Trois jours après l’accident, les circonstances du crash de l’avion d’Air Algérie dans la zone de Gossi, dans le nord-est Mali, sont loin d’être connues. Les deux boîtes noires, en phase d’exploitation à Gao, permettront de comprendre ce qui s’est passé à bord du vol AH5017 jeudi soir. Algérie-Focus a interrogé Jean-Baptiste Djebarri expert en aéronautique, pilote d’avion d’affaires et fondateur de Kepplair Evolution.
Propos recueillis Djamila Ould Khettab
Plusieurs hypothèses sur les raisons du crash de l’avion d’Air Algérie ont été avancées depuis vendredi. Selon vous, des conditions climatiques extrêmes peuvent-elles désintégrer à ce point un appareil en plein vol ?
La zone du crash se situe dans la « Zone de convergence intertropicale », qui est l’une des plus turbulentes au monde. Ceci dit ces conditions de vol sont bien connues des pilotes, qui prennent soin d’éviter de traverser les cumulonimbus. Les nuages et les points de givrage pertubrent la contrôlabilité de l’avion, la foudre endommage le système électrique et de communication. Mais je ne connais pas d’avion qui ont été détruit par des phénomènes météorologiques. Donc les conditions climatiques sont une cause peu probable dans un crash mais tant que l’exploitation des deux boîtes noires n’est pas terminée tout reste ouvert et toutes les hypothèses possibles.
Etant donné la météo, l’avion d’Air Algérie n’aurait-il pas dû rester au sol à Ouagadougou ?
Non. La Zone de convergence intertropicale est présente toute l’année. On sait à force comment la traverser sans risque. Les pilotes du vol AH5017 sont des habitués et expérimentés. Durant la préparation du vol, ils ont dû vérifier la météo sur l’itinéraire et dessiner un parcours de vol en fonction de ces éléments. Mais par nature les phénomènes sont variables donc il arrive que les pilotes d’avion décident de dévier de leur route initiale.
Quelle est la part de responsabilité d’Air Algérie dans cet accident ?
Il est encore trop tôt pour se prononcer. Il faut d’abord déterminer les causes techniques du crash et cela passe par l’étude des deux boîtes noires. Ensuite, il faut identifier les corps des victimes et les rapatrier dans leur pays. L’enquête judiciaire déterminera la responsabilité de chacun mais l’affaire s’annonce compliquée. La compagnie est algérienne, l’affrêteur est espagnol et les victimes sont de plusieurs nationalités différentes. L’enquête judiciaire multinationale risque de prendre du temps.
Quelle est la réputation d’Air Algérie et de Swiftair à l’international ?
Plutôt bonne. Air Algérie est une compagnie reconnue internationalement. Concernant Swiftair, ces derniers jours, des témoignages sont sortis sur les conditions de travail dans le charter espagnol. C’est regrettable mais c’est la loi du marché. En termes de sécurité, Switfair est en revanche fiable.
Qui doit mener l’enquête sur le crash du vol AH5017 ?
Légalement, le Mali. Les accidents aériens sont régis par l’annexe 13 de la réglemenation de l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) [ndlr une agence onusienne], qui prévoit que l’enquête soit pilotée par l’Etat où le crash s’est produit, en l’occurence le Mali. Les Maliens ont en toute légalité fait appel à l’assistance de la France. Mais l’enquête sera internationale puisque l’avion est espagnol, la compagnie algérienne et les victimes de plusieurs nationalités différentes.
Que peuvent nous enseigner les deux boîtes noires retrouvées ?
La première boîte, appelée CVR pour Cockpit Voice Record, est un enregistrement de toutes les conversations au sein de l’équipage à bord de l’avion. Elle sauvegarde donc la voix du pilote ainsi que celle des hôtesses et stewards, les discussion entre pilotes. Parfois un micro d’ambiance à l’intérieur de l’avion. La bande son enregistrée va de 30 minutes à 2 heures.
La deuxième boîte, appellée FDR pour Flight Data Recorder, enregistre les données et les paramètres techniques du vol : la puissance du moteur, la position de la gouverne etc. En cas d’arrêt du fonctionnement du moteur de l’avion, la FDR donne des précisions sur l’heure et les raisons de cette panne. L’enregistrement dure 25 heures ce qui signifie que la deuxième boîte noire recense même des dysfonctionnements avant le vol Ouagadougou-Alger.
Reste à savoir si l’état de ces deux boîtes noires n’est pas défectueux car le choc a été très violent au moment du crash.
L’année 2014 a été une année noire pour l’aviation civile mondiale. Comment enrayer cette tendance ?
Je ne suis pas d’accord. Des accidents marquants pour l’opinion publique ont émaillé le début de l’année 2014 comme le crash du Boeing 777 de la Malaysia Arilines, abattu par un missile, la mystérieuse disparition du vol MH 370 de la même compagnie aérienne au large du Vietnam et maintenant le crash de l’avion d’Air Algérie, qui a fait 118 morts.
Mais si on regarde les statistiques de près on remaque que le nombre de crash est stable depuis le début des années 2000. Il y a même eu un creux en 2011.
Le plus gros challenge c’est l’avenir et le boom mondial du transport aérien. Aujourd’hui, il y a 3 milliards de voyageurs. Ce nombre devrait doubler d’ici vingt ans.