Du socialisme à l’islamisme/La femme algérienne sous la loupe d’une chercheuse de l’université de Manchester

Redaction

La chercheuse algérienne Zahia Smaïl Salhi, de l’université de Manchester, a fait toute sa carrière au Royaume-Uni, et s’est fait depuis des années spécialiste de la question des femmes et de leur participation à la construction de la nation algérienne.

Dans l’une de ses nombreuses thèses, elle démontre le rôle majeur joué par les Algériennes au cours des moments critiques de l’histoire du pays, que ce soit pendant la période coloniale, durant la guerre d’indépendance, ou lors de la décennie noire des années 1990.

Il en ressort qu’au cours des années 1930 et 1940, au sein du mouvement nationaliste, furent créées diverses associations de femmes. L’Union des femmes d’Algérie (UFA), sous l’égide du Parti communiste algérien (PCA), comptait entre 10,000 et 15,000 membres, se battait pour l’égalité des sexes, et proposait des solutions concrètes telle l’augmentation du niveau d’instruction chez les jeunes filles. D’autres associations, à l’instar de l’Association des femmes algériennes (AFA), allaient dans la même direction, et cherchaient à diffuser une conscience politique qui améliorerait les conditions sociales de la femme.

Zahia Smaïl Salhi montre que les leaders de ces associations rejoignirent les rangs des mouvements indépendantistes dès le début de la guerre d’indépendance. Environ 11,000 moujdahidate et 2000 fida’iyate s’occupaient des liaisons entre les factions de l’ALN et du FLN, « facilitaient les mouvements des moudjahidine », et « sous leurs voiles, cachaient des messages, de l’argent, des armes ». Pendant la bataille d’Alger, elle raconte comment les moudjahidate, habillées comme des européennes, « entrent dans les quartiers européens et y déposent des explosifs ».

Pour la chercheuse de l’université de Manchester, cette participation à la guerre d’indépendance eut un impact majeur sur les mentalités au sein de la société algérienne, notamment en remettant en cause les principes régissant le système patriarcal, mais offrit aussi à l’opinion mondiale une image plus progressiste de la femme algérienne. Cette implication des femmes durant la guerre de libération a suscité de nombreux espoirs, et l’idéologie socialiste du régime algérien des premières décennies post-indépendance portait elle aussi les germes d’un avenir plus égalitaire.

Les débuts du régime furent en effet propices à l’optimisme. Sous Houari Boumediene, en 1967, les chiffres d’Helen Chapan Metz montrent que 99 femmes furent élues à des assemblées communales. En 1976, la célèbre Charte nationale avait une forte dimension féministe. L’intégration des femmes dans un projet national progressiste constituait un des principes phares de la Charte, et l’objectif était de poursuivre l’élan offert par la guerre d’indépendance, malgré la pression constante que les partisans de l’idéologie islamiste exerçaient sur les décideurs de l’Etat socialiste d’alors.

Les choses se compliquèrent sous le mandat de Chadli Bendjedid, une période durant laquelle les islamistes gagnèrent en influence au sein de la sphère politique. En 1980, un décret ministériel interdît aux femmes de voyager sans être accompagné par un parent masculin. Le travail mené par Zahia Smaïl Salhi montre qu’à chacune de ces périodes critiques pour les femmes ou pour la nation algérienne, les Algériennes ne sont jamais restées passives face à ces tentatives d’oppression.

Le 8 mars 1980, une manifestation fut ainsi organisée dans le cadre de la Journée internationale des femmes, et le décret fut annulé dans la foulée de ces événements. En 1981, alors que le « code sur le statut personnel » était débattu en toute discrétion, plusieurs manifestations prirent place en octobre et en novembre pour remettre en cause ces futures lois liberticides. C’est au cours de ces années qu’on a assisté à l’émergence d’une véritable conscience féministe au sein de la population algérienne. Les différentes associations se rassemblent, et les anciennes moudjahidate manifestent aux côtés des plus jeunes.

Au début des années 1980, ces mouvements se joignent à d’autres manifestations, identitaires, sociales, et tous manifestent leur colère et leur frustration face au tournant idéologique et conservateur engagé par l’Etat. Malgré cela, le code concernant la famille est adopté en 1984, et les femmes algériennes sont sous le choc. Toutes se sentent trahies par l’Etat algérien, dont les idéaux portés par la révolution semblent être bafoués par ses élites politiques.

Mais Zahia Smaïl Salhi voit dans ces événements un aspect positif : Le réveil d’une conscience féministe quelque peu endormie depuis l’indépendance, et la naissance de nouvelles associations à prétention sociale. Et cette dynamique prendra une nouvelle dimension lors du conflit civil. Les femmes s’organisent de diverses manières.

Elles adoptent des stratégies de résistance au terrorisme « en continuant simplement à vivre des vies ‘normales’, malgré l’atmosphère de guerre ». Elles vont au travail, envoient leurs enfants à l’école, continuent à être ‘féminines ‘ malgré les pressions sociales, se rendent dans les salons de coiffure et de beauté, célèbrent les naissances, les mariages, les anniversaires. La vie ne s’arrête pas malgré le climat mortifère.

D’autres s’engagent concrètement dans la lutte. Le 2 janvier 1992, elles sont les premières dans la rue dans les grandes villes algériennes pour manifester contre le FIS et sa victoire de décembre 1991. Elles veulent une annulation d’un vote qu’elles considèrent comme illégitimes, notamment en raison du bâillonnement politique dont elles sont les premières victimes. Elles sont des milliers dans la rue, et veulent « occuper une sphère publique que les islamistes tentent de dominer ».

Cette période d’intense violence fut, comme la guerre d’indépendance, une période de profonds changements pour la société algérienne. Les mentalités et les tabous disparaissent progressivement, et l’attitude des femmes algériennes, courageuses et entreprenantes, détonne.

Zakia Smaïl Salhi, chiffres à l’appui, montre que ces femmes, après la décennie noire, loin d’être intimidées par la tournure des évènements, ont réinvesti la sphère publique. Elle exploite notamment les chiffres de Michael Slackman, un journaliste du New-York Times, qui montrait en 2007 que 70% des juristes algériens étaient des femmes, qu’elles constituaient 60% de ses juges, mais aussi 60% de sa population étudiante. Les réseaux au sein desquels elles sont investies, et les associations de la société civile qu’elles font émerger, sont vus comme des moyens efficaces de changer des vies et des mentalités.

C’est une révolution visible mais silencieuse auxquelles ont participé les femmes algériennes depuis une vingtaine d’années. Dans le monde anglo-saxon, journalistes, chercheurs, universitaires, s’étonnent de leur courage et de leur force morale dans un monde en proie au doute et à l’incertitude.

Tahar S.

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