En Algérie, pays au climat semi-aride où l’eau est une ressource précieuse et souvent rare, la gestion des ressources hydriques est devenue un enjeu national prioritaire. Face à une sécheresse persistante, une urbanisation galopante, et des infrastructures vieillissantes, le gouvernement algérien, par le biais de l’Algérienne des Eaux (ADE), a lancé une nouvelle stratégie pour assurer un approvisionnement en eau potable durable pour les années à venir. Cette stratégie, centrée sur le transfert d’eau dessalée vers les barrages intérieurs, se veut une réponse innovante aux défis hydriques du pays.
Contexte : Une Crise Hydrique Aigüe
Les Racines de la Crise
L’Algérie, bien que riche en ressources naturelles, fait face à des défis considérables en matière d’approvisionnement en eau. Avec un climat caractérisé par des précipitations irrégulières et souvent insuffisantes, le pays est exposé à des sécheresses récurrentes qui pèsent lourdement sur ses réserves en eau. Cette situation est exacerbée par une croissance démographique rapide et une urbanisation soutenue, qui accroissent la demande en eau potable.
Les infrastructures hydrauliques existantes, souvent obsolètes, peinent à répondre à cette demande croissante. Les barrages, qui constituent l’épine dorsale du système de stockage de l’eau en Algérie, voient leurs capacités diminuer au fil du temps, soit à cause de la sédimentation, soit en raison de la sécheresse qui réduit les niveaux d’eau. Le barrage Koudiat-Acerdoune, par exemple, avec une capacité nominale de 600 millions de m³, ne fonctionne actuellement qu’à 5 % de sa capacité, un chiffre qui illustre bien l’ampleur du problème.
Les Conséquences pour la Population
Les conséquences de cette crise hydrique sont multiples. Des millions de personnes, en particulier dans les régions les plus arides du pays, sont confrontées à des pénuries d’eau récurrentes. Cela affecte non seulement la qualité de vie des citoyens, mais aussi l’économie nationale, en limitant l’activité agricole et industrielle. Le nombre de wilayas confrontées à des perturbations d’approvisionnement en eau a atteint des niveaux alarmants, menaçant la sécurité hydrique du pays.
Face à ces défis, il devient impératif pour l’Algérie de revoir sa gestion des ressources en eau. La nouvelle stratégie adoptée par l’ADE s’inscrit dans cette logique, avec l’ambition de créer un système plus résilient et capable de garantir un approvisionnement en eau régulier, quelles que soient les conditions climatiques.
Une Nouvelle Stratégie pour l’Eau : Le Transfert d’Eau Dessalée
Les Fondements de la Stratégie
Pour répondre aux défis hydriques actuels, l’Algérienne des Eaux, sous la direction de Mustapha Rekik, a mis en place une stratégie ambitieuse et innovante. Cette stratégie repose sur un principe simple mais efficace : utiliser l’eau dessalée, produite sur les côtes algériennes, pour alimenter les barrages à l’intérieur du pays. L’idée est de compenser les déficits des barrages intérieurs, tout en optimisant l’utilisation des infrastructures existantes.
Au cœur de cette stratégie se trouve le projet pilote reliant la station de dessalement de Cap Djinet, située sur la côte méditerranéenne, au barrage Koudiat-Acerdoune. Un aqueduc de 47 km est en cours de construction pour acheminer l’eau dessalée directement vers le barrage. Ce projet, s’il est couronné de succès, pourrait servir de modèle pour d’autres régions du pays confrontées à des problèmes similaires.
Une Approche Multi-Échelles
La stratégie de l’ADE ne se limite pas à des solutions ponctuelles, mais s’inscrit dans une vision globale qui intègre des mesures à court, moyen et long termes. À court terme, l’ADE se concentre sur la gestion des situations d’urgence, en intervenant dans les wilayas les plus touchées par les pénuries d’eau. Ces interventions incluent la réparation rapide des infrastructures défectueuses, l’installation de nouvelles pompes et la distribution d’eau par camions-citernes dans les zones les plus critiques.
À moyen terme, un programme ambitieux de forage est en cours, avec pour objectif de réaliser 117 nouveaux puits d’ici la fin de l’année 2024. Ces forages, répartis à travers le pays, visent à exploiter les nappes phréatiques disponibles pour compléter l’approvisionnement en eau des populations.
À long terme, l’axe central de la stratégie repose sur le transfert d’eau dessalée vers les barrages intérieurs. Cette approche permet de garantir un approvisionnement constant en eau, indépendamment des variations pluviométriques. En outre, elle offre une solution durable qui peut être adaptée en fonction des besoins locaux, tout en maximisant l’utilisation des ressources disponibles.
