Interview. Avis à nos décideurs : les précieux conseils d’un jeune leader algérien de la NASA et Google

Redaction

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Zaki Allal, 27 ans, est diplômé de la Faculté de Médecine d’Oran (Algérie) et de Stanford Graduate School of Business aux États-Unis. Après diverses activités militantes et diplomatiques notamment au Secrétariat des Nations-Unies à New York ou au siège de l’UNESCO à Paris et à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), il reprend ses expériences cliniques à l’Université d’Harvard et d’Oxford en transplantation cardiaque et en neuroradiologie, et décide de ne pas se spécialiser mais de travailler sur un projet d’innovation. Il co-fonde alors et dirige la stratégie de l’Organ Preservation Alliance, une start-up qui a pour mission de provoquer des percées radicales dans la transplantation d’organes et l’espérance de vie. Il rejoint ensuite l’unité stratégie de Singularity University, un pôle d’innovation créée avec le concours de Google et de la NASA.
Soulignons également que Zaki Allal est aussi Pianiste.  Désigné par l’Ambassade des USA en Algérie pour rejoindre le John F. Kennedy Center for the Performing Arts à Washington DC, il a étudié avec plusieurs pianistes célèbres, notamment Sir Colin Stone de la Royal Academy of Music à Londres. En 2012, il enregistre son premier album intitulé “Celestial” qui regroupe des compositions de piano inspirés du “celeste” et du “cosmos”. Le grand public le découvre comme “Prodige National” du concours de Djezzy Prodige et entame alors une tournée mondiale qui débute au prestigieux Carnegie Hall de New York.
Propos recueillis par Abdou Semmar 
Zaki Allal, parlez-nous d’abord de vous et de votre métier en quelques mots ?
Je suis médecin, entrepreneur et artiste. Récemment, mes œuvres et compositions de piano ont fait le buzz sur internet, et le public Algérien m’a connu comme pianiste. Mais mon activité est plus élargie que cela. Mon véritable métier, c’est de parler plusieurs langues : la langue de la médecine, la langue de l’entreprise, la langue de l’innovation et de la technologie. Plus concrètement, j’ai suivi des études de médecine, ensuite j’ai étudié l’entrepreneuriat à Stanford GSB. J’ai eu des expériences diverses dans la diplomatie, la sécurité, la santé et la technologie, le tout en gérant une carrière de pianiste en parallèle.
Quelle est réellement et concrètement votre mission au sein de l’unité stratégie de Singularity University ? 
J’ai enseigné la médecine et les neurosciences au campus de recherche NASA Ames. Aujourd’hui je m’occupe de la Stratégie de développement dans les pays francophones : la France, le Maghreb et l’Afrique de l’ouest. Je développe des partenariats stratégiques avec les des acteurs importants de ces pays (cabinets ministériels, grands comptes, entreprises, PME, Universités, Pôles d’innovations) afin de trouver des solutions concrètes à des problématiques socio-économiques. Ces solutions doivent avoir un impact majeur. J’éduque, j’enseigne et je sensibilise les décideurs du potentiel et de l’impact qu’ont les technologies exponentielles sur leurs secteurs.
Et quelle place occupe aussi l’Algérie dans votre travail au sein ce pôle d’innovation américain créé avec le concours de Google et de la NASA ?
L’Algérie est ma prochaine étape. Je viens justement parler aux décideurs du monde économique et politique afin de trouver des moyens de développer des solutions concrètes aux grandes problématiques de l’Algérie à différentes échelles et niveaux organisationnels. En plus, je suis à la recherche des prochains talents et esprits brillants algériens pour donner des bourses et les envoyer étudier à la NASA en Californie.
 Vous avez fondé auparavant une start-up aux Etats-Unis dans le domaine de la transplantation d’organes et l’espérance de vie. N’avez-vous jamais pensé entreprendre en Algérie dans ce domaine d’activité ? N’y-a-t-il pas des perspectives à explorer dans notre pays ?
J’ai déjà essayé d’entreprendre en Algérie, mais j’ai connu de nombreux échecs. J’ai lancé un portail internet en Algérie quand j’avais 14 ans, ce fut un échec. A 15 ans je faisais du faxing pour mon agence web et multimédia, nouvel échec. En tant qu’étudiant j’avais crée des clubs et réseaux en ligne (en 2005, bien avant le succès de Facebook en Algérie) : échec. J’ai fondé une association d’entrepreneuriat et de leadership en Algérie, échec une nouvelle fois. J’ai essayé d’organiser un TED afin de booster les choses en 2010, échec. Je gérais tout en parallèle pendant mes études, échec universitaire. Là ou j’allais, personne ne m’écoutait, ne me comprenait. Je m’étais adressé à des responsables : doyens d’universités, cadres au gouvernement et même un ministre, personne ne m’écoutait. Mais ce que j’ai compris, c’est que ce n’était pas des problèmes typiquement algériens finalement. Les contraintes qu’on a en Algérie, on les retrouve ailleurs sous une autre forme. Je le dis en tant qu’entrepreneur à tous les jeunes qui se plaignent de la difficulté d’entreprendre : il n’y a aucun endroit au monde où tout  est facile.  Comme le dit Churchill: « la réussite c’est d’aller d’échec en échec sans se décourager ».
