé public, la SNVI, qui est, de surcroît, déjà le partenaire de Renault dans l’usine de Oued Tlelat. M. Bedda n’est donc pas seulement un très mauvais connaisseur de l’industrie, c’est aussi apparemment un idéologue qui n’hésite pas à afficher ouvertement son aversion pour le secteur privé. Ça promets et le dossier de l’industrie dans notre pays est décidément entre de bonnes mains. Les médias nationaux qui chantent actuellement les louanges de Mehdjoub Bedda ne tarderont pas à s’en apercevoir.

Yazid Taleb