Entretien/ Nacer Boudiaf, fils de Mohamed Boudiaf: « Mon père a été éliminé parce qu’il a voulu créer le RPN »

Redaction

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25 ans après l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, les Algériens espèrent toujours connaître la vérité sur les circonstances de cette exécution. Nacer, fils aîné de « Si Tayeb El Watani » n’a jamais cru à la thèse officielle. Il déclare même connaître les commanditaires de ce crime. Aujourd’hui, il décide de changer de stratégie. Il exhume le projet de son père et relance son mouvement politique: le Rassemblement Patriotique (RP). Nous avons pris connaissance de l’appel qui sera lance dans quelques jours par Nacer Boudiaf. Outre la rupture avec les pratiques et les hommes du passé, ce texte stipule la nécessite d’édifier la deuxième république avec comme devise l’Algérie avant tout, en mettant en avant de jeunes inconnus de la politique. Entretien.

Algérie Focus: Cela fait 25 ans que votre père, le président Mohamed Boudiaf a été lâchement assassiné en direct à la télévision. Avez-vous du nouveau quant à la réouverture de l’enquête ?

Nacer Boudiaf: Est-ce bien sensé d’attendre la réouverture de l’enquête sur l’assassinat de mon père, alors qu’il n’a pas été assassiné par un individu mais par un système hérité du colonialisme. Un système qui est toujours là. C’est exactement pour cette raison que je vais laisser le sort des instigateurs de son lâche assassinat à la justice divine. Aussi, j’ai décidé de rassembler le peuple sous le parapluie du projet de société de Boudiaf: le Rassemblement national patriotique.

Vous avez toujours réfuté la thèse de l’acte isolé. Selon vous, le sous-lieutenant Lembarak Boumaârafi n’est qu’un exécutant et que les vrais coupables sont d’anciens généraux. Vous avez même cité Mediène, Nezzar, Lamari et Belkheir. Maintenez-vous ces accusations et en détenez-vous les preuves ?

La thèse de l’acte isolé n’est même pas acceptée par les enfants. Boumaârafi n’est pas l’assassin de mon père. Les Belkheir, Smain Lamari, Mohamed Lamari répondent désormais devant Dieu de leur crime, et ceux qui sont encore vivants, les Nezzar, Mediène, etc, savent très bien que ce n’est pas Boumaârafi qui a tué Mohamed Boudiaf. Moi, je le sais maintenant. Vous me demandez si je détiens des preuves: je suis désolé, mais c’est naïf comme question.

Pourquoi ?

C’est à eux de nous dire s’ils ont été incompétents pour avoir laissé le Chef de l’Etat se faire assassiner en direct à la télévision. S’ils sont incompétents, pourquoi sont-ils toujours derrières les leviers de commande alors.? De plus, s’ils sont compétents, alors c’est la preuve qu’ils sont les instigateurs de l’assassinat. En tout état de cause, cela ne m’intéresse plus de savoir la vérité. Ce qui m’intéresse c’est de rassembler le peuple pour un changement salvateur, en douceur.

Le défunt Aït Ahmed, compagnon de combat votre père, avait déclaré que l’une des raisons de l’assassinat de Boudiaf était que celui-ci voulait créer un parti politique et organiser des élections libres. Partagez-vous cette analyse ?

Je partage entièrement la position de feu Aït Ahmed. Mohamed Boudiaf a été éliminé parce qu’il a voulu créer le RPN et installer un système bâti sur la transparence, la justice et l’égalité devant la loi.

Boudiaf est revenu en Algérie le 16 janvier 1992. 166 jours plus tard, il fut assassiné. Pourquoi, selon vous, avait-il accepté de revenir après des années d’exil au Maroc alors qu’Aït Ahmed, lui, avait refusé ?

Mohamed Boudiaf est revenu et a sacrifié sa vie pour que vive l’Algérie. Il est revenu pour semer les graines de l’espoir. Vingt-cinq ans après son lâche assassinat, son âme marque même ceux qui ne l’ont jamais vu et écouté. Il est revenu pour mettre fin au système de l’indépendance confisquée. C’est sa mort qui, paradoxalement, lui a permis de vivre éternellement dans l’histoire contemporaine de notre beau et grand pays.

Jusqu’où êtes-vous prêt à aller dans votre quête de vérité ? Irez-vous jusqu’à déposer plainte devant les instances internationales ?

La plainte sera déposée par le peuple devant la justice algérienne. Et la machine a déjà été mise en marche. Ils le savent.

Quel regard portez-vous sur ce qui se passe en Algérie avec le nouveau parlement et le remaniement ministériel ? 

C’est une question piège. Piège dans lequel je ne vais pas tomber. La vraie question, si nous sommes honnêtes et si nous aimons notre pays, si nous voulons réellement préparer l’Algérie de nos enfants et petits-enfants, est : est-ce que le pays est réellement gouverné par le président que nous sommes supposés avoir élu ? Ou bien sommes-nous gouvernés par procuration ? Elections…. Remaniement…. C’est de la diversion pour permettre au système de l’indépendance confisquée de perdurer encore.

Anis Rahmani, patron du groupe audiovisuel Ennahar et fervent défenseur des bilans de Bouteflika, accuse clairement le général à la retraite Mediène (Toufik) d’être le commanditaire de l’assassinat de votre père. Est-ce un soutien de taille pour la thèse que vous défendez ou juste une manipulation politicienne ?

Ni Anis Rahmani ni Toufik ne m’intéressent. Leur guéguerre est de la poudre aux yeux pour faire diversion. La question est: sommes-nous conscients qu’un homme malade, âgé de quatre-vingts ans, pris en otage par sa propre famille, subissant des tortures surhumaines, au su et au vu du monde entier est exploité pour permettre à certains de continuer à gouverner la grande Algérie par procuration. Chaque chose a une finEt le début de la fin a déjà commencé.

Feu Matoub Lounes a été très touché par l’assassinat de votre père. Il lui a même rendu hommage dans une sublime chanson. Malheureusement, lui aussi a été assassiné, un certain 25 juin 1998. Deux hommes, deux assassinats et deux enquêtes bâclées. Pensez-vous sincèrement qu’un jour, le peuple algérien saura la vérité sur la mort de ces deux grands hommes ?

Oui, Matoub a été victime de l’injustice de ses frères, comme l’a été Boudiaf. Oui, un jour le peuple connaîtra les noms de leurs assassins. Mais avant cela, il faut mettre fin au système qui a trop longtemps abusé de la patience du peuple. Pour finir, merci de m’avoir accordé cette tribune pour dire au peuple que la plateforme du projet pour lequel Boudiaf a été assassiné est prête et dans quelques jours le peuple la lira en arabe et en français. Un projet de société qui remettra l’Algérie sur de bons rails en rassemblant le peuple autour du projet de Boudiaf.

Entretien réalisé par Said Mandi