L’avenir énergétique de l’Algérie dans le solaire plutôt que dans le gaz de schiste Par Hassan Haddouche

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Le débat est sur la place publique, il est même dans la rue comme on l’a vu le 24 février dernier qui, pour la première fois depuis la nationalisation des hydrocarbures en 1971, s’est transformé en vaste manifestation de défiance vis-à-vis du gaz de schiste.

L’avenir énergétique de l’Algérie est il  dans  le solaire, plutôt que dans le gaz de schiste ? C’est en tous cas la conviction exprimée par un nombre croissant de participants à un débat qui est désormais sur la place publique même si les autorités algériennes et les monopoles chargés de la gestion du secteur  de l’énergie n’ont rien fait pour l’encourager, c’est le moins qu’on puisse dire . Relayant la protestation de la population d’In salah et des manifestants de beaucoup de villes algériennes, rien qu’au cours de la semaine écoulée, on a entendu  un ancien ministre et candidat à la présidentielle comme Ali Benouari affirmer que « l’exploration comme l’exploitation du gaz de schiste doivent être rejetées ». Ali Benouari préconise comme beaucoup d’autres l’ont fait avant lui, de diversifier notre économie et nos sources d’énergie. « Le Sahara, dit-il, nous offre justement la plus grande et la plus inépuisable d’entre elles, l’énergie solaire ». « L’alternative au pétrole et au gaz conventionnels, ce n’est pas le gaz de schiste, c’est le soleil ! », clame l’ancien ministre .

Bon… me direz vous, Ali Benouari n’est pas vraiment un spécialiste des questions énergétiques.  On ne peut pas en dire autant de Tewfik Hasni,un ancien vice président de Sonatrach et ex-PDG de NEAL, la  filiale commune  de Sonatrach et Sonelgaz dans le domaine des énergies renouvelables. Il est  depuis plusieurs années l’avocat infatigable de l’option de l’énergie solaire. La semaine dernière, il nous assurait dans des déclarations qui ont été reprises par nombre de médias nationaux que « notre véritable point fort et notre vrai avantage comparatif c’est le solaire thermique ». Tewfik Hasni rappelle que l’ « espace saharien est l’un des seuls au monde à permettre la mise en œuvre d’une telle solution pour la génération électrique ». Une option d’ailleurs déjà largement développée par les Saoudiens qui ont pris une longueur d’avance dans ce domaine grâce à l’entreprise ACWA qui est aujourd’hui un leader mondial et a déjà installé  plusieurs centrales solaires  dans son propre pays et jusqu’en Afrique du sud où elle  vient de remporter un nouveau marché. Selon Hasni, le champion Saoudien ne devrait d’ailleurs pas restée longtemps seul en lice et « les Américains sont également en train de concevoir un programme très ambitieux dans le domaine du solaire thermique ».

Le gaz de schiste, l’option privilégiée par le gouvernment

Pendant ce temps, c’est encore  Tewfik Hasni et Ali Benouari qui l’assurent  presque d’une seule voix, le recours au gaz de schiste a été promu par les autorités algériennes seule alternative pour assurer la sécurité énergétique du pays « dans un arbitrage sans arguments convaincants ». Selon Benouari, les pouvoirs publics ont même  « caché au peuple que la décision d’exploiter le gaz de schiste a été prise  il y a déjà plusieurs années ». Si on avait besoin d’une confirmation de cette thèse, elle a été fournie, toujours la semaine dernière, par le PDG  de Sonatrach lui-même. A l’occasion de la célébration du 44ème anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, Saïd Sahnoun  a annoncé «  un  programme d’investissement sur la période 2015-2019 de plus de 90 milliards de dollars »,  ajoutant que  « ces investissements permettront à Sonatrach d’intensifier l’effort d’exploration en vue de consolider sa base de réserves, avec un intérêt particulier pour l’exploration des hydrocarbures dans le nord du pays, en offshore, et dans les non conventionnels ». On ne peut pas être plus clair.

Un coût de production faramineux

Ce dont les autorités algériennes et les responsables du secteur évitent également de parler, c’est du coût faramineux du développement du gaz de schiste. L’argument du coût élevé opposé à l’exploitation des énergies renouvelables, a été omis dans la décision du recours l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. C’est aussi en cela que le débat public a du bon. Il permet de s’apercevoir de plus en plus que  cette exploitation revient excessivement chère, voire « bien plus chère » que les ressources renouvelables. Selon la plupart des experts algériens, le coût du forage d’un puits non conventionnel revient à la coquette somme de 15 à 20 millions de dollars.

