Il y a 13 ans, la marche du 14 juin 2001

Redaction

Il y a tout juste 13 ans, le 14 juin 2001, des millions de manifestants venus de Kabylie convergeaient vers Alger. Objectif : transmettre au pouvoir la Plate-forme d’El-Kseur, rédigée 3 jours auparavant pour résumer les principales revendications de la population de cette région. Les revendications se résument notamment à la reconnaissance de tamazight comme langue nationale et officielle, le départ de toutes les brigades gendarmerie de la région, les poursuites contre les gendarmes et policiers responsables de tueries de jeunes manifestants et enfin la reconnaissance de statut de victimes à ces jeunes. Ils seront 126 à laisser leur vie durant la période allant d’avril 2001 à avril 2003. Seuls quatre gendarmes ont été sommairement « jugés ».

En cette matinée de 14 juin 2001 donc, des millions de citoyens (on parlait alors de 3 millions), marchaient sur Alger. La procession humaine, venue de toutes les wilayas de Kabylie, s’étendait de Alger jusqu’à la sortie Est de la capitale. Les organisateurs de la marche, essentiellement le mouvement citoyen des Archs (structure traditionnelle) voulait marcher sur la présidence de la République. Inimaginable. A peine arrivés à la place du 1er-mai, les manifestants font face à la police. Cette dernière charge. Bombes lacrymogènes contre pierres. Des scènes de guérilla urbaine décorent la ville et ses faubourgs. A l’Est d’Alger, vers Kharrouba, des milliers de manifestants continuent d’arriver. Les bus, les camions, les véhicules et les trains étaient bondés de monde. Du jamais vu depuis l’indépendance du pays. Mais les premiers affrontements transforment la manifestation, pacifique à l’origine, en émeute. Les autorités, affolés, lâchent les policiers désarmés. C’est l’inévitable affrontement. Durant les premières heures de la matinée, deux journalistes sont écrasés par un bus de l’ETUSA (Entreprise urbaine et suburbaine d’Alger) pas loin de la Maison de la Presse Tahar Djaout. Les foyers de tension se multiplient. Les services de sécurité alertent la population. Des citoyens de certains quartiers se joignent aux forces de l’ordre pour « protéger leur ville ». Ils répondirent à l’appel de Yazid Zerhouni, l’inénarrable ministre de l’intérieur, qui demandait aux Algériens de « protéger leur ville ». On dirait des troupes romaines qui venaient envahir la capitale !

Dans le quartier de Belouizdad, des jeunes manifestants, qui ne connaissent rien de la ville, sont sauvagement agressés par des jeunes en furie qui portaient des armes blanches. « Si je vois quelqu’un porter le Z (signe amazigh), je lui tranche la gorge ! », dit un jeune belcourtois, qui portait des cicatrices, à ses amis. La rumeur enfle : « on a libéré des détenus de droit commun pour massacrer les manifestants ». Toutes les rumeurs étaient permises. Mais vers 11 heures, un incident se produit. Un homme (un militaire ? Un policiers ?) Fonce, avec une voiture, sur des jeunes. Il en tue trois. L’un d’eux s’appelle hettak Youcef. Il est venu de Bouzeguène.

Dans d’autres quartiers de la ville, c’était la même pagaille. Une partie des manifestants réussit à fuir. D’autres, notamment ceux venus de Béjaïa et Bouira à bord de trains, se sont enfuis aux abords des voies ferrées.

La journée se termine. Une majorité de manifestants rentrent chez eux. Quelques centaines sont cachés dans des hôpitaux (ils étaient poursuivis jusque dans les chambres hospitalières par des policiers), d’autres étaient dans la morgue. C’est le cas de ce jeune homme, la trenatine, venu de la cité Ihaddadène, de Béjaïa. Il était tué par un objet tranchant lancé à partir d’un balcon. Ces parents mettront quatre jours pour l’identifier.

Officiellement, cette manifestation n’a enregistré aucun mort. La marche du 14 juin n’avait pas atteint son objectif. Mais les évènements du printemps noir dureront deux autres années, avant que le pouvoir n’accepte de négocier entre 2004 et 2005. Tamazight a été déclarée « également langue nationale » le 12 mars 2002. Les victimes du printemps noir ont reçu des indemnités. Mais  justice n’a jamais été faite.

Essaïd Wakli