Les Défis de la Mise en Œuvre : Entre Complexité Technique et Enjeux Financiers
La Complexité des Transferts d’Eau Dessalée
Le transfert d’eau dessalée vers les barrages intérieurs, bien que prometteur, n’est pas sans défis. Sur le plan technique, la construction des infrastructures nécessaires, telles que les aqueducs, est un projet complexe qui requiert des compétences spécialisées et des investissements conséquents. Le projet pilote entre Cap Djinet et Koudiat-Acerdoune, par exemple, implique non seulement la construction d’un aqueduc de 47 km, mais aussi la mise en place de systèmes de pompage et de contrôle pour assurer un débit régulier et sécurisé de l’eau.
En outre, la qualité de l’eau dessalée doit être soigneusement contrôlée pour éviter toute détérioration des infrastructures existantes. L’eau dessalée, bien que pure, peut contenir des traces de produits chimiques utilisés lors du processus de dessalement. Il est donc essentiel de s’assurer que l’eau transférée soit compatible avec les matériaux des barrages et des canalisations pour éviter la corrosion et autres dommages à long terme.
Les Enjeux Financiers et Institutionnels
Sur le plan financier, le coût de la mise en œuvre de cette stratégie est un autre défi majeur. Le dessalement de l’eau de mer est un processus énergivore, et le coût de production de l’eau dessalée est souvent plus élevé que celui de l’eau traditionnelle issue des nappes phréatiques ou des rivières. De plus, les infrastructures nécessaires pour transférer l’eau dessalée vers les barrages intérieurs représentent un investissement lourd, que l’Algérie devra financer soit par ses propres ressources, soit par l’intermédiaire de partenariats public-privé ou de financements internationaux.
Sur le plan institutionnel, la réussite de cette stratégie dépendra de la capacité de l’ADE à coordonner ses actions avec les autres acteurs du secteur de l’eau, notamment les autorités locales, les entreprises privées et les communautés locales. Une gestion intégrée des ressources en eau, qui implique une coopération étroite entre tous les acteurs concernés, est essentielle pour assurer le succès à long terme de cette initiative.
Premiers Résultats et Perspectives d’Avenir
Des Résultats Encourageants
Malgré les défis, les premiers résultats de la nouvelle stratégie de l’ADE sont encourageants. Selon Mustapha Rekik, le nombre de wilayas confrontées à des perturbations d’approvisionnement en eau a été réduit de 22 à 11 en l’espace d’un an. Cette réduction témoigne de l’efficacité des investissements réalisés dans les infrastructures hydrauliques et de la pertinence de l’approche adoptée par l’ADE.
Le projet pilote entre Cap Djinet et Koudiat-Acerdoune, bien qu’encore en phase de développement, est également prometteur. Si ce projet réussit, il pourrait être étendu à d’autres régions du pays, offrant ainsi une solution durable aux problèmes d’approvisionnement en eau auxquels l’Algérie est confrontée.
Vers une Gestion Durable des Ressources en Eau
À plus long terme, la stratégie de transfert d’eau dessalée vers les barrages intérieurs pourrait devenir un pilier de la gestion des ressources en eau en Algérie. En garantissant un approvisionnement en eau constant, même en période de sécheresse, cette approche permettrait au pays de mieux gérer ses ressources hydriques et de réduire sa dépendance à l’égard des précipitations.
Toutefois, pour que cette stratégie soit pleinement efficace, elle devra être accompagnée d’autres mesures complémentaires. Parmi celles-ci, on peut citer la modernisation des infrastructures existantes, la promotion de l’efficacité énergétique dans le processus de dessalement, et le développement de programmes de sensibilisation à l’économie d’eau auprès de la population.
La gestion durable des ressources en eau en Algérie nécessitera également une réforme institutionnelle, visant à renforcer la gouvernance du secteur de l’eau. Cela pourrait inclure la création de nouvelles institutions de gestion de l’eau, la mise en place de mécanismes de financement innovants, et la promotion de la participation des communautés locales à la gestion des ressources hydriques.
Conclusion : L’Eau, un Défi Stratégique pour l’Algérie
La nouvelle stratégie de l’ADE pour l’approvisionnement en eau potable en Algérie marque un tournant dans la gestion des ressources hydriques du pays. En misant sur le transfert d’eau dessalée vers les barrages intérieurs, l’Algérie adopte une approche innovante qui pourrait offrir une solution durable aux problèmes d’approvisionnement en eau auxquels elle est confrontée.
Cependant, la mise en œuvre de cette stratégie n’est pas sans défis. Qu’ils soient techniques, financiers ou institutionnels, ces défis devront être relevés pour assurer la réussite à long terme de cette initiative. Si ces défis sont surmontés, la stratégie de l’ADE pourrait non seulement garantir un approvisionnement en eau potable pour les générations futures, mais aussi servir de modèle pour d’autres pays confrontés à des défis hydriques similaires.
L’eau, ressource vitale mais de plus en plus rare, est aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’Algérie. La gestion efficace et durable de cette ressource déterminera en grande partie l’avenir du pays, tant sur le plan économique que social. En ce sens, la stratégie de l’ADE est bien plus qu’un simple plan d’action : elle est une vision pour l’avenir, une vision qui aspire à garantir la sécurité hydrique de l’Algérie dans un monde en constante évolution.