La France veut installer une base d’espionnage dans le sud tunisien pour mieux lutter contre les mouvements djihadistes au Sahel, mais elle refuse d’échanger les renseignements recueillis avec la Tunisie. Etrange attitude qui suscite moult interrogations. La France veut-elle réellement espionner les organisations terroristes islamistes qui pullulent dans la région ou a-t-elle d’autres intentions plus au moins avouées comme celles d’espionner un pays voisin à la Tunisie qui a pour nom l’Algérie ?
Pour mieux anticiper et entraver des menaces terroristes contre ses intérêts ou ses ressortissants dans la région du Sahel, la France veut installer une station d’écoute dans le sud de la Tunisie. Selon le site internet du quotidien français « Le Figaro », les négociations entre la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service de renseignement extérieur français, et les autorités tunisiennes sont en cours. Cependant, ces discussions butent sur un obstacle, vraisemblablement, difficile à surmonter : la DGSE refuse de partager les renseignements recueillis par cette station avec son homologue tunisienne, qui en fait une condition sine qua non pour donner son accord.
La DGSE a, ainsi, proposé à son vis-à-vis tunisien : «On vous renverra depuis Paris les données qu’on estime être transférables». Une réponse qui a étonné le service tunisien : «Qu’est-ce que cela vous coûte de nous faire partager le renseignement?»
Le service du renseignement extérieur français veut donc faire d’abord un tri des renseignements recueillis par sa future base avant de renvoyer les données jugées « transférables » à son homologue tunisien. Pourquoi la DGSE ne veut-elle pas partager le renseignement avec son partenaire tunisien si l’objectif recherché est uniquement la lutte contre la menace djihadiste dans la région ? Question somme toute légitime, comme se la pose le service tunisien et de nombreux médias tunisiens. Beaucoup d’autres interrogations s’imposent de par le fait que la France veuille installer ses « grandes oreilles » sur le territoire tunisien sans pour autant collaborer de manière transparente avec les autorités de ce pays.
Pourtant, dans une interview accordée en 2009 à la revue spécialisée « Question internationales », Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure au ministère de la Défense à l’époque : « Les échanges et liaisons avec les services de renseignement étrangers sont une des missions historiques de la DGSE (…) Ces relations sont fondées sur le principe du donnant-donnant et de la complémentarité mutuellement profitable. C’est ainsi que, tous les jours, la DGSE partage des analyses, échange des renseignements, développe des coopérations et apporte le cas échéant son expertise à des services étrangers, sous la forme de programmes d’assistance spécifiques ». Décidément le « principe du donnant-donnant » est tombé en désuétude dans le jargon des services secrets français. Place au principe de « prenant-prenant » semble vouloir dire les négociateurs de la DGSE à leurs homologues de Tunisie, un pays fragilisé plus que jamais par une instabilité politique interne et une prolifération de mouvements djihadistes sans précédent dans la région.
Quasiment enclavée entre l’Algérie et la Libye en l’occurrence, la Tunisie, est la première concernée par ce dossier mais elle n’est pas la seule. Ses deux voisins maghrébins le sont aussi. L’Algérie l’est beaucoup plus que la Libye étant donné que celle-ci fait face à une guerre civile. Alger aura-t-elle son mot à dire sur ce dossier de par sa position et ses liens « solides » avec la Tunisie ? Les occidentaux en général, et la France plus particulièrement, ne cessent de répéter que l’Algérie est un partenaire de poids et un acteur incontournable pour la stabilité de la région. L’Algérie va-t-elle donc peser de son poids pour tenter d’empêcher l’installation d’une base d’espionnage française devant ses portes ?
Yacine Omar