Le gouvernement a décidé de faire le pari risqué de l’augmentation de la fiscalité ordinaire. Au cours des trois prochaines années, dans le but de se refaire une santé financière, l’Etat algérien compte non seulement sur une réduction sensible de ses dépenses et sur une augmentation -raisonnable- du prix du baril, mais également sur une croissance de la fiscalité ordinaire de près de 1000 milliards de dinars- plus de 9 milliards de dollars- sur la période 2017-2019. Où l’Etat va-t-il donc trouver cet argent ? Et est-ce qu’il ne risque pas à cette occasion d’alourdir sensiblement la pression fiscale sur les ménages et les entreprises algériennes ?
En 2017, selon les projections du gouvernement, la fiscalité ordinaire, en progression de 3,5% , rapportera 2845 milliards DA. En 2018, les recettes de la fiscalité ordinaire devraient augmenter encore beaucoup plus sensiblement -de plus de 20%- et seraient de 3438 milliards. Elles devraient connaître une nouvelle hausse, plus modérée -environ 10 %- en 2019, à 3780 milliards de dinars.
Cette croissance annoncée et accélérée des recettes de la fiscalité ordinaire, qui devrait donc atteindre le montant considérable de 1000 milliards de dinars -environ 9 milliards de dollars- en trois ans, n’est pas sans susciter un certain scepticisme parmi les spécialistes qui s’interrogent sur les «gisements» fiscaux que se propose d’exploiter les pouvoirs publics au cours des prochaines années pour atteindre un objectif aussi ambitieux.
Les carburants en pôle position
Le premier d’entre eux et celui qui parait le plus prometteur en matière de recettes semblent être d’abord le renforcement de la fiscalité sur la consommation d’énergie à travers à la fois l’augmentation des taxes sur les carburants et la création d’une nouvelle «taxe d’efficacité énergétique», très bien venue, qui frappera les équipements énergivores. Il s’agit, selon les spécialistes que nous avons consultés, du «seul domaine où il existe vraiment de la marge pour une progression substantielle des recettes et il pourrait rapporter plusieurs centaines de milliards de dinars aux recettes publiques». Le ministre des finances, M. Baba Ammi, a précisé récemment devant les députés que «le prix du carburant en Algérie resterait cependant bien inférieur au prix réel en dépit des augmentations enregistrées en 2016 et celles prévues pour 2017». Notons que pour 2017, contrairement à 2016, aucune augmentation n’est encore prévue pour les tarifs de l’électricité, un domaine dans lequel l’Etat semble décidé à marquer une pause sans doute provisoire…
La hausse de la TVA va-t-elle stimuler l’inflation ?
La hausse de deux points de la TVA, annoncée pour 2017, pourrait également rapporter des montants relativement importants, mais il s’agit d’une pratique qu’il serait «dangereux de renouveler au cours des années suivantes compte tenu du niveau déjà élevé de cette taxe et de ses effets directs sur la hausse des prix de l’ensemble des produits» souligne un expert. Ce n’est pas l’avis du ministre des Finances. Intervenant en marge d’une séance consacrée aux questions orales à l’Assemblée populaire nationale, M. Baba Ammi a estimé, voici quelques jours, que l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée n’aurait pas d’effet « boule de neige» sur le consommateur algérien.
La taxe sur la valeur ajoutée en Algérie, qui passe de 7 à 9% et de 17 à 19 %, suivant les catégories de produits concernés, dans le projet de Finances 2017, «reste faible par rapport aux pays du Maghreb où elle varie entre 25% et 30%», a indiqué le ministre. M. Baba Ammi a également rappelé que «cette hausse ne concernera pas les produits de première nécessité qui sont exemptés de TVA depuis de nombreuses années» .
Des rendements modestes pour la TIC …
Une autre orientation tracée par l’exécutif concerne le développement progressif de la fiscalité sur les produits de luxe, ou considérés comme nocifs pour la santé, à travers l’augmentation des taux de la taxe intérieure sur la consommation (TIC) qui va également concerner plus de produits et augmenter sensiblement pour le tabac et l’alcool. Dans ce cas, les recettes à attendre sont beaucoup plus modestes, même si elles pourraient atteindre plusieurs dizaines de milliards de dinars dans le cas de la taxe sur le tabac qui constituera le principal gisement dans cette catégorie de produits.
… Et les taxes sur les transactions immobilières
Une dernière catégorie d’impôts visée par le gouvernement concerne enfin le développement de la fiscalité sur les transactions immobilières dont le produit risque, selon nos sources, de se révéler très modeste en raison du nombre relativement réduit des transactions réalisées dans ce domaine, «d’autant plus que l’Etat n’envisage pas pour l’heure d’instaurer une taxe foncière assise sur la valeur marchande des terrains».
Lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
D’autres mesures à portée générale, mais dont le rendement reste incertain, sont également annoncées par le gouvernement pour l’amélioration de la fiscalité ordinaire. C’est ainsi que le ministre des Finances a affirmé que «le recouvrement fiscal serait amélioré de façon progressive à travers la préparation d’une série de mécanismes parmi lesquels figurent la modernisation de l’administration des impôts et l’élaboration d’un programme rigoureux de contrôle des fraudeurs et des individus coupables d’évasion fiscale».Une annonce qui aura certainement du mal à convaincre les plus sceptiques…
Au total, on risque donc d’être assez loin du compte d’autant plus que «l’impact de ces nouveaux impôts sur les recettes de la fiscalité ordinaire continuera d’être contrarié par la baisse des rendements des droits de douanes et de la TVA sur les produits importés qui vont continuer à diminuer en raison de la réduction en cours des importations».
Les pistes non retenues
Pour beaucoup d’experts, il existe d’autres pistes pour accroître les recettes fiscales de l’Etat. Pour ces derniers, une politique fiscale plus juste et plus efficace devrait globalement viser à «élargir d’avantage l’assiette fiscale plutôt qu’à élever les niveaux d’imposition en alourdissant la pression fiscale sur les seuls contributeurs loyaux». La piste ainsi évoquée concerne principalement la fiscalisation des activités informelles. Il s’agit dans ce domaine pour les experts d’«associer la carotte et le bâton», c’est-à-dire de combiner à la fois des mesures incitatives et coercitives pour ramener progressivement ce type d’activités dans le cadre formel. L’inconvénient principale d’une telle démarche réside principalement dans la complexité de sa mise en œuvre, les délais importants qu’elle requiert pour produire des effets significatifs et les incertitudes qui pèsent sur son succès réel.
D’autres pistes pourraient également s’avérer prometteuses et ne semblent pas pour l’instant envisagées par le gouvernement. Il s’agit en particulier de la révision des multiples «niches fiscales» associées aux régimes dérogatoires d’exonération fiscale, établis dans le cadre des programmes spécifiques ou des dispositifs d’aide à la création d’activités. Le principal risque dans ce cas est de pénaliser l’investissement à un moment où le pays en aura le plus besoin en raison du blocage annoncé des recrutements dans la Fonction publique.
Une dernière piste suggérée par les experts concerne enfin la généralisation du régime d’imposition réel, notamment dans les activités commerciales, en remplacement du régime forfaitaire qui de l’avis général favorise aujourd’hui largement la fraude et l’évasion fiscale.