Le 13 septembre dernier, un événement inattendu a secoué l’industrie agroalimentaire algérienne : l’interdiction d’El Mordjene, une pâte à tartiner très populaire, au port de Marseille. Ce produit 100 % algérien, qui avait conquis les consommateurs en France depuis son lancement en 2023, se retrouve soudainement au centre d’une polémique juridique et réglementaire. Pourquoi un tel revirement, alors que la pâte à tartiner avait déjà trouvé sa place sur les étagères françaises ? Cet article explore les quatre principales révélations sur l’interdiction d’El Mordjene en France et les implications plus larges pour le commerce entre l’Algérie et l’Union européenne.
La Première Révélation : Un Ingrédient Contesté par la Législation Européenne
La Question de la Poudre de Lait
La première raison avancée pour justifier l’interdiction d’El Mordjene en France concerne la présence de poudre de lait dans sa composition. Selon le ministère français de l’Agriculture, la législation européenne, et plus précisément le règlement d’exécution 2021/405, interdit l’importation en Europe de marchandises contenant des produits laitiers destinés à la consommation humaine en provenance d’Algérie.
En effet, l’Algérie ne figure pas parmi les pays autorisés à exporter des produits laitiers vers l’Union européenne, en raison des normes sanitaires et des exigences de traçabilité imposées par la législation européenne. Cette restriction, méconnue du grand public, a été mise en lumière lorsque la pâte à tartiner El Mordjene a été soumise à un contrôle vétérinaire au poste de contrôle frontalier (PCF) du port de Marseille. Le contrôle a révélé que la pâte contenait effectivement de la poudre de lait, rendant son importation en France illégale.
Une Décision Tardive
Ce qui interpelle, c’est la temporalité de l’interdiction. Pourquoi cette réglementation n’a-t-elle pas été appliquée plus tôt ? Comment El Mordjene a-t-elle pu être commercialisée en France pendant plusieurs mois avant d’être subitement bloquée ? Le fait que cette interdiction intervienne après que le produit ait commencé à connaître un certain succès en France soulève des questions sur la régularité des contrôles antérieurs et sur les raisons sous-jacentes de cette intervention tardive.
La Deuxième Révélation : La Poudre de Lait, Importée de France mais Transformée en Algérie
Une Transformation Fatale
L’un des aspects les plus déroutants de cette affaire est le fait que la poudre de lait utilisée dans El Mordjene provient en réalité de France. Selon Amine Ouzlifi, porte-parole de l’entreprise algérienne Cebon, la poudre de lait est importée de France, mais une fois transformée en Algérie, elle devient interdite à la réimportation en France. Cette situation paradoxale souligne la complexité des régulations européennes concernant les produits transformés dans des pays tiers.
Le ministère français de l’Agriculture a précisé que même si l’ingrédient de base provient de France, le fait qu’il soit transformé en Algérie change la donne, car l’Algérie ne dispose pas d’établissements agréés par la Commission européenne pour la transformation et la production de produits laitiers. Cette réglementation vise à assurer que les produits laitiers importés en Europe respectent des normes strictes de sécurité alimentaire, ce qui est difficile à garantir pour des produits transformés hors de l’UE.
Les Enjeux pour l’Industrie Algérienne
Cette situation met en lumière un défi majeur pour les entreprises algériennes qui cherchent à exporter vers l’Europe. L’absence d’établissements agréés pour la transformation des produits laitiers en Algérie limite considérablement les opportunités d’exportation de produits transformés. Pour les entreprises algériennes, cela signifie qu’elles doivent soit transformer leurs produits dans un autre pays agréé, soit se concentrer sur des marchés non européens, ce qui peut limiter leur croissance.
La Troisième Révélation : Des Déclarations Erronées à l’Importation
L’Accusation de Fausses Déclarations
Un autre point d’interrogation soulevé par l’interdiction d’El Mordjene concerne les conditions de son importation initiale en France. Selon le ministère français de l’Agriculture, si la pâte à tartiner a pu entrer sur le marché français, c’est en raison de déclarations erronées lors de son importation. Cette révélation est particulièrement troublante, car elle suggère que des pratiques non conformes ont permis à El Mordjene d’échapper aux contrôles douaniers.
Le ministère n’a pas fourni de détails spécifiques sur la nature de ces déclarations erronées, ni sur le caractère intentionnel ou accidentel de ces erreurs. Cependant, l’idée que ces fausses déclarations ont pu permettre à un produit non conforme de circuler librement en France pendant plusieurs mois soulève des questions sur l’efficacité des systèmes de contrôle aux frontières et sur les conséquences potentielles pour les consommateurs.
