Après la mise en conformité fiscale de 2015 et l’emprunt national « ordinaire » réalisé en 2016, le gouvernement algérien pense maintenant à un nouvel emprunt d’Etat sans intérêt, « hallal », qui pourrait être lancé au printemps. Les commentateurs nationaux s’y perdent un peu, s’égarent, beaucoup, dans les méandres de la finance et finalement voient des «échecs» partout. Les épargnants de leur côté sont dans le brouillard et voudraient bien savoir à quoi va servir leur argent. Pendant ce temps, le principal responsable de ces différentes opérations, le ministère des Finances, se contente d’une communication au compte-gouttes. Y a t’il un pilote dans l’avion ?
Dans le presse nationale, ces derniers jours, c’est dans une joyeuse confusion, que la mise en conformité fiscale, l’emprunt obligataire pour la croissance économique et les produits financiers « hallal » sont le plus souvent renvoyés de façon lapidaire et sans autre forme de procès au même «échec» présumé et inévitable. La lutte contre l’économie informelle loge sur le même palier que le financement du déficit budgétaire et cohabite, à l’étroit, dans la même pièce que le développement des instruments de finance «charia compatibles». Cette chronique se propose de tenter de mettre un peu d’ordre dans nos idées embrouillées.
L’informel n’a pas aimé la mise en conformité fiscale
C’est sûr, l’opération d’«amnistie fiscale», lancée fin 2015, affiche un bilan squelettique et n’a convaincu qu’environ 400 personnes en canalisant vers les banques des fonds dont le montant reste indéterminé. La faute peut être, comme le disent certains spécialistes, aux ambiguïtés qui ont entouré cette démarche à propos de l’origine des fonds. La faute revient surtout au télescopage entre cette initiative et celle qui l’a suivie de très près avec le lancement d’un grand emprunt national. Résultat des courses: le gouvernement fait profil bas sur cette opération et donne l’impression de l’avoir complètement oubliée. Pas de bilan ni de commentaires officiels.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire, et pas forcement en mal, sur une démarche d’ensemble qui vise à contenir le développement de l’économie informelle dans notre pays. En Algérie, pendant 25 ans, les autorités économiques ont regardé grandir l’informel avec une sorte de sentiment d’impuissance. C’est seulement depuis quelques années qu’un ensemble de mesures coordonnées tente de faire reculer son emprise. Pas seulement l’amnistie fiscale, mais également les opérations, lancées simultanément en 2016, de régularisation des travailleurs, indépendants ou salariés, non déclarés qui semble enregistrer des résultats significatifs. Elles ont été précédées par une vaste campagne, qui se poursuit, d’éradication des marchés informels, de destruction des commerces illicites et d’élimination des parkings sauvages qui étaient en passe de devenir l’activité favorite d’une partie de la jeunesse algérienne. Sans parler de l’éradication de l’habitat précaire. Cela mériterait surement un bilan d’ensemble qui pour l’instant n’est curieusement pas assumé par le gouvernement.
Mais où est donc passé l’argent de l’emprunt obligataire ?
Revenons à nos moutons. A propos de L’opération d’«Emprunt national pour la croissance économique» qui a eu lieu entre le 17 avril et 16 octobre 2016, le ministre des Finances a fait état d’un bilan de 568 milliards de DA (plus de 5 milliards de dollars) à la clôture de l’opération. « C’est un montant très important et je suis très satisfait des résultats de cette opération » a t-il déclaré. On est content, nous aussi, que M. Baba Ammi soit satisfait. Mais l’objectif principal de cette opération n’était sans doute pas de faire plaisir au ministre des Finances.
Il s’agit quand même du plus grand emprunt d’Etat de l’histoire de l’Algérie indépendante. On aimerait avoir quelques informations supplémentaires sur ses résultats et en particulier, sur la destination des fonds collectés. Les services du ministère des Finances ont déjà livré leur propre interprétation en expliquant en toute candeur à la presse nationale que « l’emprunt obligataire a financé 18% du déficit de l’Etat au premier semestre 2016 »(sic). Les fonctionnaires de Ben Aknoun auraient pu dire tout aussi bien que «l’argent des épargnants qui ont fait confiance à L’Etat est tombé dans un trou sans fond». L’effet aurait été le même.
Une suggestion: avant de tourner la page et de passer à l’opération suivante le ministre pourrait par exemple, remercier les épargnants algériens et leur expliquer, ce qui est en fait la pure vérité, que leur argent a été utilisé pour réaliser une série d’infrastructures économiques et sociales qui n’auraient jamais vu le jour sans cet emprunt.
Un emprunt « hallal » et des projets d’équipement
Or, il se trouve Justement que M. Baba Ammi vient d’annoncer qu’un emprunt obligataire sans intérêt devrait être lancé entre fin avril et mai 2017. «Nous sommes en train d’étudier un projet de lancement d’un nouvel emprunt obligataire pour cette année, mais sans intérêt», a déclaré le ministre des Finances devant les sénateurs.
Ce nouvel emprunt « hallal » est peut être une opportunité de mieux communiquer pour le ministère des Finances. M. Baba Ammi explique en effet que les produits de la finance islamique «ne sont pas rémunérés par des intérêts, mais par les rendements des projets qui seront financés».
Beaucoup d’experts algériens considèrent dans cet esprit que la démarche d’endettement de l’Etat, qui va se poursuivre au cours des prochains années, gagnerait, pour mieux emporter l’adhésion des épargnants algériens, à être associé à des projets d’infrastructures précis en s’inspirant, par exemple, du succès de l’emprunt égyptien destiné à financer le doublement du canal de Suez. Il est certainement tout à fait possible d’identifier dans les budgets d’équipement de l’Etat une série de projets qui pourraient faire l’objet de financements «participatifs». Le principal problème associé à cette démarche réside dans la capacité de notre administration à la mettre en œuvre juridiquement et techniquement dans des délais qui semblent bien courts…
Une telle démarche aurait pourtant, en outre, l’avantage considérable de constituer une forte incitation pour l’Etat à mieux gérer et rentabiliser les infrastructures qu’il réalise. Dans son dernier ouvrage intitulé «Algérie, sortir de la crise», Abdellatif Benachenhou estime que l’Etat algérien perd actuellement 600 million d’euros par an rien juste en raison de l’absence de péage sur les autoroutes.