Moi, j’ai simplement continué, j’avais une vision, un ressenti et une conviction réelle de ce que je voulais faire et j’y ai cru. Aujourd’hui, je reviens pour partager un savoir et une expertise pour ceux qui le veulent et écrire une nouvelle page pour l’Algérie.
Quel regard portez-vous sur le secteur des nouvelles technologies en Algérie en tant qu’expert High Tech qui travaille pour un pôle fondé par Google et la Nasa à la fois ?
Je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire. Je ne me suis pas encore bien plongé dans les détails spécifiques à l’Algérie, mais comme première impression, je vois qu’il y’a beaucoup de dynamiques qui s’installent, des groupes qui se forment, des start-up weekends, des initiatives. Mais je pense qu’aujourd’hui il faudrait aller au-delà de ces simples initiatives, que je qualifie de match de foot de bonne volonté. Si l’on a envie de gagner la coupe du monde, on ne va pas organiser des parties de quartiers. Certes, ces initiatives peuvent permettre de dénicher des talents perdus, mais cela demeure insuffisant pour décrocher un trophée. Donc je dis qu’il faut booster les gens qui débordent d’optimisme et d’énergie.
En Algérie, autorités et entrepreneurs rêvent de mettre en place une économie dynamique et diversifiée. Comment l’apport des nouvelles technologies et leurs innovations peut aider à concrétiser un tel rêve ? Y a-t-il des pays qui peuvent servir d’exemple à une Algérie qui peine à trouver son modèle à défaut de pouvoir l’inventer ?
Je pense à plusieurs pays dont le Brésil, le Mexique ou le Chili. Aujourd’hui, le Chili est devenu une véritable machine à fabriquer des start-up. Avec l’initiative Start-up Chile, il y a énormément de facilités offertes aux entrepreneurs de toutes les parties du monde. L’Algérie, aujourd’hui, doit absolument saisir l’opportunité de prendre ce rôle de leader et devenir une puissance que j’appelle « Geotechnologique ». Il y a une véritable opportunité de résoudre les grands problèmes de notre pays avec l’utilisation des technologies radicales. Je viens aujourd’hui en tant que jeune pour en parler aux décideurs.
Vous êtes de formation médicale. Vous connaissez certainement les dysfonctionnements du secteur sanitaire algérien. Mauvaise gestion des hôpitaux, pénurie des médicaments, manque de médecins spécialistes dans les zones éloignées du pays. Comment les nouvelles technologies peuvent proposer des solutions concrètes à ces problèmes dont souffrent les Algériens ?
Les technologies de nos jours deviennent de plus en plus abordables. Avec un smartphone qui coûte 5000 DA je peux prendre un ECG, je peux diagnostiquer une otite, ou je peux savoir quand mon patient va mal et me déplacer à l’hôpital en urgence. Avec un simple capteur que je crée chez moi à la maison pour 2000DA, je crée un appareil apte à faire du monitoring pour mon patient si quelque chose va mal. Aujourd’hui, les objets deviennent connectés et intelligents. Il y a une véritable opportunité pour les autorités algériennes non pas de rattraper leur retard, mais d’inventer une nouvelle dimension dans laquelle la technologie résout toutes les problématiques actuelles, que ce soit de pénurie, d’accès aux soins, de diagnostic, etc. Il y a une opportunité pour des solutions 100% algériennes, et donc pour la création de beaucoup d’entreprises dans ce secteur. Je pense aussi que les médecins ont un rôle important à jouer en tant qu’individus, notamment  à travers la bonne compréhension de l’utilisation des technologies radicales, la programmation et le Big Data, ce que j’appelle le futur de la médecine. La médecine de nos jours n’est plus celle que j’ai étudié il y a à peine 10 ans.
Aujourd’hui, un ordinateur super puissant arrive à de meilleurs résultats de diagnostics qu’un groupe de professeurs réunis dans une salle. La raison? Le contenu et le savoir, la personnalisation des données selon le patient (âge, antécédents, origine ethnique, données génétiques, recommandations collégiales). Je ne dis pas que la machine doit remplacer le médecin. Non, ce que je dis, c’est que le médecin, aujourd’hui, doit savoir ce qu’est l’intelligence artificielle et comment il peut l’utiliser à son avantage.

