Anis AlKama est un jeune militant algérien établi en France. Après avoir milité au sein de plusieurs collectifs citoyens en faveur des de la défense des droits de l’Homme et de la démocratie, il a intégré le mouvement de contestation sociale qui fait l’actualité en ce moment la France, Nuit Debout. Membre de la commission « Françafrique » de ce mouvement, il s’exprime, ici, sur la place qu’occupe l’Algérie au sein de ce mouvement social français. Entretien.
Algérie Focus: Pouvez-vous d’abord vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours ?
Anis AlKama: Je m’appelle Anis Al-Kama, je suis algérien, j’ai 27 ans et je vis à Paris. Certains me définiraient grossièrement comme étant un militant «opposant au régime algérien», quant à moi, je préférerais dire que je milite pour une Algérie développée et démocratique.
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Je suis arrivé en France à l’âge de 20 ans. J’y ai fait toutes mes études universitaires et je m’y suis installé par la suite. J’ai fait partie du collectif ACA (Action Citoyenne pour l’Algérie) au sein duquel j’ai milité contre le 4ème mandat de Bouteflika et plus largement contre le système en place en Algérie. J’ai participé à l’organisation de la marche contestataire du 22 mars 2014 à Paris, qui a rassemblé des centaines d’Algériens. J’ai également participé à des débats sur des radios et des chaines de télévision dans le contexte électoral.
Comment le jeune militant algérien que vous êtes a intégré le mouvement « Nuit Debout » ?
Pour commencer, je tiens à préciser que je fais avant tout partie de la commission Françafrique de nuit debout. En effet, si ce type de commission n’existait pas, je n’aurais certainement pas pris part à cette aventure. Ceci, pour la simple et bonne raison que lorsque j’ai commencé à militer, j’ai choisi de ne jamais m’impliquer directement dans la politique française, par choix et dans un désir de cohérence.
Cependant, lorsque j’ai assisté à la création de cette commission au sein de Nuit Debout, je me suis dit que c’était une bonne occasion de pouvoir sortir un instant du militantisme algéro-algérien et de me confronter aux autres actions militantes relatives au continent africain. C’était principalement dans un désir d’enrichissement politique et de partage d’expériences que j’ai choisi d’adhérer à cette commission. C’est également une bonne occasion de pouvoir «internationaliser» les problématiques algériennes auprès de la jeunesse militante africaine, française et européenne.
Je trouve également, que le concept de la Françafrique qui cristallise la réalité de la domination économique et parfois militaire de la France sur le continent, s’applique également pour l’Afrique du Nord et entre autres l’Algérie. Elle prend parfois d’autres formes plus subtiles et plus détournées que dans les pays d’Afrique sub-saharienne, mais la finalité est la même : le maintien de systèmes autoritaires en place, qui dominent les peuples et assurent l’hégémonie économique des grandes puissances.
Me considérant tout d’abord et avant tout comme étant un Africain du nord du continent, c’est donc tout naturellement que j’ai décidé de faire partie de cette commission. Je n’aurais assurément pas adhéré à une commission «France-Orient» ou «France-Monde arabe», si vous voyez ce que je veux dire.
Quelle place occupe l’Algérie dans les cercles de réflexion de ce mouvement ? Et comment comptez-vous servir la cause algérienne ?
La «thématique algérienne» revient très fréquemment au sein de la commission, du fait de la forte présence de notre communauté en France et du lourd passé colonial. A ce propos, j’ai organisé différents débats qui avaient pour thèmes: la colonisation, la question de « l’identité nord-africaine », le contexte économique des pays d’Afrique du Nord, dans lesquels l’Algérie occupait une place importante.
Nous avons également abordé les «questions algériennes» sous l’angle de la «Françafrique». A ce titre, nous avons évoqué la problématique de l’exploitation du gaz de schiste en Algérie qui est portée par des intérêts financiers de groupes français comme Total. Nous avons également débattu de l’apport des investissements français en Algérie, telle que la création de l’usine Renault à Oran, qui créent peu d’emploi et n’apporte que très peu de transfert de compétences et de technologie. Sur le plan politique, la relation entre le gouvernement français et le régime algérien a également été évoquée et débattue.
Je prétends humblement servir la cause algérienne, comme je vous l’ai dit plus haut, en internationalisation nos problématiques politiques et en informant le Malien, le Chinois et le Brésilien, installé ou de passage à Paris, de ce qui se passe dans notre pays et en proposant des collaborations et des échanges entre les sociétés civiles.
Quelles sont selon vous les principales leçons que les militants et activistes algériens peuvent apprendre de « Nuit Debout » ?
L’une des principales leçons que les militants algériens peuvent tirer de Nuit Debout, c’est la capacité de mobilisation et d’organisation autonome de citoyens en dehors des partis politiques et de toute structure officielle. Contrairement à ce que pensent certains militants algériens, nous pouvons faire de la politique et être une force de proposition et d’action en dehors de la sphère des partis et des organisations politiques «classiques».
Le mouvement Nuit Debout devrait également nous interpeller sur l’importance capitale de la culture dans la mobilisation citoyenne. La genèse de ce mouvement est le meilleur exemple pour illustrer cela. En effet, cette dynamique a été initiée suite à la projection du film «Merci patron» réalisé par François Ruffin, qui critique les conditions de travail en France et l’exploitation par les «grands patrons». Le soir d’une projection, le réalisateur proposa aux personnes présentent dans la salle de ne pas rentrer chez elles, d’occuper l’espace publique et de le transformer en lieu de débat. Le contexte économique tendu et la promulgation de la loi El Khomri sur le travail ont exacerbé ce mouvement qui s’est amplifié et a pris forme.
Quel est enfin votre regard sur la situation actuelle de la société civile algérienne, notamment les associations de la diaspora ? Sont-elles suffisamment actives pour contribuer au déclenchement d’une dynamique démocratique en Algérie ?
Les initiatives citoyennes émanent de la société civile algérienne, que ce soit en Algérie ou dans la diaspora, sont nombreuses et variées. Elles ne sont, heureusement, pas toutes politiques et elles abordent différents domaines allant de l’humanitaire à l’écologie en passant par le culturel. Ce qui nous manque, selon moi, c’est de l’organisation et de l’articulation entre les différentes initiatives pour proposer une alternative globale.
En ce qui concerne la communauté algérienne établie à l’étranger, elle regorge de compétences et de savoir-faire. Le nombre d’étudiant et de cadres algériens présents en France est effarant ! Nous somme une communauté à très fort potentiel, mais encore une fois un manque d’organisation et de définition d’objectifs nous manquent cruellement. Cependant, je reste optimiste quant à notre capacité à dépasser ces difficultés et à initier une dynamique positive et constructive en Algérie. Dans ce sens, je tiens à préciser qu’aucun article d’aucune constitution ne nous empêchera de travailler pour le développement de notre pays.
Propos recueillis par Abdou Semmar