Sur la base des données disponibles sur l’expérience américaine, Tewfik  Hasni  estime  que les projections du groupe Sonatrach qui visent  à parvenir à une production 20 milliards de m3 de gaz en forant 200 puits par an  sont  complètement « irréalistes ».  Selon lui « les Américains ont foré 7000 puits en six ans pour parvenir à une production de 20 milliards de m3 de gaz de schiste  ». En extrapolant ces données , l’Algérie aura ainsi « à forer 1160 puits / an pendant  six ans pour atteindre une production « à la mesure de nos ambitions » .

Outre le nombre considérable de forages qu’il faudra réaliser pour parvenir à une production de 20 milliards de m3 de gaz, l’ancien vice  président de Sonatrach  pose la problématique  de la durée de vie des puits du non conventionnel qui renchérit les coûts de production. Pour tewfik Hasni,  la durée de vie de ces puits  n’excède en effet  pas 5 années. Au bout de cinq ans, « il faut refaire tous les forages et condamner les anciens puits ».

Le solaire moins cher

L’ancien PDG de NEAL livre quelques repères chiffrés sur le coût économique des différentes solutions disponibles. Selon les estimations de Tewfik Hasni, la production d’électricité par le  solaire thermique serait d’ores et déjà l’option la moins coûteuse. La production de 2000 MW d’électricité produite par des centrales utilisant le solaire thermique ne dépasserait pas 10 milliards de dollars sur une période de 50 ans « même en intégrant les coûts de recherche et  de développement ». Le gaz de schiste demanderait de son côté un investissement minimum de 43 milliards de dollars pour la production des 20 milliards de m3 de gaz nécessaires à la production des mêmes 2000 MW d’électricité pendant la même période de 50 ans. Le nucléaire, option également évoquée par les autorités algériennes, reviendrait encore plus cher avec un coût estimé à 50 milliards de dollars pour 2 centrales de 1000 MW chacune exploitées également pendant 50 ans.

Les énergies renouvelables boudées

Le gouvernement algérien n’ignore certainement rien de ces données. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a annoncé dès 2011 un programme colossal de développement des énergies renouvelables qui devrait permettre de produire la quantité astronomique de 24 000 MW en 2030. Le problème c’est que ce programme est malheureusement aujourd’hui très en retard et seule la centrale expérimentale de Hassi R’mel est aujourd’hui fonctionnelle avec une capacité de 25 MW. Soit tout juste un millième du programme annoncé…. Un programme qui souffre aussi, selon Tewfik Hasni, d’une « focalisation excessive sur le photovoltaïque » pour lequel deux projets d’une capacité totale de 400 MW sont en cours de réalisation qui « seront équipés avec des panneaux importés de Chine  alors qu’une entreprise algérienne comme Condor est capable de les produire localement et risque de renoncer à cette activité faute de commandes ».

Le monopole de Sonelgaz en question

Beaucoup d’experts algériens  considèrent  que la volonté politique de développer les énergies renouvelables, au delà des effets d’annonce , est aujourd’hui absente. Pour mettre en œuvre un  programme aussi ambitieux, la plupart d’entre eux considèrent qu’on a fait de mauvais choix qui peuvent expliquer le retard pris par le programme national des énergies renouvelables. Tewfik Hasni, avec beaucoup d’autres, ne comprend pas en particulier  qu’on ait confié dans ce domaine un monopole à Sonelgaz «  alors que la loi a consacré l’ouverture du secteur à l’ensemble des  acteurs algériens ». Pour tenter de rattraper le temps perdu, il propose notamment de « remettre NEAL, qui est aujourd’hui en sommeil, dans la course »  et d’envisager des partenariats public–privé. « Le saoudien ACWA peut être un partenaire » recommande  également l’expert algérien qui regrette que « les décrets pour les tarifs du solaire thermique  et du photovoltaïque qui seraient  des incitations puissantes au développement de la production n’existent  toujours pas ». Ne vous inquiétez pas, c’est un sujet dont on va entendre parler encore très souvent au cours des prochaines années.

Hassan Haddouche