La bureaucratie algérienne est l’autre cauchemar des citoyens algériens. Si demain l’Etat algérien vous tend l’oreille et vous demande des plans élaborés à l’aide des nouvelles technologies pour solutionner une fois pour toute ce problème, que lui proposeriez-vous ? 
Je vis les problèmes de bureaucratie comme tous les citoyens algériens. Je lance un appel pour rencontrer les responsables politiques afin d’approfondir le sujet. Aujourd’hui, ce que je sais, c’est que c’est une problématique de rapidité d’exécution et de vision. Dans un contexte global qui change constamment, il ne faudrait pas compenser par la rapidité mais plutôt recourir à la responsabilité individuelle : déléguer, donner un pouvoir décisionnel plus important aux individus, en leur donnant les outils technologiques adéquats et en leur apprenant à les utiliser. Les décideurs peuvent toujours suivre ce qui se passe à travers le monitoring en temps réel.
Un exemple concret en revenant sur la médecine : un service clinique se plaint de la pénurie de stocks de tel ou tel matériel médical ou médicament. Le temps que l’information remonte du médecin au chef de service, du chef service à la pharmacie centrale, de la pharmacie centrale au bureau du directeur, on parle de semaines, de patients décédés. Moi aujourd’hui, je vous dis que pour  20 Da, vous pouvez avoir un patch « intelligent » capable de vous donner en temps réel l’état du stock. Ça parait banal et ça l’est car c’est ça la beauté de la technologie : résoudre des problèmes conséquents de manière très simple. Ce simple patch intelligent ouvre aussi une dynamique économique importante : imaginez avoir des fabricants de patchs 100% algériens, des décideurs au niveau des ministères concernés qui sont informés au détail près de ce qui se passe, de la capacité d’analyse qu’on peut générer…un Big data algérien!
En Algérie, il existe un mécanisme de financement destiné à la création de jeunes entreprises qui s’appelle l’ANSEJ. Or, ce dispositif n’a pas permis aux startups d’émerger. D’après vous, y-a-t-il des pistes de réflexions que l’Algérie peut emprunter pour résoudre ce problème ?
Tous les pays essayent de créer des pôles, des hubs, des incubateurs, etc. Il ne s’agit pas de moyens, il ne s’agit pas de mécanismes. Il s’agit de vision, de volonté, de culture. Il faut qu’il y ait une dynamique de la part de la jeunesse d’utiliser la technologie pour résoudre les problèmes de tous les jours. Je pense à une start-up de co-voiturage en Algérie. Aujourd’hui la technologie ce n’est pas Facebook. Je vous donne un exemple qui me vient à l’esprit : en bricolant simplement, je peux fabriquer un détecteur de gaz méthane pouvant empêcher tout risque d’explosion ! Mieux encore : si je suis gérant de restaurant ou un petit industriel, je peux le rendre connecté et être informé du taux des différents gaz dans mon commerce en temps réel…coût total ? 1000 Da. Comme l’a dit Fellag: « Les Algériens sont des mécaniciens », imaginez que vous donnez cette aptitude de bricoler, de réfléchir concrètement en utilisant la technologie à tout citoyen, tout jeune. C’est de cela dont je parle.
Dites-nous enfin quel est le champ d’application économique des nouvelles technologies en Algérie ? Quel est le secteur où elles peuvent apporter des bénéfices importants qui permettront à notre pays de rejoindre le club des pays émergents ?
A travers votre site internet, je m’adresse aux Ministres, aux cabinets ministériels des secteurs névralgiques : il y a une véritable opportunité et une chance inouïe de créer une nouvelle dimension dans laquelle on ne rattrape pas le retard mais on invente une avance. L’Algérie a la chance de devenir leader dans le monde immatériel car les cartes dans ce monde là ne sont pas encore jouées. Un monde parallèle immatériel dans l’éducation, l’agriculture, l’accès à l’eau, l’énergie et la santé fera de l’Algérie une puissance. Une puissance que moi j’appelle « Geotechnologique ». C’est à dire par l’utilisation intelligente et coordonnée des technologies radicales pour des problématiques lourdes très obsolètes. Ce n’est pas une question de moyens ou de savoir technique, car l’Algérie regorge de talents brillants, mais de vision.
L’Algérie a acquis dans la lutte contre le terrorisme une expertise de terrain. Pourtant, durant ces années de décennie noire, les grandes nations étaient aveuglées sur ce sujet là. Aujourd’hui l’abondance des problèmes est une opportunité sans précédent  pour utiliser les technologies radicales de manière concrète sur le terrain qui positionnera l’Algérie comme experte en « geotechnologie ». Je veux proposer ma vision aux décideurs et leaders politiques en tant que jeune expert et entrepreneur pour qu’ils n’aient pas de « blindspot » vis-à-vis de cette opportunité sans égale.