Le pays va mal. Il traverse une crise financière dangereuse. Des réformes profondes sont impératives. La culture rentière, l’esprit des privilèges financés par les pétrodollars qui coulaient naguère à flots, ces dérives si algériennes sont définitivement condamnées à la disparition. C’est une question de survie pour la nation.
La conjoncture nous dicte sa loi. Elle impose la nécessité plus qu’urgente de rompre avec notre système de gouvernance basé sur le copinage, le népotisme et le clientélisme, dans leurs manifestations les plus abjectes. Le gouvernement, à leur tête monsieur Abdelmalek Sellal, a promis la fin de ces pratiques. Il a longuement disserté ces derniers jours sur la valeur du travail, de l’importance de vivre de son labeur.
Une prise de conscience tardive, mais salutaire? Un espoir à contresens du pessimisme général qui mine notre société? On s’était dit : « Enfin, ils affichent une volonté de changement ». Mais loin des discours, la réalité est la même. En coulisses, on se rend compte que les vieilles pratiques ont la peau dure. Les promotions sur des critères claniques, mercantilistes et politiciens sont toujours d’actualité. Et cette affaire qui secoue la La Caisse Nationale de Mutualité Agricole (CNMA Assurances) en est la parfaite illustration.
Cette entité publique est l’une des entreprises les plus stratégiques du secteur des assurances en Algérie. Chargée de suivre les évolutions du secteur agricole en terme de couverture et de besoins, la CNMA joue un rôle capital dans le développement de la croissance agricole. L’un des piliers dont a cruellement besoin notre pays pour diversifier son économie moribonde, comme le reconnaissent tous les dirigeants.
Mais voila, au moment où l’Algérie a besoin de managers compétents, expérimentés et qualifiés aux commandes de ses institutions financières, au ministère de l’Agriculture, la tutelle de la CNMA, on décide de nommer une simple vétérinaire à la tête de « la Mutualiste », une filiale de la CNMA spécialisée dans les assurances vie, un domaine d’activité très pointu qui nécessite une véritable expertise.
Une vétérinaire pour commercialiser des assurances vie ! En Algérie, c’est possible, même si nous sommes en 2015. La raison est de la lapalissade chez nous : la nouvelle directrice générale de cette filiale de la CNMA est tout bonnement Amel Hana Benaïssa, la fille de l’ancien ministre de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, ami très proche de l’actuel ministre du secteur : Sid Ahmed Ferroukhi.
Hasard ? La nouvelle directrice a-t-elle un quelconque savoir-faire dans la commercialisation des assurances-vie auprès des agriculteurs ? Connait-elle le moindre enjeu de ce secteur si singulier ? Nous avons posé la question au cabinet du ministère de l’Agriculture. On nous avait promis de nous rappeler pour nous fournir des explications. Et jusqu’à l’heure, nous attendons.
De son côté, la direction générale de la CNMA n’a pas souhaité réagir à cette affaire. Le malaise est évident. La gêne est à peine dissimulée. Mais notre enquête a permis de découvrir que la nomination de la fille de l’ancien ministre n’a même pas été décidée ou approuvée par le PDG de la CNMA. C’est le conseil d’administration de la filiale en question, La Mutualiste, qui a procédé à cette nomination. De qui est composé ce conseil d’administration ? De simples agriculteurs sans bagages intellectuels importants ! Et pourtant, ils siègent dans le conseil d’administration d’une institution financière. Une institution dont la gestion nécessite des connaissances approfondies en finances. La loi en Algérie prévoit, en plus, un cadre réglementaire pour la désignation des conseils d’administration. Des diplômes, un niveau d’instruction précis, sont exigés. Mais, au ministère de l’Agriculture, la loi, on n’en a cure. La transparence non plus, puisque personne ne daigne expliquer comment une simple vétérinaire peut diriger une compagnie d’assurances. Sauf si sa qualité de « fille d’ancien ministre » fonctionne comme un sésame à même d’ouvrir toutes les portes de la responsabilité.
Quelle naïveté que de croire que les dirigeants avaient tiré les leçons de leurs errements! Quelle naïveté que de penser qu’ils étaient capables de se remettre en cause pour sauver le pays de la faillite. En violant la loi sacrée de la compétence et du mérite dans les nominations à la tête des entreprises stratégiques, nos dirigeants nous offrent une image escamotée de « l’exemplarité ». Le jour où tout le monde devra rendre des comptes, nous en reparlerons…