Après des années d’hésitation, l’Algérie semble, aujourd’hui, avoir l’ambition de développer un important programme dans le domaine des énergies renouvelables. Un Conseil des ministres a érigé, en février dernier, le secteur en « priorité nationale » et il constitue un des axes majeurs du « nouveau modèle économique » qui sera annoncé la semaine prochaine. Si la volonté politique de mettre en oeuvre un tel programme existe bien désormais, il reste à savoir si les moyens, financiers notamment, d’une telle ambition sont bien disponibles.
C’est un programme très ambitieux que l’Algérie se prépare à réaliser. En mai 2015, la nouvelle mouture du programme national de développement des énergies renouvelables avait revu à la hausse les capacités de production à mettre en place à partir de sources renouvelables en les portant à 22.000 MW au lieu de 12.000 MW comme arrêtés dans le précédent programme. Les filières du solaire photovoltaïque et de l’éolien sont particulièrement privilégiées.
Les retombées de ce programme seront très significatives en termes de création d’emplois, d’industrialisation, de développement technologique et d’acquisition de savoir-faire, contribuant ainsi à la croissance et à la modernisation économique du pays ainsi qu’à la préservation de l’environnement.
Le solaire oui, mais quelle filière ?
Les interrogations des spécialistes au sujet de ce programme ne sont pourtant pas absentes. La première d’entre elles concerne les filières technologiques à privilégier. Ancien PDG de NEAL, la filiale commune, aujourd’hui en sommeil, de Sonatrach et Sonelgaz dans le domaine des énergies renouvelables, Tewfik Hasni est depuis de nombreuses années l’avocat infatigable des énergies renouvelables. Il est convaincu de longue date qu’elles sont plus que jamais la solution qui assurera à long terme la sécurité énergétique du pays. Il n’approuve cependant pas la priorité réservée à la filière du solaire photovoltaïque par le programme national.
« Notre point fort et notre vrai avantage comparatif c’est le solaire thermique », assure Tewfik Hasni. Il rappelle que l’espace saharien est l’un des seuls au monde à permettre la mise en œuvre d’une telle solution pour la génération électrique. Une option d’ailleurs déjà largement développée par les Saoudiens qui ont pris une longueur d’avance dans ce domaine grâce à l’entreprise AQUA qui est aujourd’hui un leader mondial et a déjà installé près de 800 MW dans son propre pays et jusqu’en Afrique du sud. L’entreprise soudanienne qui, selon Tewfik Hasni, « pourrait constituer un excellent partenaire pour le programme algérien d’énergies renouvelables ». Cette dernière ne devrait d’ailleurs pas rester longtemps seule en lice et « les Américains sont également en train de concevoir un programme très ambitieux dans le domaine du solaire thermique », ajoute l’expert algérien. Pour l’instant, le programme algérien mise surtout sur la filière plus ancienne et mieux maîtrisée du photovoltaïque et ne prévoit le développement de projets basés sur la technique du solaire thermique qu’à partir de 2022.
Comment financer un tel programme ?
Une deuxième interrogation, au moins aussi importante dans la période actuelle, est relative au coût financier de cet ambitieux programme national. Le ministre de l’Energie, Salah Khebri, a estimé, voici quelques jours, que l’utilisation accrue des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique pourraient conduire à des économies de 42 milliards de dollars sur 15 ans, avec 60 milliards de dollars d’investissement prévus. En période de démarrage de ce programme, et pour la seule année 2014, l’Algérie aurait déjà mobilisé, selon un rapport de 2015 de Bloomberg New Energy Finance, le montant de 428 millions de dollars dans les énergies renouvelables.
Quand Le PDG de SONELGAZ reste dubitatif
Le PDG du groupe Sonelgaz déclarait, au début de la semaine dernière, que la mise en oeuvre du programme national dédié aux énergies renouvelables « pose un problème de coûts et d’investissement ». Pour Nourredine Bouterfa, la transition escomptée ne dépend pas uniquement d’une « décision politique » volontaire, mais exige également la prise en compte de la mobilisation des investissements nécessaires. Selon le PDG du groupe Sonelgaz, qui s’exprimait lors du 3ème colloque du Club Energie de l’Association des Ingénieurs d’Etat Diplômés de l’IAP, « lorsqu’on parle du programme d’énergies renouvelable, il faut d’abord parler subventions, incitations fiscales au profit des investisseurs, mais aussi vérité des prix de l’électricité et du gaz ».
