Le gouvernement affiche les ambitions de  sa «Vision 2030»    Par Hassan Haddouche

Redaction

 

La publication officielle des orientations du «nouveau modèle économique algérien» s’est fait attendre. Son contenu vient seulement d’être publié, voici deux jours, sur le site du ministère des Finances. Les chroniques économiques d’Algérie Focus en avaient déjà livré les grandes lignes dès le printemps 2016, mais son adoption et son «appropriation» réelle par les autorités politiques du pays continuaient de susciter beaucoup de doutes dans les médias et l’opinion nationale.

Voici  encore quelques mois, des  commentateurs, pas toujours très bien intentionnés, n’hésitaient pas à évoquer un «document rédigé sur un coin de table» par les experts de la «task force» réunis autours du Premier ministre.

En fait, l’adoption, tout à fait officielle quoi qu’en dise les esprits les plus sceptiques, de ce «nouveau  modèle de croissance»  s’est effectuée en deux étapes. La première est purement financière, voire budgétaire, et a consisté dans la définition d’une «trajectoire budgétaire» sur la période 2016-2019 avec pour objectif d’éliminer progressivement les déficits du budget de l’Etat et de la balance des paiements extérieurs. Elle a été approuvée très officiellement par un Conseil des ministres dés la fin de l’été 2016. Elle a même aujourd’hui force de loi et plus précisément de loi de finance, puisqu’elle a été annexée à la LF 2017 approuvée par le Parlement en décembre dernier.

La seconde étape a déjà commencé. Elle trace des orientations pour la politique économique du pays jusqu’en 2030. Elle comporte des objectifs ambitieux en matière de croissance économique et d’augmentation du niveau de vie des Algériens et s’appuie principalement sur la diversification de l’économie grâce surtout à un renouveau de l’industrie. Elle défini également les étapes d’une  transition énergétique qui permettra à la fois d’économiser les ressources fossiles et de développer les énergies renouvelables.

La «Vision 2030», une feuille de route pour  15 ans

C’est donc d’abord une feuille de route économique pour notre pays au cours des prochaines années qui vient d’être  dévoilée. C’est même le mérite principal de l’exercice auquel se sont livrées depuis près d’un an les autorités économiques algériennes. Combien de fois n’a-t-on pas reproché au gouvernement algérien de «naviguer à vue» au gré des lois de finances corrigées presqu’aussitôt par des lois de finances complémentaires, de manquer d’un projet, d’une «vision stratégique capable à la fois d’éclairer son avenir et d’orienter son action au quotidien» ? Pour ses promoteurs, le nouveau modèle économique va donner de la visibilité à l’action du gouvernement et «éclairer l’avenir» de l’économie algérienne en soulignant les  enjeux principaux auxquels elle est confrontée.

Sortir des déficits

Le nouveau modèle de croissance économique a pour ambition de diversifier et de transformer l’économie algérienne d’ici 2030. Ce programme de croissance a choisi un mode d’exécution en trois étapes, en commençant par une phase de décollage (2016-2019), passant à une phase de transition (2020-2025), pour arriver à la phase de stabilisation (2026-2030).

Pour la première étape et certainement la plus urgente, qui consiste à rétablir des équilibres financiers et budgétaires que la crise des marchés pétroliers a plongé dans des déficits abyssaux, nous sommes en plein dedans. Comment   assurer la «soutenabilité» de nos finances internes et externes ? En gros, comment passer d’un baril à plus de 100 dollars à un prix du baril compris entre 50 et 60 dollars au cours des prochaines années ? Pour résoudre cette équation compliquée, le nouveau modèle économique propose un «cadrage économique sur trois à quatre  ans qui étale dans le temps les efforts d’ajustement et qui s’appuiera sur une «approche rénovée de la politique budgétaire» d’ici 2019.

Ce ne sera pas simple. Il faudra réduire sensiblement les importations, geler les rémunérations  et  les transferts mais aussi différer beaucoup de projets d’infrastructures. En bout de course, on doit arriver à un déficit du budget de l’Etat réduit à moins de 2% du PIB (au moins 16% du PIB en 2015) et une balance des paiements extérieurs pratiquement équilibrée (35 milliards de dollars de déficit en 2015 et encore près de 30 milliards de dollars en 2016).