Les Répercussions pour les Importateurs et Exportateurs
Cette situation crée un précédent préoccupant pour les entreprises algériennes et les importateurs français, qui pourraient faire face à des sanctions ou à une surveillance accrue pour s’assurer que leurs produits respectent toutes les réglementations en vigueur. Les exportateurs algériens doivent désormais redoubler de vigilance pour s’assurer que leurs produits sont correctement déclarés et conformes aux normes européennes avant de les envoyer en France. De leur côté, les importateurs français devront s’assurer que leurs fournisseurs à l’étranger respectent toutes les exigences réglementaires pour éviter de futurs incidents.
La Quatrième Révélation : Des Lacunes dans l’Étiquetage Nutritionnel
Une Non-Conformité aux Standards Européens
En plus des problèmes liés à la composition et à l’importation d’El Mordjene, des critiques ont également été formulées concernant son étiquetage nutritionnel. Selon Xavier Lefebvre, ingénieur agroalimentaire et éditeur du magazine « 60 millions de consommateurs », l’étiquetage nutritionnel de la pâte à tartiner ne respecte pas les standards français et européens. L’affichage des informations nutritionnelles n’est pas clair et ne mentionne pas des éléments essentiels tels que les graisses saturées.
De plus, la législation européenne exige que lorsque certains ingrédients, comme les noisettes dans le cas d’El Mordjene, sont mis en avant sur l’emballage, leur quantité exacte doit être indiquée. Cette règle vise à garantir une transparence totale pour le consommateur et à éviter tout risque de publicité mensongère. Le non-respect de ces normes pourrait avoir des conséquences pour l’entreprise, allant de la révision de l’étiquetage à des sanctions financières.
L’Importance de la Conformité Réglementaire
Cette révélation souligne l’importance pour les entreprises, en particulier celles qui exportent vers l’Europe, de s’assurer que leurs produits respectent non seulement les normes de sécurité alimentaire, mais aussi les exigences strictes en matière d’étiquetage. Le non-respect de ces normes peut non seulement entraîner des interdictions ou des rappels de produits, mais aussi ternir la réputation d’une marque sur le marché européen.
Pour les entreprises algériennes et autres qui envisagent d’exporter vers l’Europe, il est essentiel de se familiariser avec les réglementations européennes en matière d’alimentation et de s’assurer que tous les aspects de leurs produits, de la composition à l’étiquetage, sont conformes.
Les Implications Plus Larges pour les Relations Commerciales Algérie-UE
Un Incident Révélateur des Défis Commerciaux
L’affaire El Mordjene révèle non seulement les difficultés auxquelles les entreprises algériennes sont confrontées lorsqu’elles tentent de pénétrer le marché européen, mais aussi les complexités des régulations commerciales entre l’Algérie et l’Union européenne. Bien que des accords d’association existent pour faciliter les échanges, les barrières réglementaires, comme celles rencontrées par El Mordjene, peuvent constituer des obstacles majeurs.
Ces incidents peuvent aussi avoir des répercussions sur les relations commerciales globales entre l’Algérie et l’Europe, car ils soulèvent des questions sur la compatibilité des systèmes de réglementation et sur la nécessité d’une plus grande harmonisation pour faciliter les échanges.
La Nécessité d’une Stratégie d’Exportation Plus Solide
Pour les entreprises algériennes, l’incident d’El Mordjene doit être un appel à développer des stratégies d’exportation plus robustes, qui tiennent compte des exigences spécifiques des marchés cibles. Cela inclut non seulement le respect des normes techniques et sanitaires, mais aussi une meilleure compréhension des règles d’importation et des procédures douanières.
De plus, les entreprises doivent investir dans la recherche et le développement pour s’assurer que leurs produits sont non seulement conformes, mais aussi compétitifs sur le marché mondial. Cela peut inclure l’amélioration des formulations de produits, le perfectionnement des techniques d’emballage et d’étiquetage, et la création de partenariats stratégiques avec des distributeurs locaux dans les pays cibles.
Conclusion : Une Leçon pour l’Industrie Algérienne
L’interdiction d’El Mordjene en France est un rappel des défis complexes auxquels les entreprises doivent faire face lorsqu’elles s’aventurent sur le marché international. Cet incident souligne l’importance cruciale de la conformité réglementaire, non seulement pour garantir l’accès aux marchés, mais aussi pour protéger la réputation d’une marque et maintenir la confiance des consommateurs.
Pour les entreprises algériennes, l’affaire El Mordjene est l’occasion de revoir leurs stratégies d’exportation, d’améliorer leur conformité aux normes internationales et de renforcer leurs processus internes pour éviter de futurs incidents. En tirant les leçons de cette situation, les entreprises peuvent non seulement surmonter ces défis, mais aussi se positionner pour une croissance durable sur les marchés internationaux.