Sonelgaz fortement endetté
Le PDG de Sonelgaz sait de quoi il parle. La Société des Energies Renouvelables (SKTM), une filiale de la société nationale Sonelgaz, créé en avril 2013, pour superviser les projets d’énergies renouvelables, vient de confirmer que des centrales solaires dotées d’une capacité combinée de 380 MW étaient en cours de construction dans les Hauts Plateaux et les régions du sud, la majorité des installations devant être opérationnelles d’ici juillet 2016.
Pour financer l’ensemble de ses investissements, l’entreprise dirigée par M. Bouterfa doit déjà faire face actuellement à un endettement considérable auprès du secteur bancaire national dans le but de réaliser les objectifs qui lui sont assignés, principalement en matière de production électrique par des méthodes conventionnelles, mais également, depuis quelques années, à travers le développement des énergies renouvelables. Le montant global de cet endettement n’a pas été divulgué, mais on sait que les seuls crédits accordés par la CNEP banque, décrétée « banque de Sonelgaz » au cours des dernières années, s’élèvent déjà à près de 400 milliards de dinars (environ quatre milliards de dollars). En l’absence d’une augmentation très sensible des tarifs de l’électricité, ce niveau d’endettement est appelé à augmenter très rapidement au cours des années à venir auprès d’un système bancaire national dont on prévoit déjà de gros problèmes de liquidité.
L’option des financements extérieurs
La solution serait elle du coté de l’endettement extérieur ? L’idée a été évoquée récemment, à la fois par les responsables de Sonelgaz et par le ministre des finances lui-même. Des marges de manœuvre dans ce domaine existent certainement, en particulier avec des institutions multilatérales comme la Banque mondiale, la BAD ou encore la BEI, mais la plupart des spécialistes évoquent la nécessité d’une « garantie de l’Etat » pour s’adresser aux bailleurs de fonds internationaux du fait de la situation financière de l’entreprise. Une démarche qui ne semble pas, pour l’instant, avalisée par le gouvernement algérien qui préfère évoquer, sans plus de détails, des projets dont le financement serait « assuré par leur propre rentabilité ».
Stimuler l’investissement privé
En attendant, dans le but de soulager le secteur public et aider à stimuler l’investissement privé, le gouvernement a mis en place un cadre réglementaire relativement libéralisé. Les tarifs de rachat pour les projets renouvelables seront subventionnés grâce à un prélèvement de 1 % sur les revenus pétroliers, pratiqué par le Fonds National pour les Energies Renouvelables et la Cogénération (FNERC).
Les projets d’énergie solaire et éolienne mis en œuvre par des opérateurs privés seront basés sur un contrat d’achat d’électricité de 20 ans garantissant des tarifs préférentiels pour l’électricité générée. Depuis avril 2014, le gouvernement propose un système de tarif de rachat jugé « généreux ». Pour les projets dont la capacité varie entre 1 et 5 MW, l’électricité produite par les installations photovoltaïques est payée sur une base tarifaire de 16 dinars algériens (0,14 €) par kWh durant les cinq premières années, un taux préférentiel distinct étant appliqué à ceux excédant 5 MW.
Les filières de la biomasse et de la géothermie, qui occupent une place modeste mais non négligeable dans le programme national, ne bénéficient pas des tarifs d’achat garantis mais seront de leur coté financées par le FNERC, à hauteur de 50% à 90% du coût d’investissement, selon la technologie et la filière retenues.
Développer la production des équipements en Algérie
L’un des objectifs et une des ambitions majeures du programme algérien dans le domaine des énergies renouvelables est également de favoriser la production en Algérie des équipements de la filière pour éviter que notre pays se retrouve dépendant des fournisseurs étrangers. Afin d’encourager et soutenir les industriels dans la réalisation de ce programme, il est prévu, entre autres, la réduction des droits de douane et de la TVA à l’importation pour les composants, matières premières et produits semi-finis utilisés dans la fabrication des équipements en Algérie, dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
Hassan Haddouche