Il fallait s’opposer à Abdelaziz Bouteflika bien avant sa réélection en avril 2014. C’est à cette époque qu’il fallait demander audience au Président pour exiger son départ et faire place à une véritable alternative démocratique. C’est à cette époque que des « personnalités nationales », un concept difficilement « définissable » au regard du profond fossé séparant la société de l’élite, devaient se mobiliser pour raisonner Bouteflika et le convaincre de quitter le Palais d’El-Mouradia afin de préserver l’Algérie de l’immobilisme qu’induisait son état de santé.
Mais ça, c’était avant !
C’était bien avant un certain avril 2014 qu’il fallait vérifier si Abdelaziz Bouteflika était conscient des conséquances de sa réélection. S’il était apte à assumer la délicate fonction de Président de la République. S’il était encore physiquement et psychiquement en mesure de décider de l’avenir de tout un pays. A cette époque, aucun des 19 personnalités signataires de la lettre adressée à Bouteflika, n’avait émis la moindre objection et se mettre du coté de ces jeunes qui criaient « Barakat ! »
Avant avril 2014, Louisa Hanoune et Khalida Toumi caressaient dans le sens du poil le « glorieux » et très « sage » Abdelaziz Bouteflika. Madame Khalida Toumi dansait même à l’intérieur du pays lors des visites officielles pour haranguer les foules et les appeler à voter encore pour ce même Abdelaziz Bouteflika. « Bouteflika, Bouteflika », s’égosillait-elle. Louisa Hanoune a servi le clan présidentiel tout au long de la campagne électorale de 2014. Elle n’avait jamais remis en cause la moindre des décisions dans les dossiers majeurs traités durant les trois mandats de ce même Abdelaziz Bouteflika dont elle doute, désormais, quant à sa capacité à diriger le pays.
Alors pourquoi maintenant ? Et surtout pourquoi mettre en cause les capacités psychiques et physiques du Président à la veille d’une importante révision constitutionnelle ? Il faut reconnaître que parmi les 19, on retrouve de véritables patriotes et des personnes honnêtes comme Abdelhamid Aberkane ou Nouredine Benissad. Mais soyons sérieux ! « La dégradation du climat général » que dénoncent ces personnes plombe le pays depuis les années 90. Certains griefs soulevés contre Bouteflika suscitent l’étonnement, à l’image de l’abandon du droit de préemption de l’État. Ce droit n’a jamais été abandonné dans la nouvelle mouture du code d’investissement. Il a uniquement été réadapté et réajusté notamment vis-à-vis des investissements étrangers effectués avant 2009, l’année de son application. En plus, sincèrement, ce droit de préemption a-t-il apporté un quelconque avantage économique ? Pourquoi en faire un dogme alors qu’il n’y a pas de places pour les certitudes en économie ? Les signataires de cette lettre ont-ils un programme économique qu’ils souhaiteraient soumettre aux Algériens ? Ces interrogations ont été, jusqu’à l’heure, éludées par ces 19 « personnalités nationales ». Khalida Toumi, dans sa sortie médiatique, s’est contentée de nous expliquer que certaines décisions prises récemment ne ressemblent pas à la personne d’Abdelaziz Bouteflika dont elle se targue d’être une parfaite connaisseuse et une « loyale amie ».
Bouteflika, une pauvre victime !
Abdelaziz Bouteflika serait donc victime de « l’influence de son entourage ». Il serait ainsi la victime au lieu d’être le premier responsable. Bouteflika, un président maintenu en détention par des conseillers, des dirigeants affairistes qui se sont accaparé de la fonction présidentielle. Le bobard est, quand même, digne d’un film de science fiction et disculpe Abdelaziz Bouteflika de toute responsabilité. C’est, tout de même, incroyable d’en arriver-là : des personnalités nationales veulent convaincre les Algériens que leur président autoritaire est finalement une pauvre personne prise en otage. Il faut être un vrai blagueur pour faire preuve d’un tel humour.
Dans la réalité, les choses sont différentes, très différentes. La destitution de Bouteflika ne signifie nullement la fin de ce régime, responsable de la décadence économique et sociale de notre pays. La mise en application de l’article 88 de notre Constitution n’est guère suffisante pour permettre à notre pays de vivre une véritable ouverture démocratique. Abdelaziz Bouteflika n’est que la vitrine, lugubre peut-être, mais uniquement la vitrine de ce régime. Il n’est pas son coeur battant. Et les Algériens en sont bien conscients. Les 19 ne l’ignorent pas. Certains d’entre eux ont occupé des fonctions politiques stratégiques. Ils connaissent donc les rouages de ce régime. Loin de nous l’intention d’affubler ces personnalités de mauvaise foi. Mais pourquoi avoir attendu le départ du général Toufik du DRS et d’une dizaines de hauts cadres de cet appareil pour manifester une inquiétude somme toute légitime ? Cette lettre est arrivée à El-Mouradia au moment où le « retraité » général Toufik accueillait en son domicile à Club des Pins des « personnalités » et des anciens dirigeants pour leur faire des confidences sur « l’entourage du Président ». Plusieurs sources concordantes nous ont confirmées la tenue de ces entrevues entre l’ancien patron du DRS et plusieurs acteurs de la vie politique algérienne. Est-ce une manipulation ? Peut-être.
Ni les confidences du général Toufik ni la santé de Bouteflika ne sont aujourd’hui une priorité pour notre pays. L’Algérie a besoin de réformes institutionnelles profondes à même de dessiner les contours d’un Etat moderne. Elle a besoin d’une nouvelle économie, de justice sociale et de d’authentiques motifs d’espoir. Voici la lettre que, peut-être, les Algériens, notamment les plus jeunes, sont prêts à signer massivement. Presser le régime pour l’obliger à changer, la voici notre priorité nationale. Mais, l’amputer de Bouteflika uniquement pour le maintenir en vie avec d’autres mannequins, c’est une escroquerie. Et c’est plus grave qu’une blague…