Le système de protection sociale algérien est devenu largement obsolète. Le gouvernement le sait très bien : un projet de réforme est à l’étude depuis plusieurs années. Mais fidèle à ses (mauvaises) habitudes, il prend tout son temps et préfère travailler en vase clos, en laissant filtrer les informations au compte goutte, plutôt que d’associer les partenaires sociaux.
En Algérie, l’érosion du pouvoir d’achat de la plus grande partie de la population est une réalité sensible depuis maintenant plusieurs années . Dans un pays où le processus de différenciation sociale se renforce en raison de la diversification de l’économie aussi bien que du développement du secteur privé, la perception des inégalités est également de plus en plus forte. C’est dans ce contexte général qu’une partie importante de la population est rendue de plus en plus vulnérable par la réduction des opportunités d’emploi ainsi que par l’absence d’un système de protection sociale ciblant spécifiquement les plus défavorisés. Une vulnérabilité croissante qui n’est surement pas étrangère aux troubles sociaux qui se développent dans notre pays.
Des transferts sociaux «généreux»…
Confrontés à cette situation nouvelle pour eux, les pouvoirs publics algériens ne manquent aucune occasion de rappeler au cours des derniers mois que les transferts sociaux sont très importants dans notre pays. M .Tebboune vient d’ailleurs, voici quelques jours, de résumer de façon un peu caricaturale cette attitude en affirmant, à propos des menaces (extérieures selon lui) qui pèsent sur la stabilité de notre pays, que «c’est l’exemplarité de l’Algérie et sa générosité avec son peuple qui dérangent les puissances étrangères».
De façon plus sérieuse, le ministre des Finances, M. Hadji Baba Ammi, a indiqué de son côté voici quelques semaines, devant les députés, que les transferts sociaux coûteront la bagatelle de 1631 milliards de dinars (près de 16 milliards de dollars) au budget de l’Etat en 2017. Ces dépenses sociales (habitat, santé, éducation, transport, etc) sont complétées par des subventions énergétiques qui ne sont pas inscrites au budget et dont le montant, estimé ces dernières années à plus de 15 milliards de dollars, est à peu près identique. Soit au total largement plus de 30 milliards de dollars.
…Mais des subventions inadaptées
Et c’est bien là le problème. L’État algérien s’appuie de façon croissante sur des subventions généralisées pour partager la richesse du pays en pétrole et en gaz avec ses citoyens. Si cet objectif est noble et si toutes les subventions ne sont pas néfastes, tenter de redistribuer les revenus au moyen de subventions non ciblées présente de nombreux inconvénients. Mis en place dans les années 70, remis en cause au début des années 90 par les accords avec le FMI, le système des subventions s’est reconstitué et généralisé de nouveau depuis près de 25 ans. Au point que son coût financier véritable était encore inconnu voici quelques années, et que c’est seulement depuis 2016, que le coût des subventions énergétiques pour la collectivité figure en annexe à la loi de finance.
Le diagnostic sur ce système de subvention est aujourd’hui généralement partagé. Il absorbe une part croissante des ressources de la collectivité dans un contexte, qui semble durable, de réduction des ressources de l’Etat. Il favorise la surconsommation et le gaspillage des produits concernés. Il arrose enfin, à travers un vaste réseau de contrebande, un bassin géographique important au-delà des frontières du pays.
La première des «réformes de structure» de l’économie algérienne
Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics algériens ont été invités de façon de plus en plus pressante, aussi bien par les institutions multilatérales que par de nombreux acteurs nationaux, à revoir leur système de subventions. L’importance de la rente pétrolière au cours de la décennie écoulée a permis de différer cette révision. Elle est devenue désormais inévitable en raison de la diminution brutale et probablement durable des revenus pétroliers du pays.
Il ne s’agit plus désormais de réaliser un simple «ajustement» des prix de certains produits en attendant des jours meilleurs sur le front des prix pétroliers, mais au contraire de faire démarrer le premier des «grands chantiers de réforme» qui attendent l’économie algérienne de l’après-pétrole. L’idée qui sous tend cette réforme est qu’«on peut faire mieux avec moins de ressources financières en élaborant un système de transferts monétaires directs en direction des couches les plus défavorisées» et qu’il est souhaitable de «subventionner les ménages plutôt que les produits .
Le gouvernement prend tout son temps
Fin 2015 déjà, Abderrahmane Benkhalfa, avait indiqué que le gouvernement réfléchissait au ciblage des subventions. Un sujet « sensible et compliqué » avait affirmé l’ancien ministre des Finances, M. Benkhalfa, qui avait annoncé à cette occasion qu’un chantier avait été lancé depuis quelques mois impliquant trois départements (la Solidarité nationale, l’Office national des statistiques et le ministère des Finances) dans l’objectif de mettre en place un système d’aide et d’appui «plus équitable et plus juste», ajoutant que le gouvernement est «en train de réfléchir pour aboutir, d’ici 2 à 3 ans, au ciblage des subventions».
Début 2017, le gouvernement continue de réfléchir. Dans une interview récente à l’APS, le nouveau ministre des finances, M. Hadji Baba Ammi, estime que le dispositif des subventions généralisées n’est pas «équitable», d’où l’idée de revoir de fond en comble cette politique volontariste de l’Etat qui abreuve à la fois riches et nécessiteux, entreprises et ménages, Algériens et peuples voisins. Il affirme que «le gouvernement compte, à l’avenir, consacrer ces subventions aux nécessiteux à travers un nouveau système qui est en cours de préparation, en soulignant que «la politique de subventions serait maintenue pour tous jusqu’au parachèvement de ce système». Rien de bien nouveau donc, le gouvernement prend tout son temps et fidèle à ses ( mauvaises) habitudes, il travaille en vase clos en oubliant d’associer les partenaires sociaux et en ne laissant filtrer qu’une information minimale et au compte-gouttes.
Un fichier national pour les plus démunis
Le temps presse pourtant. Il y a désormais urgence et beaucoup d’experts nationaux et d’institutions internationales invitent, depuis de nombreuses années, l’Algérie à moderniser son «filet social» dans le but de mieux cibler les transferts sociaux et déconnecter la politique de redistribution des revenus du système des prix à la consommation.
Pour tenter de fixer les idées sur les enjeux associés à ce futur filet social, dans le «plan d’urgence», justement, rendu public voici un peu plus d’un an par le collectif Nabni, l’un des chantiers prioritaires identifiés par les experts algériens concerne la refonte du système de redistribution sociale. A l’image de beaucoup d’expériences considérées comme «réussies» (Brésil, Indonésie, Mexique, Turquie, Maroc…), cette réforme devrait s’appuyer d’abord, selon le think tank algérien, sur l’identification très exhaustive des ménages nécessiteux à travers la mise en place d’un fichier national qui mettrait à contribution dans une première étape les 250 cellules de proximité de l’Agence de Développement Social (ADS).
La mise en place de ce nouveau filet social passerait ensuite par l’élaboration d’un programme de «transferts monétaires directs» ciblant différentes tranches de la population (handicapés, chômeurs, familles sans revenus, veuves, etc). Dans certains cas, ces aides monétaires directes pourraient être adossées à des programmes de développement humain en matière de santé, d’éducation ou de formation. Au total, le collectif Nabni estime que pas moins de 30% des ménages algériens, soit près de 15 millions de personnes, pourraient bénéficier à un titre ou un autre de ces transferts monétaires.