1962 : Indépendance de l’Algérie. La faculté de médecine d’Alger est la deuxième après Paris. Des étudiants tunisiens viennent s’inscrire en Chirurgie dentaire parce que cet enseignement n’est pas encore dispensé chez eux.
2012 : Les Algériens vont à Tunis se soigner les dents. Cherchez l’anomalie.
2016 : Les médecins algériens, ceux qui sont restés au pays pour essayer de faire leur travail tant bien que mal, se font maltraiter. A l’hôpital central d’Alger, ils sont carrément rudoyés comme de vulgaires délinquants. Cherchez l’anomalie.
On pensait, comme dans les pays civilisés, que les établissements dans lesquels on dispense le savoir et les soins étaient des sanctuaires. Autrement dit, des espaces inviolables, protégés contre toute ingérence policière et toute forme de violence. Apparemment cela n’est pas le cas chez nous. A l’hôpital Mustapha, on a traité les médecins et le personnel soignant comme de vulgaires casseurs. C’est grave, c’est même très grave. J’oserais dire que c’est même un blasphème puisqu’on a agressé des hommes de science qui se sont consacrés à l’acquisition du savoir, parfois au prix de sacrifices considérables pour se mettre au service des autres. Ils sont restés au pays malgré des conditions de travail déplorables. En malmenant les hommes de savoir, le directeur de l’hôpital a tout simplement malmené la parole de Dieu puisque le Tout-Puissant accompagne de sa bénédiction ceux qui « vont chercher le savoir jusqu’en Chine » et qui le font toute leur vie, « du berceau jusqu’au cercueil » ( hadiths )
L’islam sacralise la quête du savoir du moment qu’elle reste l’unique moyen de lutter contre l’obscurantisme et la voie royale dans la recherche de l’élévation spirituelle et du perfectionnement de soi.
« De tous les serviteurs de Dieu, seuls les savants le craignent véritablement ». Coran 35 / 28
Recourir à la violence dans une enceinte où on vient chercher le réconfort et calmer la douleur, c’est encore une fois blasphémer et contrevenir aux injonctions coraniques les plus fondamentales. C’est donner une image négative de notre société et pousser nos jeunes médecins à déserter nos hôpitaux et aller grossir la cohorte de leurs frères aînés qui brillent sous des cieux plus accueillants.
Sait-il au moins, ce directeur du plus grand hôpital d’Algérie, que nous importons des médecins étrangers, comme on importe des ingénieurs et des ouvriers pour l’industrie et le bâtiment, alors que le tiers des hôpitaux français ne pourrait pas fonctionner sans les médecins algériens ?
S’est-il demandé si la raison de cette désertion n’est pas due tout simplement au peu de considération qu’on leur a réservé ici chez nous et que ce sont des responsables comme lui qui se sont arrangés pour faire partir nos élites à l’Etranger. La plupart sont partis briller sous d’autres cieux, là où seule la compétence conditionne la réussite et là où ils sont respectés pour leur travail et leur conduite et non parce qu’ils sont fils de notables ou d’apparatchiks?
Dans un pays où on ne valorise pas les métiers essentiels qui aident le citoyen à se construire, tels que l’enseignement, l’éducation et l’apprentissage ; où on n’encourage pas l’intelligence, la recherche et la créativité, on ne peut que produire de l’incompétence et de la médiocrité. Et dans pareils cas, c’est la régression assurée, le triomphe de la corruption et du clientélisme et le règne des oligarchies.
Valoriser la profession d’enseignant, d’infirmier ou de médecin, cela signifie les rémunérer convenablement et surtout les respecter en tant que citoyens respectables et en tant que responsables de la formation de nos enfants et de la santé de tous. Les manifestants de l’hôpital Mustapha ne demandaient rien d’autre. La brutalité de la réponse du directeur est inadmissible quelles qu’aient été les raisons du conflit.
Nous sommes dans un pays de droit. Il y a des lois et il y a des représentants de la loi. Et on ne doit en aucune manière laisser pénétrer la force et la brutalité dans des enceintes qui sont sécurisées par nature et qui doivent être respectées comme on respecte un sacerdoce ou comme on obéit à la loi, tout simplement.
Aziz Benyahia