La légende raconte que Mustapha El Akkad, le créateur du film « Errissala » a longtemps erré dans le désert avant d’en trouver un : l’Arabie Saoudite a refusé de camper le tournage dans son royaume familial, le Koweït a retiré son argent du film, le Maroc de Hassan II s’est rétracté alors que les décors y étaient déjà construit.
C’est El Kaddhafi, pour ses raisons de contradicteur attitré des Al Saoud, qui a accepté finalement que le tournage se fasse chez lui. Mais en contrepartie d’une promesse d’un autre film, Omar El Mokhtar, par le même réalisateur, dit-on. Selon la légende, les figurants qui devaient jouer les « impies », les Koraichi, ont demandé le double du salaire de celui des « musulmans » : jouer aux Kouffars étaient une cascade pour leur âme apparemment. Le pauvre rôle de l’assassin de Hamza, écrira même, selon les légendes, à El Akkad pour lui expliquer que depuis Errissala, personne ne veut le recruter parce qu’il « a commis le crime de tuer Hamza » ! Tout cela pour dire que le tournage de ce film a été une épopée. Il sera vu par des générations, il deviendra une matrice structurante de l’imaginaire islamiste et Djihadiste (des communiqués de Djihadistes portent la marque stylistique de ce film) et produira un jeune fou qui, un jour, ira se faire exploser dans un hôtel, pendant un mariage, tuant El Akkad et sa fille, mariée d’une seule nuit.
Pourquoi revenir sur cette fascinante histoire ? Parce qu’on y retrouve ce qui, aujourd’hui, fait face au film de Lyes Salem, « l’Oranais » : l’interdiction de filmer les martyrs, d’en parler comme des êtres humains, la fatwa, la milice et la violence. La caste du temple et des gardiens du temple, la fatwa, l’inquisition du syndicat des moudjahidines et des fils de martyrs, le malentendu et l’abus de propriété. El Akkad avait inventé, à l’époque, une étonnante recette pour ne pas devoir filmer le Prophète : la caméra subjective. Ce qui fera dire à la prospérité qu’il s’agit d’un coup de maitre : voilà le seul film au monde où le personnage principal n’apparaît pas. Pour « l’Oranais », il s’agit des mêmes réflexes : certains en Algérie voudraient interdire que l’on filme les martyrs, se présentent comme les propriétaires de notre histoire et ont instauré un droit de maquereau sur notre mémoire : il faut un visa de certains pour rêver de notre passé et il faut leur autorisation pour parler de ce qui nous appartient tous : les martyrs et nos héros. Voilà donc notre situation. L’alliance entre les islamistes et les détenteurs de droits sur les cimetières sacrés, participe de la même logique : les uns pensent être les propriétaires de Dieu et les autres des chouhadas et leur ossements. Au final, on ne doit pas filmer les deux. On pourra faire des films sur Larbi Ben M’hidi, mais en caméra subjective par exemple. Et même dans ce cas, le film pourra être interdit de projection, de financement ou d’exploitation.
Comme pour Errissala, on arrive doucement à nous imposer que l’on ne doit pas filmer les moudjahidines dans leur vie de chairs et de faiblesses, mais seulement comme icône remastrisée par la vertu et les effets de propagande. On nous imposé le dictat sur l’imaginaire et les rites sur notre mythe fondateur donc. Le syndicat 54, avec Echourouk et compagnie, réagit comme un gang qui voit lui échapper une rente et une propriété. L’histoire de notre pays a viré vers le rite, le dogme et donc vers l’inquisition et l’appropriation abusive. Un jour, ceux qui joueront les rôles de harkis dans les films ou de français vont demander le double du salaire et les martyrs ne seront plus montrés de face et on passera par le Azhar 54 pour avoir le droit d’en imaginer la vie. C’est même déjà le cas. Le ciel appartient aux religieux, la terre aux descendants des Moudjahidines. Il nous reste la mer à prendre ou l’air à brasser.
D’Errissila ou de l’Oranais, c’est l’histoire de l’interdiction de filmer (sans autorisation), imaginer, rêver, dire ou proclamer, projeter et interroger.