Au cours d’un été 2016 ou les bonnes nouvelles ont été plutôt rares, on a enregistré au moins un résultat réconfortant: les importations de l’Algérie sont en baisse sensible dans tous les compartiments. Le gouvernement pourra-t-il diviser les importations par deux et les ramener à 30 milliards de dollars d’ici 2019, ainsi que certains ministres l’annoncent déjà ? C’est beaucoup plus qu’un simple enjeu technique. Il s’agit de savoir si l’Algérie peut adapter son train de vie à des moyens financiers réduits sensiblement par la crise pétrolière et tenter d’échapper ainsi à la « faillite financière » que des analystes de plus en plus nombreux, et plus ou moins bien intentionnés, prédisent pour les prochaines années.
Depuis un peu plus d’une année, la politique d’endiguement des importations est devenue le nouveau crédo du gouvernement. Le « train fou » des importations, dont les chroniques économiques d’Algérie Focus s’alarmaient régulièrement au cours des dernières années, a freiné brutalement sa course débridée qui avait porté le montant de nos achats de marchandises à l’étranger à un sommet historique et vertigineux proche de 60 milliards de dollars en 2014.
Pendant plus d’une décennie, cette course folle vers le tout import n’a pas semblé inquiéter particulièrement les pouvoirs publics. Et pour cause, le baril avait atteint lui aussi des sommets sans précédents qui permettaient d’assurer un large excédent de la balance commerciale malgré la flambée apparemment irrésistible des importations.
18 milliards de dollars de déficit commercial l’année dernière…
Le retournement du marché pétrolier depuis l’été 2014 a mis à nu la fragilité chronique de nos échanges extérieurs. Fin 2014, ça allait encore et la balance commerciale dégageait, de justesse, un excédent squelettique. C’est seulement en 2015 que l’impact de la chute des prix pétroliers a été enregistré de plein fouet. Après 18 années consécutives d’excédent commercial, les chiffres définitifs de nos échanges extérieurs, révélés seulement fin juillet dernier par la Banque d’Algérie, soulignent que le déficit commercial de notre pays a atteint l’année dernière le montant colossal de plus de 18 milliards de dollars.
En cause, bien sûr, la chute considérable de nos exportations pétrolières qui n’ont pas dépassé l’année dernière 33 milliards de dollars, avec un prix moyen du baril en chute libre à 53 dollars en 2015, alors qu’il était encore de pile 100 dollars en 2014.
…Mais une très forte réduction des importations depuis 2015
Contrairement à une idée largement véhiculée aujourd’hui par une grande partie des médias nationaux, on doit reconnaître que le gouvernement est très loin d’être resté inactif sur le front des importations au cours des derniers 18 mois. C’est même le domaine de la politique économique dans lequel il s’est montré le plus réactif.
En 2015 déjà, la facture des importations a été réduite sensiblement sans que la plupart des commentateurs prennent la peine de le mentionner. C’est ainsi que les importations ont été ramenées l’année dernière à un peu plus de 52 milliards de dollars, ce qui représente une baisse de 12% et une économie substantielle de plus de 7 milliards de dollars par rapport à l’année 2014 qui avait été celle de tous les records.
La bonne nouvelle (peut être la seule) du premier semestre 2016, c’est que cette tendance s’est poursuivie, et même renforcée, au cours des six premiers mois de l’année en cours. La facture d’importation a encore diminué de près de 13% depuis le début de l’année. Tous les produits sont concernés, à commencer par la facture alimentaire. En six mois, les importations de céréales ont reculé de près de 20%, mais le record est battu par les importations de lait qui ont diminué encore de 34% depuis le début de l’année, après une baisse record de plus de 42% en 2015.
Même tendance avec les matériaux de construction. La facture est de juste un milliard de dollars au premier semestre, en baisse de plus de 25% en un an. La palme revient bien sûr aux importations de véhicules qui devraient cette année être divisées par quatre par rapport à 2015, et ne pas dépasser le montant d’un milliard de dollars. Pour l’instant, la seule fausse note a été enregistrée par le secteur du médicament dont les importations sont en hausse au premier semestre de près de 30% par rapport à l’année dernière.
Vers des importations réduites à 45 milliards de dollars en 2016
Au total, on s’attend à ce que, sur cette pente, les importations de l’Algérie ne dépassent guère 45 ou 46 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année 2016. Ce qui signifie, il faut quand même le souligner, que notre pays aura réussi à économiser entre 13 et 14 milliards de dollars sur ses importations en deux ans. Notons en outre que le principal risque associé à une telle réduction de nos approvisionnement extérieurs semble pour l’instant avoir été évité. On pouvait en effet craindre qu’une diminution aussi sensible, et aussi rapide, des importations ait des conséquences néfastes sur le niveau de l’activité économique dans notre pays. Ça ne semble pas être le cas pour l’heure et la croissance économique s’est au contraire accélérée en 2015, atteignant 3,8 %, selon le FMI. Elle devrait encore se situer autours de 3,5 % cette année, selon les prévisions récentes du FMI et de la Banque Mondiale.
Les causes de la baisse des importations
Comment expliquer un résultat aussi rapide ? Il faut d’abord souligner que le gouvernement a été aidé, depuis deux ans, par la baisse sensible des prix des produits agricoles de base sur les marchés internationaux. Cette explication est valable en particulier dans le cas des céréales pour lesquelles la baisse de la facture globale, au moment où les quantités importées ont encore augmenté, s’explique par le recul des cours constaté depuis 2015, à la faveur de stocks abondants et de bonnes récoltes mondiales. Cette explication est également valable, en partie, pour le lait ou elle s’est conjuguée à une baisse importante des quantités importées.
Hors produits alimentaires, la baisse de la facture est surtout imputable aux mesures très volontaristes de contingentement des importations mises en place par le gouvernement avec l’introduction de « licences d’importations » pour les véhicules, mais aussi pour le ciment et l’acier. La Banque d’Algérie évoque également, dans son rapport de conjoncture de fin juillet dernier, une série de mesures adoptées depuis l’année dernière telles que le resserrement des exigences en matière de normes et le renforcement des exigences en matière de détermination de la surface financière de l’importateur pour les besoins de domiciliation bancaire. La banque centrale a également réduit à 2 reprises le ratio prudentiel du fonds propres des banques par rapport à leurs engagements au titre du commerce extérieur, en diminuant ainsi de façon très sensible les financements disponibles au sein des banques commerciales pour les opérations d’importations.
La réduction des importations va-t-elle se poursuivre ?
Un tel résultat semble donner des ailes à nos responsables économiques dont certains, à l’image du ministre de l’industrie M. Bouchouareb ou du premier ministre lui-même, n’hésitent plus à évoquer un objectif de réduction des importations à un niveau proche de la barre des 30 milliards de dollars d’ici 2019. L’objectif est tellement ambitieux qu’il continue de susciter le scepticisme de beaucoup d’experts nationaux qui n’ont pas manqué de le faire savoir. Ce qui n’empêche pas qu’en deux ans le gouvernement aura déjà fait la moitié du chemin. Pour réussir un tel pari, même partiellement, il faudra désormais que l’augmentation, très attendue, de la production nationale soit au rendez vous dans les prochaines années dans les domaines très sensible du ciment, de l’acier, des médicaments ou des produits agricoles de base comme les céréales et le lait dans lesquels des investissements très importants ont déjà été réalisés ou sont en cours. Le pari n’est pas impossible à gagner et il dégagerait singulièrement l’horizon des perspectives financières de notre pays des nuages lourds qui l’assombrissent.