Lettre à un ami « panaméen » Par Abdou Semmar

Redaction

Cher Abdesslam Bouchouareb,

Il est arrivé que vous me révoltiez. Vraiment. Maintes fois. Si, si je vous jure.  Il m’est arrivé d’être très en colère contre vous, de pousser des gueulantes à n’en plus finir sur vos dérapages, sur bricolage avec lequel vous avez appliqué le nouveau cahier de charges régissant l’activité automobile,  ou  comment vous avez bloqué le complexe industriel Fertial d’Arzew qui avait juste besoin de certaines autorisations pour exporter sa production,menaçant des centaines d’emplois.  Par votre faute, j’ai été régulièrement accablé par la déception. Quelques fois, j’ai enragé, comme lorsque j’ai relevé que l’histoire des licences d’importations, dont certaines relèvent de votre autorité, tourne au bazar, où les copains oligarques se servent allègrement. J’ai toujours pensé que vous méconnaissiez profondément la responsabilité historique qui vous incombe en cette période charnière et délicate pour notre pays. Vous avez la mission de réindustrialier notre pays, convaincre les investisseurs étrangers de miser sur notre jeunesse pour sortir de l’économie rentière. En êtes-vous conscient ?

Au lieu de cela, je découvre, comme beaucoup de mes compatriotes, que vous êtes un fin connaisseur des entourloupes qui gangrènent le monde des affaires. Vous les connaissez si bien que vous savez profiter des effets pervers du système financier mondial. Pourquoi vous n’employez pas votre connaissance si fine des banques internationales pour obtenir des investissements en faveur de votre pays, le nôtre ?  Que l’on soit clair : si je vous écrit aujourd’hui, c’est parce que j’ai décidé de rompre avec ma colère inutile. Je n’ai plus envie de vous diaboliser continuellement comme le font certains. Je n’ai plus envie de noyer ma rage dans une haine envers votre personne. Je n’ai plus envie de vous détester. J’ai juste envie de vous demander des explications en tant que ministre, en tant que compatriote qui partage avec moi le destin de notre même pays.

Vous êtes riche ? Tant mieux pour vous. Je ne vous envie pas. Vous êtes un industriel qui a réussi. Soit ! Je n’ai aucun souci particulier avec votre fortune… à condition qu’elle soit propre. Oui, propre parce que l’Algérie n’a pas besoin d’un énième scandale au sommet de l’Etat. Je vous adresse cette lettre pour vous demander officiellement de rapatrier vos fonds du Panama, du Luxembourg, de la Suisse, ou que sais-je encore. Vous êtes celui qui est censé donner l’exemple. Si votre propre argent n’est pas employé dans les banques algériennes, comment voulez-vous que les barons de l’informel acceptent d’intégrer les mécanismes de l’amnistie fiscale mise en place par le gouvernement auquel vous appartenez ? Si votre propre argent est caché ailleurs et n’est pas déclaré au fisc, comment voulez-vous qu’un investisseur étranger respecte notre système fiscal ?

Vous dites que votre fortune est légale et ne souffre d’aucune suspicion. Prouvez-vous le. Parlez. Défendez non pas vos intérêts, mais l’honneur de notre pays. Vous êtes mieux placé que moi pour savoir que  l’article 8 du règlement 07-01 de la Banque d’Algérie précise que “la constitution d’avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie est interdite”. Vous êtes résident en Algérie et vous n’avez nullement le droit de constituer des actifs financiers à l’étranger avec l’argent que vous gagnez dans notre pays. Le règlement n° 14-04 du 29 septembre 2014 fixant les conditions de transfert de capitaux à l’ étranger encadre de manière draconienne la sortie des devises des opérateurs économiques. Vous devez être un exportateur et respecter un cahier de charges très précis. L’avez-vous fait ? Ces questions sont légitimes. Elles ne constituent guère une attaque sans fondement contre votre personne.

Vous résidez également en France. Cela signifie-t-il que vous avez gagné votre argent dans ce pays pour le transférer ensuite vers des paradis fiscaux ? Ce sont des réponses que nous attendons de votre part. Nous ne voulons pas être vos juges. Mais, de par votre statut, vous êtes comptable devant nous. Vous êtes comptable devant l’histoire.  L’Algérie a davantage besoin de votre argent que le Panama, ce petit Etat qui subvient à ses besoins sans le moindre souci. Votre pays a besoin davantage de votre argent que la filiale d’une banque émiratie en Suisse ou une société luxembourgeoise. Soyez digne de l’Algérien qui sommeille en vous et tournez le dos à vos égarements panaméens. Si vous n’y arrivez pas, laissez votre place à d’autres patriotes qui croient en l’Algérie et qui sont prêts à investir leur fortune dans son avenir…