Décryptage/ L’emprunt obligataire risque-t-il de manquer sa cible ?

Redaction

Depuis son lancement  le 17 Avril, chaque semaine apporte de nouvelles informations sur la détermination du gouvernement à assurer la réussite de l’emprunt d’Etat. Mais quelles sont exactement les cibles visées à travers le lancement de l’emprunt obligataire ? On ne sait toujours pas combien d’argent l’Etat veut lever à travers cette opération, ni quelle est  au juste nature des ressources financières qui sont ciblées.

Si on en croit les déclarations des autorités algériennes, la cible principale de l’emprunt obligataire lancé le 17 avril dernier et qui devrait rester «robinet ouvert» pendant une période de six mois est l’argent «dormant» et celui de l’informel. Ce qui n’est d’ailleurs déjà pas tout à fait la même chose.

L’informel, c’est combien d’Argent ?

Les montants des capitaux brassés par le marché informel ont fait l’objet, au cours des dernières années, des évaluations les plus diverses. L’été dernier, à l’occasion  du lancement de l’opération d’amnistie fiscale, les médias nationaux annonçaient, sans préciser la source exacte  de cette évaluation, que « la sphère informelle  recèle, selon les chiffres du gouvernement, 3700 milliards de dinars», soit près de 40 milliards de dollars au taux de change de l’époque. Cette évaluation maximale a été depuis fortement révisée à la baisse. C’est  ainsi qu’à propos du «potentiel» du récent emprunt d’Etat, les professeurs Boucekkine et Meddahi évoquent, pour leur part, un chiffre compris entre 1250  et  2925 milliards de  DA. «Nous pensons que le vrai potentiel est entre les deux», estime les deux économistes. Ce qui laisse quand même une très large marge d’incertitude… Plus récemment encore le ministre des finances, citant la Banque d’Algérie, estimait que «l’argent liquide circulant dans l’informel tourne autour de 1.000/1.300 milliards de DA». «Nous espérons mobiliser cette somme d’ici à la fin 2016» ajoutait M. Benkhalfa. Conclusion, on ne sait pas exactement combien il y a d’argent dans l’économie informelle. La Banque d’Algérie, institution la plus «autorisée» dans ce domaine, est tout au plus en mesure de nous renseigner sur la quantité de monnaie fiduciaire circulant  en dehors des circuits bancaires.

Comment mobiliser l’ «argent de l’informel» ?

Les moyens utilisés jusqu’ici par les autorités algériennes pour capter l’argent de l’informel sont-ils les bons ? Reconnaissons d’abord, à l’actif de l’actuel gouvernement qu’il est enfin passé aux actes et qu’il semble dans ce domaine avoir de la suite dans les idées. Depuis 2015, après des années de tergiversations, une série de mesures aux ambitions croissantes tentent d’affronter le problème de l’informel. Dans l’ordre chronologique, il s’agit de l’instauration de l’obligation de l’usage du chèque pour les transactions supérieures à un million de dinars instaurée en 2015, de l’opération d’amnistie fiscale entrée en vigueur le 2 août 2015 et  de l’emprunt d’Etat lancé de 17 Avril dernier.

Quels résultats ?

Evoquant l’effet des deux premières dispositions adoptées en 2015, Abderrahmane Benkhalfa a affirmé que «les dépôts bancaires ont enregistré une hausse sensible, au cours des  trois derniers mois de 2015», en mentionnant  le chiffre de «140 milliards de dinars de collecte  de ressources supplémentaires par les banques algériennes au cours de cette période». En dépit de cet optimisme de façade, l’opération de «mise en conformité fiscale volontaire», si on en juge par les témoignages obtenus « off the record », de certains  cadres de banque, ne semble pas avoir provoqué  l’engouement escompté. Elle doit néanmoins se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2016 et c’est seulement à cette date qu’on pourra établir un bilan définitif de cette opération.

L’argent non bancarisé comme cible principale

C’est sans doute pour cette raison que le gouvernement est passé à la vitesse supérieure avec l’emprunt obligataire d’Etat lancé en avril. Les obligations   émises à cette occasion donnent le choix entre des  titres qui sont  soit  nominatifs soit «au porteur», c’est-à-dire anonymes. Pour un expert financier reconnu comme  Omar Berkouk, l’opération   a été conçue pour «capter le maximum d’argent informel». Une analyse que semble confirmer les propos récents du ministre des Finances qui déclarait à la veille de son lancement que «dans le cadre de cette opération, les institutions financières algériennes ne connaitront qu’un numéro».

Quel objectif en matière de levée de fonds ?

Quels sont les objectifs du gouvernement en matière de levée  de fonds ? Dans une déclaration récente à la radio nationale, le ministre des Finances, M. Benkhalfa, s’était contenté de dire que l’objectif est de «ramasser autant d’argent que possible». Des informations récentes semblaient indiquer que l’opération a pris un bon départ. Quelques 20 milliards de DA d’obligations ont été souscrites en une semaine au niveau des agences de BEA et plus de 50 milliards de dinars au bout d’un mois, indiquaient de  hauts responsables de cette banque publique. Signe que l’opération connait un certain succès, des sources bancaires annonçaient, après deux semaines, que beaucoup d’agences se retrouvaient à court de coupons et confirmaient l’information relative à l’émission de nouveaux coupons d’obligations de 10.000 DA/titre pour les particuliers et d’un (1) million DA/titre pour les gros déposants. Les objectifs des autorités algériennes seraient en fait très ambitieux et il s’agirait, ni plus ni moins, que de lever plus de 1000 milliards de dinars soit l’équivalent de près de 10 milliards de dollars. Rien ne sera donc négligé et on annonce déjà, ainsi qu’Algérie Focus vient de le révéler, qu’un téléthon spécial devrait être organisé par le FCE au cours du prochain ramadhan avec la participation des plus grands patrons algériens…

Vers un siphonage des ressources bancaires ?

Les risques associés à une collecte de fonds aussi importante par l’Etat algérien ne sont pas négligeable. Le premier et le plus important est de voir l’emprunt d’Etat manquer sa cible principale. Pour beaucoup de spécialistes, les capitaux circulant dans l’économie informelle ne sont pas pour l’essentiel un «argent dormant», mais au contraire un argent circulant très rapidement dans la sphère commerciale au sein de laquelle ils bénéficient de rendements importants. Dans de telles conditions, l’emprunt d’Etat risque d’attirer principalement des ressources déjà bancarisées auxquelles il offre une rémunération plus avantageuse. Ce qui pourrait priver les banques algériennes d’une partie des ressources dont elles disposent pour assurer le financement de l’économie.

Ce risque, largement évoqué par les médias algériens au cours des dernières semaines, est  pour l’instant écarté par les autorités financières du pays qui soulignent l’importance des ressources disponibles au sein des banques en mentionnant le chiffre de près de 5000 milliards de dinars. Autre argument évoqué par les partisans de l’emprunt : il devrait pousser les banques à renforcer la collecte de l’épargne en diversifiant leur offre de produits financiers et en proposants des rémunérations plus attractives. Enfin, dernier argument, l’Etat dispose à travers l’abaissement  des réserves obligatoires imposées aux banques algériennes, qui sont actuellement parmi les plus élevées du monde, d’une marge de manœuvre qui pourrait être utilisées, le cas échéant, pour réduire la pression sur les ressources bancaires.

La reprise annoncée récemment par la Banque d’Algérie, après environ 15 années d’interruption, de ses opérations de refinancement au profit des banques algériennes semble cependant  indiquer que   le risque est pris au sérieux par les autorités monétaires.

Hassan Haddouche