Le retour de l’industrie

Une fois rétablis les équilibres financiers, le gouvernement mise sur une diversification tous azimuts de l’économie et une croissance soutenue, notamment hors-hydrocarbures, sur la période 2020-2030. Les objectifs définis tablent sur 6,5% de croissance par an. Le PIB par habitant devrait, lui, être multiplié par 2,3.

Pour parvenir à ce résultat très ambitieux, le gouvernement  compte principalement sur un doublement de la taille de l’industrie nationale qui  passera de 5,3% en 2015, à 10% du PIB à l’horizon 2030. La politique industrielle a fait donc  l’objet d’une attention particulière. Des secteurs prioritaires ont été identifiés. Il s’agit  notamment de  l’agroalimentaire, l’aval des hydrocarbures (pétrochimie, engrais…), les ressources minières (fer, phosphate, terres rares…), l’industrie métallurgique et sidérurgique, les cimenteries, l’automobile, l’aéronautique et même la construction  navale…

Ils s’ajoutent aux «secteurs où l’Algérie dispose déjà de bases industrielles et d’avantages comparatifs» comme l’électronique, les équipements de télécommunication, ou  l’industrie pharmaceutique notamment.

Dans ces différents secteurs, l’Algérie doit mettre en place «une stratégie de substitution ciblée sur les importations en remplaçant, partiellement ou totalement, l’importation de semi-produits ou de produits finis importés aujourd’hui par une production industrielle locale».

Cap sur les énergies renouvelables

Dans un pays ou les hydrocarbures représentent encore 40% du PIB le secteur de l’énergie  ne peut pas rester à l’écart de la définition d’un nouveau modèle économique. Dans ce domaine, la tâche des concepteurs du nouveau modèle a certainement été facilitée par  les orientations d’un célèbre «conseil restreint» sur l’énergie, réuni en février 2016. Il pose  la problématique de la transition énergétique en traçant des priorités classiques comme «la poursuite et l’intensification de la prospection des ressources en gaz naturel» ou encore «le respect des plannings d’amélioration des capacités de production des gisements en cours d’exploitation». Mais la nouveauté est surtout constituée par l’accent mis sur la dynamisation du programme de développement des énergies renouvelables  et les  efforts de rationalisation de la consommation d’énergie. Dans ce dernier domaine, la transition énergétique devra relever  le défi de diviser par deux le taux de croissance de la consommation interne d’énergie en passant de 6% en 2015 à 3% par an en 2030.

«Carte blanche» aux managers des entreprises publiques

Le climat des affaires et la gestion des entreprises publiques sont également au menu du modèle économique. A propos du premier, on compte beaucoup sur un nouveau code des investissements «beaucoup plus ouvert et libéral». Dans un contexte ou le remplacement des dirigeants d’entreprises publiques alimente régulièrement la «Une» des médias nationaux, la «réforme du mode de gouvernance  des entreprises d’Etat»  doit également faire l’objet de mesures audacieuses qui se traduiront par une «carte blanche» donnée aux managers en leur octroyant  une plus grande autonomie, afin qu’ils soient «maîtres de leurs opérations économiques».

Des sujets « sensibles » qui restent dans l’ombre

Beaucoup de bonnes intentions, donc, dans ce recensement (non exhaustif) des objectifs annoncés par un nouveau modèle économique  complètement «en phase» avec la plupart des recommandations formulées par la plupart des économistes nationaux au cours des dernières années. Il s’agit d’un projet qui a au moins le mérite d’exister et d’annoncer noir sur blanc des objectifs qui souvent auront un caractère quantifiable. La vision 2030 du gouvernement affiche donc  ses ambitions mais reste souvent   avare sur les moyens d’y parvenir. Elle laisse prudemment dans l’ombre un certain nombre de sujets «sensibles» comme, entre autres, la gestion de la monnaie nationale, les IDE, ou encore l’endettement extérieur qui ne font clairement pas l’objet d’un consensus au sein des sphères dirigeantes. On jugera sur pièce les résultats et la détermination avec laquelle elle  sera mise en œuvre au cours des prochaines années.

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